Rappel du premier message :



Assis sur le muret de la fenêtre de sa chambre, le jeune homme observait sans mot dire le papier qu'il tenait délicatement entre ses griffes limées plus à taille d'ongles humains, et plus maniables en conséquence. Ce n'était pas les seuls changements qui avaient accompagné la nouvelle année à son compte de vie. Teints en noir, ses longs cheveux réhaussaient son ascendance abénaquie... là où ils camouflaient sa mutation ; Charybde était toujours préférable à Sylla.

Aucun des deux serait l'idéal, mais la réalité s'avérait souvent décevante à ce sujet.

Cayden soupira doucement à cette pensée et rangea avec délicatesse le papier dans une pochette sur son bureau. Laisser le vent jouer avec ses plumes lui rappelait bien trop qu'il avait dû s'attacher les ailes et les retrices pour réussir à enfiler le manteau qui les cacherait aux yeux inquisiteurs. Depuis les évènements de la Voûte - il frissonna à ce souvenir - il valait mieux pour un mutant de faire profil bas en allant en ville.

Mais il avait besoin de recherches, de réponses, à propos du plus grand des changements potentiels, et il sauta avec détermination du muret.

Cayden camoufla sa moue dans ses plumes. Il ne se sentait toujours pas en phase avec sa légitimité à acquérir cet héritage mais... oh ! Ses yeux s'illuminèrent d'Eurêka : il pouvait tout simplement être curieux, et aviser plus tard ce qu'il ferait de la connaissance. "Peut-être par le commencement." La pointe d'espièglerie était à nouveau perceptible alors qu'il ouvrait le livre le plus historique du lot pour commencer à parcourir le sommaire.

« Un point de départ éminemment logique », approuva Katja. Elle-même se chercha un ouvrage rédigé en anglais, langue qu’elle maîtrisait nettement mieux que le français. Dommage qu’il n’y ait pas de livres en allemand, mais il fallait bien dire qu’il n’y avait pas eu énormément de colons germanophones en Amérique du Nord, à l’exception peut-être de la Pennsylvanie, peu pertinente dans le contexte de leurs recherches.

Après un moment de lecture, Cayden releva timidement : "Il semblerait que mon père provienne des Abénaquis de l'Est, historiquement installés dans le Maine." En découvrant leur alliance de plus d'un siècle avec les Français, il comprit mieux l'ampleur des livres dans cette langue qui se trouvaient dans sa pile. Ses yeux papillonnèrent d'humidité quand il lut que la rougeole et la variole avaient décimé des villages entiers et fortement réduit les populations abénaquises. Puis il grimaça en pointant de la griffe un paragraphe : "Ce sont des spécialistes de la tannerie.Ce n'est pas vraiment mon fort..." Il pleurait à l'idée de manger un animal.

Elle sortit de sa lecture pour écouter les trouvailles de Cayden au sujet de sa famille. Et en effet, vu sa réaction à l’idée de tuer une fourmi pour se déparasiter les plumes, elle doutait qu’il se découvre une vocation de tanneur… « Non, sans doute pas… Mais ils doivent aussi avoir d’autres formes d’art ou d’artisanat plus à ton goût, non ? » Et puis, s’ils étaient de toute façon des spécialistes en tannerie, un tanneur de plus ou de moins ne ferait pas la différence, si ?

"A mon goût..." Cayden fronça des sourcils en tirant légèrement la langue comme si ce mot ne lui plaisait pas. "On dirait que je fais mon choix dans le menu d'un restaurant... ce... ce n'est pas..." Respectueux, mais il savait que Katja ne voulait pas le dire comme ça et ne voulait pas la blesser en semblant l'accuser de le faire. "Ce n'est pas ma recherche."

Sa maladresse linguistique avait encore frappé. C’est fou comme après plus de dix ans elle parvenait encore à choisir les mauvaises connotations. « Non, je sais… Désolée, ce n’est pas comme ça que je voulais dire. Je veux dire… Quelque chose qui te parle ? Qui t’inspire ? Résonne ? » Son meilleur allié dans ces moments de doute : le grand jeu des synonymes et semi-synonymes dans l’espoir que l’un d’entre eux fasse mouche.

"Oh..." Il rougit violemment de ne pas avoir pensé qu'il ne s'agissait que d'une erreur linguistique. Mais quel ami indigne ! Etait-il réellement son ami ? Il ne connaissait pas Katja depuis longtemps et il lui demandait toujours de l'aide ! En profitait-il ?... Oh non ! Il ne voulait vraiment pas faire ça ! "Je... je suis désolé... Je... j'aurais dû... sa... com... ne pas croi..." Il n'arrivait même plus à former ses phrases et baisser la tête dans sa collerette de contrition ; il y avait du chemin à parcourir pour réussir à cesser de se sentir aussi émotif à chaque interaction.

Non non non, ce n’était pas ça le but ! Cayden avait semblé s’apaiser et prêt à se lancer dans ses recherches, et maintenant elle l’avait complètement chamboulé ! « Non non, t’inquiète, je l’ai pas mal pris. Au contraire : hésite pas si je dis parfois des trucs pas clairs ou bizarres. Je préfère ça plutôt que mettre cinq minutes à réaliser qu’il y a un malentendu. » Et elle devait vraiment se calmer sinon elle n’allait réussir qu’à encore plus mettre les nerfs de Cayden en pelote. Inspire, expire, Katja, même si l’oxygène n’est pas indispensable.

Et voilà que sa panique la chamboulait ! Il...

STOP !

Cayden ferma les yeux avec force pour hurler ce mot à son esprit avant de prendre une grande inspiration qu'il expira jusqu'au bout, refaisant l'exercice encore deux-trois fois afin de se calmer.

Il avait dix-huit ans maintenant, et il avait décidé de ne plus se laisser dominer par ses raz-de-marée. Ses émotions étaient vives, certes, mais il pouvait éviter de s'y noyer. "Reprenons à zéro." proposa-t-il doucement, un élan de nervosité encore présent. "Oui, l'art m'inspirerait plus. Je pense emprunter l'ouvrage spécialisé dessus."

Merci, Cayden, d’être l’adulte du duo, il fallait bien que quelqu’un le soit. Reprendre à zéro était sans doute la meilleure chose à faire. « Bonne idée de l’emprunter. On peut emprunter les livres pour un mois ici, pronlongeable une fois de deux semaines. »

"Super ! J'aurai largement le temps d'étudier en profondeur ce style artistique." Il fredonnait de joie quand il se rendit compte qu'il n'avait pas de carte de bibliothèques pour cet endroit, et qu'il ne se sentait pas vraiment d'aller en chercher une avec tous les papiers que cela allait demander. "Puis-je demander encore une fois de l'assistance, Katja ?" Il plaisantait à ce propos, mais une partie de lui continuait de murmurer au profiteur.

Ravie de voir l’enthousiasme de Cayden revenir, Katja ne se fit pas prier et répondit avec un grand sourire (sincère) : « Mais bien entendu. » Elle n’avait pas tiré l’autre mutant de son havre de paix et de sécurité pour le planter là et lui dire de se débrouiller.

Un immense sourire illumina le visage de Cayden. Les signes d'amitié lui réchauffaient toujours le coeur, et il n'allait pas faire l'affront à Katja de douter de son aide désintéressée en se croyant coupable de ne rien rendre en retour ; une relation amicale ne devait pas reposer sur un système de redevances, il le savait pertinemment.

"Je pensais me lancer dans des études artistiques, quand j'aurai terminé mon année Senior de secondaire." dit-il soudainement, le regard un peu rêveur. Son cerveau faisait parfois ça, de sauter du coq à l'âne. "Et je me demandais ce que ça faisait, d'enseigner." Voilà le wagon pour rattraper sa logique.

Bigre, vaste programme. « C’est… très contrasté. Parfois, c’est très gratifiant de voir qu’on a donné le goût d’une matière à un élève, d’autres fois c’est frustrant de devoir simplifier à outrance parce que les concepts détaillés seraient trop complexes. Et faire face à l’apathie de certains est frustrant aussi. Pour certains de mes collègues, c’était une vocation, pour d’autres, comme moi, une solution pratique en attendant mieux. Après, je pense que ça dépend fort de la matière aussi : j’ai été maître nageur pendant mes études et je préférais de loin donner des cours et stages de natation aux cours de bio et chimie en high school. »

"Mmh..." Ce n'était pas un son d'ennui, loin de là, Cayden était plutôt plongé dans une intense réflexion ; il essayait de s'imaginer dans ce rôle. "Je pense que..." Il grimaça légèrement, un léger rire au fond de la gorge. "Que je risque d'être trop timide ou sensible pour..." Il se gratta la joue sans finir sa phrase, soudainement intimidé. "Mais j'aimerais bien... euh... participer à la découverte de soi, pour les jeunes... euh... les aider, les guider... sans imposer une voie à suivre... et euh... l'art, c'est un peu ça... Chacun y trouve son propre chemin." Il se mordilla la lèvre. "Et j'aimerais bien... euh... à l'Institut..."

En effet, si Cayden faisait face à une des anciennes classes de Katja avec ces hésitations, il se ferait manger tout cru. C’était bien dommage, car ses ambitions révélaient qu’il pourrait faire un excellent prof. Peut-être l’Institut était-il différent ? « Hmm, je ne connais pas l’Institut, mais se découvrir, s’accepter comme on est est important pour tous les ados… mais plus délicat encore pour les mutants. Tu pourrais faire beaucoup de bien à tes élèves. » Elle le pensait réellement : malgré le soutien de sa famille, ce n’était qu’en explorant sa mutation avec d’autres mutants qu’elle avait réellement commencé à se sentir bien dans sa peau.

Un sourire encore timide étira ses lèvres. Mais son coeur se sentait plus confiant, malgré son hésitation, par l'acceptation facile de Katja qu'il pourrait y arriver, que ce n'était pas une porte qui lui était fermée. "Mais je dois travailler sur la gestion de mes émotions. Et..." Il fixa à nouveau les livres devant lui qu'il caressa d'une griffe délicate avant de murmure doucement : "Et me trouver moi-même..."

Et ça ne se ferait pas en un jour, mais quel jeune de 18 ans n’avait pas encore un certain travail à faire sur lui-même ? Au moins, Cayden semblait lucide à ce sujet. « Hmm, oui. Mais tu es dans un plutôt bon environnement pour le faire… non ? » Elle avait beau trouver le professeur X un peu… naïf, les échos qu’elle avait eus concernant l’Institut n’étaient pas mauvais (sauf qu’il poussait la vision du monde du Prof X, mais on pourrait aussi reprocher à la Confrérie de pousser celle de Magnéto). En ce sens, renouer avec des gens non-liés à l’Institut ne pouvait être que bénéfique pour Cayden, puisque cela élargirait sa vision du monde.

Cayden resta songeur un moment avant de fixer sur Katja un regard inhabituellement franc et long. "Le pensez-vous vraiment ?" demanda-t-il doucement, comme s'il tendait une griffe prudente vers un oiseau farouche.

Oh la question-piège. Le premier réflexe de Katja était un mensonge rassurant, mais cette technique s’était avérée peu concluante avec Cayden. Elle opta pour une honnêteté plus mitigée : « Je ne connais pas assez bien l’Institut pour en être sûre. Mais de ce que j’en ai entendu, c’est un endroit relativement sûr pour permettre à des jeunes (et moins jeunes) mutants de se faire à leur mutation et de se développer de manière plus générale… » « Mais dont l’existence dépend du bon vouloir d’une bande de politiciens peu fiables » planait, implicite, dans la phrase inachevée et la sûreté « relative » de l’Institut.

Il détourna les yeux pour fixer la fenêtre au loin, ses ailes frissonnant un peu dans leur désir de se libérer. Cayden était bien placé pour savoir qu'un regard fixe quand on demandait à son interlocuteur d'être entièrement ouvert pouvait intimider et n'amener que du malaise. "Ce qu'on entend des autres n'est pas forcément ce que l'on pense soi-même." murmura-t-il avec délicatesse, espérant que Katja comprendrait qu'il ne forcerait pas une réponse de sa part.

Elle haussa les épaules à cette nuance : « Comme dit : je connais mal l’Institut. Je n’ai pas vraiment d’autres éléments que ceux qu’on me rapporte. Et mes propres observations que l’institut a l’air assez sûr pour te maintenir en sécurité, assez varié pour te permettre de trouver ce qui te passionne et assez ouvert pour te permettre de creuser tes origines si tu le désires. »

Sa collerette se déploya encadre ses joues, amenant leur chaleur réconfortante et leur douceur apaisante ; un certain malaise persistait. Cayden sentait qu'il y avait de la restriction dans le discours de Katja, et s'en désolait, mais ne s'en étonnait pas vraiment. Pourquoi devrait-elle s'en ouvrir à lui ? Ils ne se connaissaient pas si intimement qu'une telle confiance le nécessiterait. Et lui-même ne retenait-il pas dernièrement des éléments dans ses discussions avec Dylann ? Il grimaça à cette pensée. Il n'y avait pas vraiment prêté attention, et s'en voulut aussitôt ; il allait devoir y remédier au plus tôt.

Avec ses plumes qui cachaient en partie son visage, difficile de déchiffrer l’expression de Cayden. D’un côté, Katja était tentée de briser le silence, dire quelque chose pour le rassurer d’une manière ou d’une autre… De l’autre, elle n’était pas certaine que ça soit la meilleure chose à faire actuellement. Quelles que soient les pensées de son ami, mieux valait sans doute lui laisser le temps de les digérer avant de relancer la conversation.

Même perdu dans ses pensées, Cayden sentait l'étirement du silence et devina que Katja devait probablement croire qu'il était vexé ou mal à l'aise, ce qui était loin de la réalité ; il oubliait parfois que tout le monde n'était aussi serein que lui dans le silence. Et puis, s'il voulait parler ouvertement à Dylann, peut-être devrait-il commencer par comprendre soi-même ce qui le tracassait. Et rien de mieux que d'en parler à un point de vue extérieur. "La mère de Dylann m'a proposé d'être ma tutrice." dit-il subitement, la voix basse. "J'ai... euh... paniqué." Assez bien résumé pour s'être mis en boule dans ses ailes.