Johann s'était réveillé avant l'aurore. Un entraînement draconien l'avait habitué aux horaires des miliciens depuis de nombreuses années. Les dernières emprises du sommeil se dissipaient. Il avait déjà fait sa toilette et s'était préparé. Il s'assit sur un tabouret de bois non loin de son lit et, songeant à la journée à venir, regardait sa chambre tout autour de lui sans vraiment la voir, car il l'habitait depuis assez longtemps pour en connaître par cœur chaque détail.

Johann se leva et ouvrit la fenêtre afin d'aérer sa chambre quelques minutes grâce à la fraîcheur de la journée moscovite. Il rallumerait un feu de cheminée plus tard ou le soir pour se réchauffer, comme il en avait l'habitude. Au moment ou il abaissa la poignée et tira vers lui les deux grands vantaux, une musique en provenance de l'église lui parvint aux oreilles. Johann ne reconnut pas la mélodie, jouée par de l'orgue, mais elle ne lui déplut pas.

La musique se réverbéra une dernière fois dans l'édifice et Mikhaïl rouvrit les yeux en souriant ; le son était fabuleux. Cette église manquait de couleurs mais elle avait un très joli son. Par contre, il y avait trop de poussières dans la salle. Le prêtre se leva et partit en quête d'un chiffon. Son sermon de la messe du dimanche était déjà prêt, il lui fallait bien s'occuper entre deux prières. Son objectif : s'approprier l'endroit en comprenant son ambiance.

Johann s'était levé de son banc le dernier, mais personne n'y avait vraiment prêté attention, étant donné que tout le monde ne le connaissait que de vue. Il était à présent seul avec le prêtre. Celui-ci avait un regard bienveillant. Johann répondit poliment, sur un ton calme. "Enchanté également, mon Père. J'espère que travailler dans cette église vous plaira. Oui, j'habite ici depuis des années. Je suis milicien."

Johann avait remarqué le brusque changement d'expression qui était rapidement passé sur le visage du prêtre. Il se dit que cela était certainement dû à son statut de milicien, qui en effrayait et rebutait plus d'un. Cependant, il ne laissa transparaître la moindre émotion. Ce contrôle de soi ne lui était d'aucune difficulté, car il s'exerçait depuis des années à maintenir un visage impassible dans les circonstances les plus difficiles, voire parfois dangereuses.

Le type n'avait pas daigné comprendre son subtil message. Il ne se barrait pas. Mikhaïl inspira doucement et se rappela que la Maison de Dieu était ouverte à tous ses fidèles. Le tonnerre éclata soudainement dehors. "Il faisait si beau..." se désola le prêtre avec une petite moue. L'orage tombait dru maintenant... et une goutte lui chatouilla d'un coup le nez. Micha leva une tête effarée vers le plafond qui fuyait et ferma les yeux. C'était un signe divin ou il en perdait son latin. "Vous savez réparer un toit ?" demanda-t-il au milicien du bout des lèvres.

"Euh... je devrais pouvoir faire quelque chose", répondit Johann, aussi pris au dépourvu par la question du prêtre que surpris par la pluie qui s'était subitement infiltrée. "Pendant mon entraînement à la milice, on nous avait appris à nous débrouiller pour nous tirer de toutes sortes de situations. J'ai quelques bases en bricolage et je suis assez agile donc... Je peux toujours essayer. Vous pouvez m'indiquer comment monter ? Par où faut-il passer ? "

Johann songea vaguement qu'il pourrait conseiller au prêtre de trouver quelqu'un de plus expérimenté et surtout de plus professionnel que lui pour réparer ce toit plutôt que de revenir le surlendemain, mais il avait dit être d'accord pour apporter son aide, et de plus, cela ne le dérangeait pas le moins du monde. "Je m'appelle Johann Zatmeniye. Vous pouvez m'appelez Johann, Père Mikhaïl. Je pourrai revenir mardi si vous le souhaitez, bien sûr."

"À mardi", marmonna Johann, doutant que le prêtre l'écoutât, puis il tourna les talons. Les deux hommes ne se jetèrent pas un seul regard lorsque le milicien quitta l'église. Il se demanda quel genre d'homme était ce Père Mikhaïl. Puis l'homme d'Église lui sortit de l'esprit. Johann avait beaucoup à faire, et le plus important de son travail devait se faire le soir, la nuit et le dimanche, en dehors des horaires qu'il partageait avec ses collègues et à l'abri des regards indiscrets.

Au terme d'un dimanche et d'un lundi qui furent tout sauf reposant, Johann se rappela que des travaux de réparation de toiture l'attendaient à l'église, tout étrange que cela pût paraître pour un milicien. Il songea qu'il valait mieux rentrer se changer pour troquer son uniforme contre une tenue plus adaptée avant de rejoindre le prêtre. Ce fut donc avec des vêtements civils simples et discrets qu'il retourna à l'église un mardi, ce qui était relativement inhabituel pour lui.

"Bonjour, répondit Johann en s'adressant aux trois hommes. Nous n'avions pas convenu d'une heure en particulier", ajouta-t-il d'une voix polie mais dénuée d'émotion. Il décida d'ignorer la froide ambiance qui planait entre lui et ceux d'en face, et d'aller directement à l'essentiel. Plus vite fini, plus vite parti. "Je ne possède pas du tout d'outils. Mais je suppose que vous avez, quelque part dans l'église ?"

Johann s'avança sans un mot et saisit l'échelle à deux mains afin de la soulever, indiquant tacitement qu'il souhaitait apporter son aide pour transporter l'imposant objet. "Deux hommes ne seront pas de trop", marmonna-t-il. "Merci de votre aide, ajouta le milicien aimablement à l'adresse de Nikolaï et Piotr. Vous travaillez avec le Père Mikhaïl ?"