"Nous avons cinq sœurs cadettes." répondit sobrement Mikhaïl tout en semblant dire, par la fraîcheur de sa voix, que cela ne le regardait pas. Pétia lui serra gentiment l'épaule et ils se dirigèrent vers Kolia qui commençait déjà à monter sur le toit. "Je pense que vous aurez besoin de ça." dit Pétia en tendant à Johann la sacoche contenant du matériel de bricolage. "Je vous monterai des tuiles ou des planches si besoin s'en fait sentir."

"Quelle famille nombreuse !" commenta Johann sur un ton volontairement aimable, comme s'il n'avait pas entendu le ton du Père Mikhaïl. "Surtout comparé à moi..." poursuivit-il sur le même ton léger. "Oui, merci, Piotr." Johann passa la sacoche en bandoulière. Elle était assez lourde. Il se tourna vers l'échelle et vit Nikolai qui y grimpait. Cette échelle était épaisse et semblait particulièrement solide.  Ce qui n'était pas un mal, songea Johann, étant donné la hauteur du toit.

Johann attrapa la main qu'on lui tendait et rejoignit ainsi rapidement les deux hommes au-dessus de lui. Il lui répondit en prenant soin de donner les détails, comme il avait l'habitude de le faire lorsqu'on lui posait la question. "Cela a donc posé problème lorsque vous vous êtes engagé ? Sans vouloir être indiscret, bien sûr", ajouta-t-il avec la politesse qui lui semblait nécessaire. "Où étiez-vous, vous-même ? Nous ne nous sommes jamais rencontrés."

Johann se dit que le Père Mikhaïl, bien qu'il prît un air agacé, devait sans doute être touché par la protection affectueuse de ses frères qui semblaient l'aimer d'un amour fraternel évident. Lui l'était en tout cas : il avait très rarement l'occasion d'observer les liens de proximité des membres d'une famille. "Comment voudriez-vous vous en occuper ?" interrogea Johann en se tournant vers les statues de pierre qui l'entouraient.

Johann s'agrippait aussi fermement à Nikolaï que ce dernier le tenait. Il réussit à remonter progressivement sur le toit grâce à l'aide des deux frères et une fois de nouveau sur les tuiles, il saisit une solide statue et se rassit prudemment près du trou. Il vérifia que personne n'était trop près du bord et ne risquait de chuter comme lui. "Merci à vous !" soupira Johann, remis de ses émotions. Il avait eu un haut-le-corps lorsqu'il avait glissé mais la surprise s’atténuait.

"Oui... Merci", répondit Johann avec calme. Son entraînement et son expérience de milicien lui avaient fait récupérer son sang-froid rapidement. "Désolé de vous avoir effrayés," ajouta-t-il sur le même ton. Il jeta un coup d'oeil aux trois frères. Il lui semblait qu'ils avaient eu peur, Johann avait l'impression de lire un soupçon d'inquiétude qui persistait sur leur visage. "Vous ne vous êtes pas fait mal en me rattrapant, au moins ?"

"J'en ai vaguement entendu parler. Mais comme vous n'êtes pas sans savoir, la justice et la milice ne se connaissent que de loin. Mon travail consiste à obéir ou à me faire obéir, je n'ai jamais eu de litige qui nécessite un avocat, ni aucun autre milicien de mes connaissances. Ce sont plutôt mes supérieurs qui font la justice, et de manière assez sévère." Johann avait dit tout cela d'un ton assez neutre, alors que la sévérité qu'il mentionnait effrayait bien des moscovites.

Johann se concentrait de nouveau sur son travail. Le trou était presque complètement réparé et les statues étaient en partie propres. L'atmosphère commençait à s'assombrir - le soleil n'était pour autant pas près de se coucher. C'est alors que Johann reçut une goutte de pluie sur la tête. Il leva le visage au-dessus de lui. Les nuages d'orage qu'ils avaient aperçus au loin s'étaient rapprochés à toute vitesse et recouvraient à présent le ciel. Des gouttelettes tombèrent.