Rappel du premier message :



« …S’ils sont pauvres, c’est parce qu’ils sont paresseux. Et le Seigneur ne les a pas faits zootropes parce que leurs parents avaient pêché. » La beauté des Codex de loi, c’est leur poids. Raïetchka envisagea brièvement de balancer le sien à la figure du clown qui pérorait, avant de se raviser : ses mots seraient plus percutants prononcés que lancés. « Confusion entre corrélation et causalité, généralisation hâtive et homme de paille. Beau florilège d’arguments fallacieux. Et la fac de théologie c’est à côté. » Elle accompagna sa tirade de son plus beau sourire innocent, celui qui partait de ses lèvres et illuminait ses grands yeux bleus.

Oui, c’était dans le domaine du possible, en effet. Raïetchka ne jeta donc qu’un coup d’oeil plein de reproches à son frère, qui la soupçonnait de tels méfaits. « J’espère surtout que la formation sera tôt ou tard revue pour intégrer ce genre de sorties. » Et quiconque la connaissait un tant soit peu pouvait facilement déduire qu’elle ferait certainement plus qu’espérer.

Micha songea qu'il pourrait intervenir pour qu'en effet les formations de sa soeur intègrent ce qu'elle désirait. Mais il chassa rapidement la pensée. Il n'aimait pas le pouvoir, ne l'avait jamais désiré, et ne revêtait cette charge que pour améliorer la vie de tous. Et Raïetchka n'appréciait pas la moindre ingérence de sa part. "Je te fais confiance à ce sujet." lui dit-il simplement en souriant doucement. Il se retourna ensuite vers Patya. "Et vous, jeune homme, qu'en pensez-vous ?"

Patya se raidit (si c'était possible d'être encore plus raide). « Heu », commença-t-il, à nouveau pris de cours. « Je pense qu'il y a beaucoup de théorie — ce qui est très bien dans notre domaine évidemment —, mais trop peu de pratique. » Il n'en dit pas plus : la pratique à laquelle il avait toujours aspiré se résumait à l'expériences des tribunaux. Ou à minima, des mises en situation qui donneraient un bon aperçu du métier (et apprendraient à certains qu'ils ne sont pas fait pour ça).

Puisque Micha avait réussi à tirer Patya du mutisme dans lequel il s’était réfugié jusque là, Raïetchka n’intervint pas. Son frère avait habituellement le chic pour mettre les gens à l’aise (même si sa tenue actuelle ne s’y prêtait pas trop) et les faire s’ouvrir. Et elle était curieuse de ce que Patya aurait à dire : contrairement à un certain pédant horripilant, il avait jusque là été plutôt réservé.

"Vous aurez toujours besoin de théorie." Il y avait certaines situations qu'il espérait que ces enfants n'auraient pas à connaître. "Mais gardez toujours en tête le goût de la pratique. La théorie devient mauvaise quand nous l'en détachons bien trop de la réalité." Ils venaient d'arriver dans le hangar du marteau-pilon et le pape marqua un pas d'arrêt alors qu'il levait la tête de plus en plus haut pour suivre l'horrible machine qui les écrasait de son ombre. "Comme les ambitions des hommes." ajouta-t-il dans un murmure.

Patya allait répondre respectueusement par l'affirmative, mais tandis que baissait l'intensité de la voix du pape, il se trouva lui même bouche bée. La machine était colossale, jamais il n'aurait pu anticiper pareille taille. Les hommes debout à ses pieds semblèrent bien petit et surtout, bien fragile. Un étau pinça soudain son orgueil et ses certitudes.

Peut-être une grande vérité énoncée par le pape en personne méritait-elle un accueil plus conséquent que le vague hochement de tête de Raïetchka… Mais le pape en question se trouvait être son frère, et il n’avait rien dit qu’elle ne l’ait pas déjà entendu dire d’une manière ou d’une autre. Et, comme les autres, elle était assez impressionnée par l’énormité de l’engin qui se trouvait face à eux. « Comment ça marche même, une chose pareille ?! » Sa question n’était pas vraiment dirigée vers quelqu’un en particulier, plus exclamation de surprise que véritable interrogation.

"Il semble y avoir des leviers..." Mais la réponse du pape cachait sans doute un immense iceberg. Ce marteau-pilon était sans conteste une prouesse technologique. Mais le visage de Micha se pinça d'inquiétude. "Cette machine va accentuer les incidents."

Patya garda le silence. Il ne pouvait s'empêcher d'admirer la prouesse mécanique et l'inventivité des ingénieurs. Le pays entier croulait sous les machines de ce type, c'était une fierté nationale ; la taille, même, n'aurait pas dû tant l'impressionner. Pourtant, il se sentait écrasé par l'engin.
Extraordinairement curieux, il prêta une grande attention à l'homme qui entama diligemment les explications techniques pour leur petit groupe.