Une douce musique de piano s'élevait de la petite cour. Coincée entre d'autres bâtiments, elle se trouvait à l'abri de la circulation de la ville et des oreilles indiscrète ; à l'ombre du grand chêne qui y trônait, Rosario se sentait suffisamment courageux pour laisser s'élever sa voix.




La meute s'était regroupée autour de lui et de la petite radio qui diffusait la musique. Il chantait de mémoire cette chanson qui parlait à son âme, et aux tourments qui l'assaillaient. Sua Mamma lui manquait, mais il avait eu une récente dispute avec son père et refusait de plier en visitant le domicile parental.




Encore une fois, il déplorait le choix de sa mère. Même si un autre aurait aussi signifié qu'il ne serait pas là. Stss... La situation l'agaçait prodigieusement. Donc au lieu de laisser éclater sa rabbia, il chantait ce qu'il avait sur le cœur.


Alors qu'il terminait la dernière note, le silence le surprit. C'était une soirée calme, un dimanche de grisaille. Peut-être avait-il chanté un peu trop fort, s'il avait voulu rester discret.

La voix inconnue de l'intruse le prit au dépourvue. Rosario s'était bien trop laissé embarqué par sa chanson, et les émotions qu'elle charriait. Il se leva d'un bond en revêtant la peau du loup, un grondement sourd au creux de la gorge. A son signal, Puttilupo poussa deux jappements secs pour renvoyer la meute dans l'abri de la Tanière. Grandenero fut le dernier à accepter d'obéir, l'oeil inquiet, réticent à quitter ses côtés malgré sa terreur des humains.

Dos à la Tanière, le Big Bad Wolf se dressa contre l'ombre de l'intruse, le poil hérissé, mais les crocs encore cachés. "Cosa ci fai qui ?" gronda-t-il, le ton inquiétant.

"T'es parfaitement cosa penso qué t'es : un'intrusa..." bougonna Rosario en croisant les pattes. La Mama sur le toit n'exhalait aucune odeur agressive. Et la radio qui continuait de diffuser ses chansons préférées l'empêchait de se mettre réellement en colère ; la musique signifiait le calme, son corps en avait pris l'habitude. Son poil s'abaissa, comme ses babines. "T'es un peu narcime* quand même, Signora. Ci sono molte mamme nel mondo." Il ne l'en quittait pas moins des yeux, les oreilles attentives.

*narcissiste:

Rosario soupira en secouant la tête, les oreilles plaquées sur le crâne, agacé. "Non hai niente di meglio da fare, signora delle notte ?" Il se gratta derrière une oreille et renifla un "Cazzo" entre ses crocs. New-York et ses fous... Qui se baladait encore en tenue moulante de justicier ? "Ora,ho cose migliori da fare." gronda-t-il en lui tournant sciemment le dos pour aller chercher sa radio qu'il éteignit. Ses oreilles restaient aux aguets. Dans la pénombre de la Tanière, Puttilupo avait sorti la tête pour humer l'intruse. Ils échangèrent un regard tacite. Il protégerait la meute, mais interviendrait si nécessaire.

Et voilà qu'elle s'était barrée dans les ombres. Rosario poussa un long soupir entre ses crocs. "Cazzo..." ronchonna-t-il encore, dépité que cette Mama masquée ait gâché sa soirée. Déjà que la Lune était cachée par ces satanés nuages ! Il ne pouvait même plus écouter de la musique tranquille !

Et cazzo ! Elle l'avait entendu chanter !

La sua rabbia flamba dans son corps. Il jura sauvagement en sicilien. Peut-être n'aurait-il pas dû la laisser s'en tirer à si bon compte. Il avait encore son odeur dans le museau et...

Une langue douce lui lécha la main, le calmant instantanément. Rosario respira profondément. Calme, avait dit Natalia.

Pour arranger l'humeur de Rosario, il s'était mis à pleuvoir un crachin d'un autre monde. Il renifla en rentrant dans la maison, sa nuit au clair de lune définitivement foiré. Son agitation était cependant trop importante et il passa la nuit en cuisine, espérant que le temps se montre plus clément, en vain, il allait devoir se faire à l'idée de sentir le loup mouillé pour sa journée libre du lundi.

En parlant d'odeur, il se figea, le museau frémissant. La pluie emplissait son odorat mais il sentait soudainement des fleurs, et son intruse. Un grondement lui échappa, et il bondit dehors avant de réfléchir.

Un grondement sourd modula la voix du Big Bad Wolf dans des tons plus graves que ses airs mélodieux habituels. "Non sei mia mamma, intrusa." Dans son bond, il avait atterri à quatre pattes. Il se redressa de façon à surplomber la femme masquée, les oreilles couchées sur le crâne et la queue dressée en position dominante ; ses crocs luisaient quand les timides rayons du matin réussissaient à transpercer les nuages. "Pourquoi traînes-tu près de ma Tanière ?" Rosario n'aimait pas comprendre, et il était déjà de mauvais poil, alors son ton n'avait rien d'hospitalier.

Une performance ? Ses oreilles se dressèrent avant de s'agiter, perdues. "Quale ?" marmonna-t-il en fronçant du museau. Puis la compréhension se fit jour. Rosario écarquilla les yeux et tout son poil s'hérissa comme un hérisson. "COSA DI MERDA ! STAI ZITTO !"

...

Dans sa gêne, il avait juste hurlé son habituelle défense sur ce sujet en particulier...

"Rosario.exe a cessé de fonctionné." chantonnait la voix mentale de Natalia en répétant un vieux disque rouillé qu'il n'avait que trop entendu. Mais Rosario s'était réellement figé, cazzo ! Il ne pouvait même pas râler contre sa propre tête.

Ce ne fut donc pas lui qui brisa l'immobilité - hormis une oreille agitée de gêne, et d'indécision. En le voyant immobile, Grandenero jaillit de l'ombre où il se fondait jusqu'à présent et bouscula la femme masquée avant de se jeter entre ses jambes pour se rouler en boule en gémissant sous sa queue.

Puttilupo se dressa dans l'entrée, les oreilles dressées, n'attendant qu'un ordre.

La peur de Grandenero le sortit de son immobilité. Rosario grogna en s'accroupissant pour protéger la totalité du corps du grand wolfdog. Sa pensée le rattrapa soudainement et il retint un gémissement dans sa gueule ; encore une fois, la sua stupida rabbia avait frappé. Natalia n'allait pas être contente de lui.

Il jappa à Puttilupo pour lui assurer que tout allait bien et se retourna prendra Grandenero dans ses bras. Le wolfdog y était disproportionné, même dans sa forme lupine, mais il s'y lova en glapissant.

"Il a peur des humains, Signora della Notte." Il soupira, fatigué. Si elle lui faisait des problèmes... "Il me défendait."

Rosario renifla, un brin méprisant. "Tu sais pas lire, Signora ?" Il pointa la devanture du museau, là où on lisait le We're Wolves, l'Amora della cucina italiana. "E un ristorante. Et on est fermé, là." Il s'arrêta au pas de la porte, Grandenero toujours dans les bras et Puttilupo collé à ses jambes, le regard curieux posé sur la femme. "A des heures décentes, les chiens aiment les câlins." Il rentra chez lui dans un dernier reniflement.

Un grondement échappa à Rosario et il fixa d'un air mauvais l'espace qui avait été occupé par la femme masquée. Il renifla un autre grondement pour rentrer chez lui. Bizarre, mais il n'allait pas s'en énerver, il avait des choses à faire et... cazzo !! Son air suffisant lui avait vraiment tapé sur les nerfs !

Le lycanthrope dérapa dans la porte ouverte à la volée et bondit puissamment sur le toit. Ses griffes labourèrent les tuiles alors que la gravité appelait son poids déséquilibré par l'humidité.

Le museau en l'air, Rosario grogna, dépité. L'odeur de la pluie était bien trop forte. Il guetterait une autre opportunité...

Rosario n'avait pas réussi à chanter de toute une semaine, tellement il avait été au garde-à-vous della Signora della merda notte. Cazzo ! Il en avait même eu des aigreurs d'estomac à sursauter à la moindre effluve un peu semblable ; mais jamais la bonne.

Quand il s'en était rendu compte... il avait tout relâché avec l'aide de Natasha. Qui s'était bien foutu de lui lorsqu'elle avait su la raison de la consultation. (Mais c'était important de pouvoir manger des tomates sereinement, cazzo !!)

Elle lui avait fait promettre de se remettre à chanter. Alors il était là, sous une lune cette fois dégagée, à mettre son âme dans une chanson.