La brume fait encore des siennes ce matin. Elle restera probablement jusqu'à midi. Le paysage est indiscernable et laisse la petite famille dans un esprit cotonneux. Gilroy regarde avec dépit ce masque gris, cherchant à se rappeler le temps d'autrefois où il jouait avec son frère sur cette île. Ce dernier avait quatre ou cinq ans au moment de partir, il ne se rappelle de rien et a l'œil aussi neuf que la brunette à côté des deux hommes, Daniela, l'épouse de Gilroy.

"Je ne vois même pas où je pose le pied, constate-t-elle avec amusement. Comment se rend-on à l'hôtel, chéri ?"

Le chéri prend le temps de la réflexion, mener sa petite famille à travers la brume du matin pendant il ne sait combien de temps ne lui semble pas l'idée du siècle.

"Le gars du ferry a dit qu'un chauffeur passe chercher les nouveaux clients," répond-il avec un ton mesuré.

Il aurait aimé commencer les recherches sur les visions de son petit frère tout de suite mais cette brume les retarde.

Ledit-chauffeur avait encore la tête dans le c... postérieur ce matin et son premier café n'avait pas fait grand effet. Garvan avait été prévenu de dernière minute et c'est le coup de fil de l'hôtel qui l'avait réveillé. Même Kelly avait continué de pioncer dans la boîte à gants, à le narguer ouvertement alors qu'il conduisait jusqu'à la jetée (une chance qu'il connaissait la route ou son pickup aurait fait une embardée dans la mer). Quand deux silhouettes apparurent dans ses fards, Garvan coupa le moteur et sortit. "Monsieur et Madame Ó Luinigh, je présume ?"

Gilroy se positionne devant sa femme (et son petit frère) avant de jauger le nouvel arrivant.
"Ça se pourrait, dit-il d'un ton presque glacial.
- C'est notre chauffeur ?
- Et comment vous appelez-vous, monsieur ?" enchaîne Daniela, plus avenante.

Aimable... encore un client qu'il allait soigneusement éviter. "Enchanté Messieurs Dame. Je m'appelle Garvan O'Reilly et navré du retard, c'est... enfin, un imprévu. Bienvenue à Cuagach ! Avez-vous des bagages ?" Évidemment gros nœud mais mieux valait poser la question que de leur arracher les valises des mains ; déjà qu'il partait sur un mauvais pied, autant ne pas en rajouter.

It was such a small space in time
I never knew that I would find
A musical path for all to see
Anxiety into ecstasy

Il revient à ses racines mais se sent encore en terre étrangère. S'est-il donc tant habitué à la grande ville que ça ? L'homme en face n'a pas l'air d'un malfrat, il se détend légèrement.
"Enchanté, moi c'est Gilroy O'Luinigh. Voici ma femme, Daniela et mon frère Aodh."
Et il tend son bagage à Garvan pour s'occuper lui-même de celui de sa femme.

..... ils ne lui avaient pas dit que c'était un couple normalement ? Ça allait être coton quatre adultes (et une furette) dans la voiture chargée. Aussi précautionneusement qu'il le pouvait, Garvan rangea les valises dans le coffre en évitant le plus possible que ses outils rentrent en contact avec. Tout aussi galamment, il ouvrit la portière avant aux passagers, laissant le choix à qui monterait (en priant fortement que ce soit un homme, plus de chance qu'il flippe moins devant Kelly). "Je vous en prie."

C'est le chef de famille, naturellement, qui prend la place du mort. Sa femme et son petit frère seront plus en sécurité à l'arrière et lui à l'avant, aux premières loges du danger. Gilroy s'assoit donc à ses aises sur le siège avant.
"Vous êtes jardinier, Garvan ? Si je peux vous appeler Garvan."
Au village, on préférait les prénoms aux noms de famille de mémoire, pas comme en ville.

Nan mais direct, OK, lui pouvait se brosser avec du Monsieur. C'était sa mine pas réveillée du matin qui inspirait aussi peu de respect ? "Vous pouvez Monsieur" répondit-il pourtant de manière courtoise (il ne comptait pas se prendre un savon à mal parler à un client). "Je travaille effectivement comme jardinier pour l'Hôtel Lockwood depuis quelques années. N'hésitez pas à vous promener dans les jardins les jours de beau temps, c'est... agréable de profiter de l'air frais." Et de sortir de cette baraque flippante, Garvan évitait d'y mettre les pieds autant qu'il le pouvait.

Garvan… Non décidément, ça ne me dit rien.
Gilroy était trop jeune au moment de partir pour avoir des souvenirs clairs. Il se souvient vaguement de Aine ou Susan entre autres.
"Vous pouvez m'appeler Gilroy. J'espère qu'il fera beau, nous ne sommes pas en été."
Aodh aurait bien besoin de se changer les idées après toutes les visions cauchemardesques qu'il a eu. Soudain, une odeur de musc monte aux narines de Gilroy.

Le roux ne fait pas gaffe à l'odeur, il y est habitué (jusqu'au fin fond de ses chaussettes !), et reste plutôt concentré sur la route. "Les matins ne sont pas terribles mais après midi, quand le soleil se décide à pointer le bout de son nez, la vue est superbe, vous verrez" continua-t-il pour faire la conversation. "N'hésitez pas à vous promener sur l'île et de faire un tour au village, Madame devrait y trouver son bonheur. Le marché est sympathique et les gens sympas." On notait une sorte de fierté pour son île natale dans son discours.

Quelle est cette odeur ?
"Les marchés proposent des choses intéressantes ?"
Enfant, il n'y était jamais allé mais un enfant n'a pas grand chose à faire dans un marché, hormis toucher les bestiaux pour se divertir.
"Oh oui ! J'adorerais ! Est-ce qu'ils proposent de beaux talismans ou des objets ouvragés ?" demande Daniela, la plus enthousiaste de la bande.
Aodh somnole presque sur son siège et Gilroy renifle discrètement à la recherche de l'odeur.

"Des talismans ?" Pour quoi faire ? avait-il envie de demander. "Vous cherchez quel genre ? Pour les objets, oui, vous allez en trouver." Lui appelait ça des babioles bonnes à prendre la poussière, chacun ses petits plaisirs. "On arrive, voilà l'hôtel."

"Oh eh bien... Oh ! Voici le fameux manoir ! Il est charmant, très pittoresque !"
Toujours aussi enthousiaste, Daniela passerait pour la naïve de service. Gilroy y voit de la joie de vivre. Il ne dit rien de son côté mais dévore des yeux le bâtiment dans la brume avant de se tourner vers son petit frère, la raison de leur arrivée. Ce dernier ne montre aucune réaction particulière. La famille sort de voiture.

Très pittoresque ? haussa-t-il un sourcil sans faire de commentaire. Il allait sortir à son tour quand le claquement de la portière du mari réveilla la furette : Kelly sortit en trombe de la boîte à gants comme un diable à ressorts. "Qu'est-ce...?" réagit inutilement Garvan alors que la créature albinos grognait de son réveil brutal.

Une forme blanche a surgi, effrayant le jeune Aodh qui se cache derrière Gilroy, placide, tandis que Daniela s'extasie.
"Oh, est-ce déjà un fantôme ?! Nous ne sommes même pas encore entrés dans le manoir ! Mais… C'est… un rat-serpent ? Qu'est-ce que c'est ?
- C'est un furet."
Gilroy en est à peu près sûr mais il ne s'imaginait pas que les adultes apprécient ce genre d'animal comme compagnie, élevage de fourrure à la rigueur. Les mioches sont bien moins regardant, quant à eux.

Le jardinier attrapa la fureur velue avec une poigne ferme mais délicate. L'animal se contorsionna pour grimper à moitié autour de son bras, l'œil rouge toujours posé sur les inconnus. "Une furette, Kelly. Navré pour ça, je ne pensais pas qu'elle se réveillerai avant notre arrivée." Au moins Kelly ne piquait aucun scandale à se faire traiter de rat-serpent, c'était l'avantage de sa compagnie (et il fallait vraiment que Garvan se trouve une femme s'il commençait à lister des avantages d'être avec son furet !)

"C'est un nom de princesse, ça ! Bien le bonjour votre Grace" dit Daniela en faisant mine de s'incliner.
- Y a pas d'mal. Doit-on s'attendre à la croiser dans l'hôtel ? Juste pour savoir.
- J'ai pas peur ! Je sais ce qu'est cet animal, tient à signaler Aodh qui s'est remis de ses émotions.
- Est-ce qu'elle est câline ou sauvage ?"
Gilroy pose toutes ces questions dans le but de savoir à quoi s'en tenir avec l'animal, il ne faudrait pas qu'il la blesse par accident…

Kelly ? Une Princesse ? La Belle au Bois Dormant à la rigueur mais c'était tout. "C'est possible qu'elle traîne parfois dans l'hôtel mais rarement où sont les visiteurs, elle s'en méfie." Peut-être une mauvaise rencontre. "Elle est plus sauvage que câline, je le crains. Quand elle attaque, c'est qu'elle se sent menacée.... le reste du temps, elle dort."

Gilroy se prépare donc à devoir rassurer son frère en cas de rat-serpent fantôme (même si ce dernier arguerait qu'il n'a pas peur des animaux. Le pauvre est à fleur de peau depuis plusieurs semaines).
"Bon, entrons à l'intérieur avant qu'il ne pleuve. Prendriez-vous un chocolat chaud, Garvan ?" propose Daniela par gentillesse.

Et mettre les pieds DANS l'hôtel ? Ah ah, non. "C'est très gentil Madame O'Luinigh mais... heu... j'ai dû travail vous savez et j'ai, uhm, déjà mangé avant de venir. Mais c'est très gentil à vous." Il essaya un sourire engageant pour décliner le plus professionnellement possible l'invitation. Et non il n'avait pas peur, c'est juste que.... puis il n'avait pas à se justifier !

La petite famille entre donc dans le manoir, laissant leur chauffeur dehors, et ils y passèrent la soirée sans sortir.
Le lendemain matin, un bout de soleil pointe son nez et Gilroy y voit l'opportunité de s'aérer les esprits avec Daniela et Aodh. En ville, ils n'ont pas de jardin, pas d'air pur.
"Cela me rappelle des souvenirs. dit-il en se souvenant de ses visites furtives d'enfant. Le jardin était plus délabré."
Voilà qu'il revoit le jardinier, il lui fait signe.

Garvan en était à suer sa peine du matin à déraciner tant bien que mal un arbuste de ronces quand des visiteurs se pointèrent à l'horizon. Le roux grommela dans son début de barbe après ces clients qui venaient spécifiquement LÀ où les jardins étaient encore en friche... puis reconnu ceux qu'il avait escorté la veille. "Oh, Madame et Messieurs O'Luinigh, comment allez-vous ? La nuit fut reposante ?" demnda-t-il poliment avec une légère appréhension à leur réponse.

Pas vraiment à en juger par les valises sous les yeux de Gilroy. Que Garvain ne s'inquiète pas : il n'aura pas à les porter celles-ci. Ce n'était pas son épouse qui l'avait épuisé mais bien son petit frère. Gilroy avait (tenté) dormi avec son petit frère pour rassurer ce dernier mais Aodh avait été très agité toute la nuit.
"Est-ce qu'il y avait un chien ici ?"
Dans ses souvenirs, il y avait un chien… marron.

Les (faux) soupçons de Garvan se confirmaient et le sujet hôtel qui continue de faire flipper la nuit" fut aussitôt bouclé. Clap de fin, rideau. ..... Même si le nouveau sujet apporté par le mari lui était encore moins réjouissant. "Quand mon père travaillait ici oui. Il y avait toujours son Irish Terrier, Colin, mais il est décédé il y a deux ans. Le bougre a eu une belle vie et s'est simplement endormi un soir devant la cheminée pour ne plus se réveiller." Le souvenir de son brave ami lui serra la gorge. "Une crème avec les gosses ce chien, adorable et câlin, pas méchant pour un sous."

"Mes condoléances. Colin était un bon chien. J'aurais aimé le revoir... A propos… Est-ce que Susan est toujours à Cuagach ? Ça vous dit quelque chose ? Elle était rousse."
Gilroy espère qu'elle est sur l'île et bien vivante, sinon partie mener sa vie ailleurs.