Je venais de finir ma journée et me dirigeais vers ma chambre quand j'entendis en passant devant le foyer des adultes, un doux son de piano. Je poussais la porte pour mieux entendre et entrais discrètement dans la pièce !

Je reconnus rapidement Luca, un de mes collègues qui plus est professeur de langue également. Mon entrée ne le dérangea pas le moins du monde et je pris appuie contre le mur pour l'écouter jouer. Ça m'allait bien comme activité, écouter en silence la musique du piano... Je n'ai jamais été du genre à me lier ou à passer mon temps avec les autres pour discuter.

Je souris à la salutation et répond par un "Hey !" nonchalant. J'ai toujours adoré son accent chantant mais en même temps, j'ai toujours aimé le son des différentes langues. Surtout que ma mémoire me permet d'en parler un bon nombre. J'ai perdu le compte, il y a quelques années. "Je ne voulais pas déranger..."

Il se décale sur le petit banc devant les touches du piano pour lui faire de la place et tapote le coussin de cuir d'une main, l'autre n'ayant pas quitté le clavier. "Tu ne me dérange pas. Viens t’asseoir." qu'il propose gentiment. "Tu as finit tes cours de la journée ?"

A sa demande, je le rejoint et prend place à ses côtés. "Yeap, juste à l'instant et j'allais dans ma chambre quand je t'ai entendu." Pensive, je regarde les touches, je connais par cœur nombre de partitions pour les avoir lu sans toujours le vouloir, mais cela ne veut pas dire que je sais jouer ! "J'ai toujours aimé t'écouter !"

Il sait pourquoi je retiens ses mélodies, il sait aussi ce que c'est de ne pas forcément contrôler un don qui agit en permanence et qui ne nous pas de repos. Et comme moi, il est plutôt discret et calme. Du coup, c'est l'une des rares personnes que j'apprécie vraiment. "Pourquoi pas." J'aime la sensation des touches sous mes doigts. "Mais aide moi, tu sais que je ne suis pas douée." C'est vrai connaître les notes ne veut pas dire savoir quand les jouer...

Sa main posée sur la mienne me fait rougir même si je sais bien qu'il n'y a rien de plus derrière ce geste destiné seulement à m'aider. Je tente de l'accompagner, me rendant bien compte qu'il joue lentement pour me laisser le suivre mais le tout n'a rien de mélodique. C'est très scolaire... "Faut croire que je ne serais jamais musicienne."

En fait, je ne suis pas mécontente de ne pas avoir toutes les mémoires, j'aime avoir des failles. Et puis, j'en ai déjà assez bavé comme ça avec les restrictions que comportent ma mutation alors je n'imagine même pas s'il avait été plus puissant. Je n'ai jamais tenté d'aller plus loin et de pousser mes limites... Je sens bien que mes joues sont toujours rosies à cause du contact entre nos peaux. "C'est pas plus mal", je réponds en fuyant son regard pour qu'il ne remarque pas ma gêne.

Enfin, il lâche ma main que je sens soudain froide, sans la chaleur qu'il lui procurait. A-t-il remarqué ma gêne, je ne sais pas et je n'arrive pas à savoir si c'est mieux comme ça. En tout cas, je joue encore moins bien ainsi donc au moins pour nos oreilles c'est une perte. "Va savoir, comme je n'ai jamais essayé..." Il m'a fallu déjà tellement longtemps pour accepter ma mutation et aussi le fait que je n'étais pas un monstre. Peut-être que plus tard...

Il la regarde jouer en souriant et finit par lui prendre à nouveau les mains, pour les enlever des touches cette fois. " Tu n'es pas concentrée et tu fais souffrir ce pauvre vieillard." qu'il dit sur le ton de l'humour. "Je crois qu'on l'a assez torturé pour aujourd'hui. Tu as mangé ?" Il l'a relâché et commence à rassembler ses affaires.

"Allons-y, avant que tous les autres n'arrivent. Ensuite on ira dans le parc pour éviter la cohue." Lui non plus, il n'est pas un grand admirateur de la foule. Il récupère son blazer qu'il tient par dessus son épaule, et sa mallette dans son autre main. "Enfin, si tu a faim ?" Qu'il rajoute tout en quittant le banc, ne lui ayant pas demandé en fait.

Pour le coup, c'est carrément un petit rire qui m'échappe quand il me demande si j'ai faim. "Béta, je viens de te demander si tu voulais qu'on y aille." Et puis, il a raison, je n'ai aucune envie d'aller manger en même temps que tous les élèves et le reste de nos collègues. Pas que j'aime pas les enfants, au contraire. Mais il y a des soirs, comme ça où j'ai envie de retrouver ma solitude, enfin demi puisque Luca est avec moi. M'enfin, y a pire comme présence !

Je n'ai pas voulu le mettre mal à l'aise et j'espère qu'il le sait... En tout cas, c'est en silence que nous rejoignions le réfectoire ce qui me fait quelque peu regretter ma remarque. Je ne suis décidément pas très douée pour les relations humaines... Après m'être servie et avoir pris place à côté de lui sur une des tables, je ne peux m'empêcher de m'excuser afin d'arranger la situation. "Hum, excuse-moi, je ne voulais pas me moquer !" Les moqueries, ça me connait et je sais combien ça peut être blessant !

"Te moquer ? Quand t'es tu moqué ?" Il n'a pas l'air de saisir de quoi il parle. Il a l'habitude d'avoir la tête dans la lune donc il ne considère pas vraiment qu'elle s'est moquée. Il incline un peu son minois et fixe ses grandes iris grises curieuses sur elle.

Au moins, ce n'est pas ma remarque maladroite qui l'a rendu silencieux, cela me rassure. Je soupire, relâchant ainsi la tension qui m'habitait depuis quelques instants. "Laisse tomber, j'ai cru... mais tant mieux si ce n'est pas le cas." Un doux sourire creuse deux fossettes dans mes joues alors que je le regarde. " Je plante mes prunelles azur dans les siennes sans m'apercevoir que je fini par m'y perdre au point d'en oublier la notion du temps.