Papa et Maman Dunne ont dits à la petite que sa grand-mère allait arriver par le ferry mensuel qui accotait sur l'île. L'idée de la rencontrer l'excitait tout particulièrement, d'autant plus qu'elle avait récemment perdu une dent ! Elle avait tellement envie de lui montrer sa dents de lait avant que la fée des dents ne l'emportât en échange d'une pièce. Comme Papa et Maman Dunne l'avait si bien raconté !

Une quenotte sous l'oreiller = une pièce au petit matin !

Aìne était fière de savoir si bien compter !  Elle avait hâte de raconter ce calcul enfantin à sa grand-mère.  Grand-mère qui lui avait laissée une impression forte la première fois qu'elle l'avait vue même si sa mémoire d'enfant se trouvait un peu embrumée.  La jeune fille gardait chaudement sa dent de lait dans une petite poche bariolée cousue par un artisan.  Elle savait déjà quoi faire de cette pièce que lui apporterait la fée des dents. Elle irait à la droguerie réclamer des sucreries !!

Habillée d'une robe-salopette verte foncée et d'un pull blanc, Aìne attendait patiemment sur un petit remblai de pierre près de la jetée du quai l'arrivée du fameux ferry qui portait aussi les nouvelles de l'extérieur.  Son regard était intensément fixé sur l'horizon brumeux quand, soudain, émargea le bateau en fer. Comment il flottait d'ailleurs ? N'était-t-il pas censé couler ? Bah, elle demanderait à mamie, c'est la plus intelligente de toutes les mamies au monde !

Le couple dépareillait sur le ferry, malgré le petit nombre de voyageurs. Faélàn rit derrière sa main gantée et se pencha sur le bras de son mari. "Nous sommes une attraction." minauda-t-elle avec un sourire lumineux qu'il lui rendit, la bosse de ses pommettes n'en faisant que plus ressortir ses tâches de rousseur. Ils avaient pris le soleil, avec leur dernière tournée à Sydney. Le temps de Cuagach était plutôt au crachin. Leur bronzage n'en était que plus visible.

Dès qu'elle eut mis le pied sur l'île, Faélàn laissa Pàdraic payer la traversée et, retroussant sa jupe dans une main, courut jusqu'au bout de la jetée. "Mon petit chou d'Aine !"

L'impatience la gagnait à mesure que le ferry s'approchait de la jetée ! Elle allait voir mamie !! Elle se mit aussitôt sur pied en voyant apparaître les silhouettes tant espérées. Papy et Mamiiiie ! Ils étaient immanquables, ils avaient même dorés ! Voyant Faélàn courir à sa rencontre, la petite fille fit de même. Ma'ie !!! Re'ar'e ! J'ai per'u une dent ! Sur ce, elle étira ses lèvres pour montrer ses belles quenottes et poussa sa langue vers le trou laissé par la dent manquante. Oui, elle voulait absolument partager la nouvelle !

Après avoir (fortement) serré sa petite fille contre elle, Faélàn la lâcha pour observer avec ravissement le trou de dent que lui montrait Aine avant tant de fierté. "Ohlalala ! J'espère que ta chambre est bien rangée et tes quenottes bien brossées ! Ou la fée des dents ne viendra pas." Faélàn tirailla sur les joues de l'enfant en riant. Pàdraic les rejoignit entre temps. "Cela pourrait la blesser. Mais Aine est une gentille petite fille, non ?" dit-il en se penchant lui embrasser le front.

Très fière, Aìne continua sa démonstration après avoir reçu un gros câlinou de sa mamie adorée.  Elle  ouvrit la pochette puis déplia le mouchoir dans lequel avait été sagement emballé la dent de lait. Loin d'être heurtée par la remarque, elle cherchait l'aprobation de sa grand-mère. Oui ma'ie !   Re'ar'e ma'ie, tu crois que la fée des dents l'ai'era ma dent ?   Quand Papy intervint, Aìne répondit aussitôt en zézayant. Aìne est une gen'ille pe'i'e fille ! Là voilà qui papillotait déjà des yeux pour attendrir les langues qui pourraient dire le contraire.

"Bien sûre qu'elle aimera ta dent, ma choupette ! Mais nous allons vérifier que ta chambre soit bien rangée avant de te coucher ce soir. Il ne vaudrait pas que la fée des dents se blesse !" Tout en babillant, Faélàn récupéra Aine dans ses bras, lui chatouillant sans doute le nez de ses cheveux blonds.

Contente d'avoir reçu l'approbation de sa mamie, Aìne montra sa dent à son papy, le visage à en partie caché par les cheveux blonds de sa mamie. T'as vu ? Elle est belle ! Ma'ie l'a dit ! Puis la petite fille adopta un ton plus sérieux en regardant bien en face Faèlán. Dis ma'ie. J'ai une ques'ion. Pour'oi le ba'eau en fer y cou'e pas ? Elle devait forcément savoir ! Sa mamie savait beaucoup de choses !

"Elle est très jolie, mais pas autant que toi." confirma Pàdraic avec un tendre sourire qui donnait envie à Faélàn de l'embrasser. Mais elle se retint devant leur petite fille. Ses yeux brillèrent d'espièglerie. "Les bateaux ont des nageoires, ma petite Aine ! Ne le savais-tu pas ? Ce sont des bateaux de selkies. Je t'ai déjà raconté l'histoire des selkies, tu te souviens ? Avant, les bateaux avaient aussi une coque au-dessus, mais les marins leur ont prises. Donc ils ne peuvent nager qu'avec la partie du dessus et ne peuvent plus aller sous l'eau." Pàdraic se retenait visiblement de reprendre ses bêtises sans queue ni tête.

Même Papy disait la même chose ! Il n'y avait rien de plus beau que l'approbation des adultes que la petite admirait. Mais, mamie était la personne que Aìne adorait le plus.  pa'y y dit que j'suis pu belle que ma dent ! C'est vrai ma'ie ?! Donc... les bateaux en fer étaient comme les selkies ? Les ba'eaux en bois s't comme les sekies ? Z'on cache où les peaux des ba'eau ? Z'on p't exp'orer dans l'eau z'avec les ba'eaux de fer ? Ou y se venge ?!  

Un rire agita Faélàn et elle cacha son sourire de lutin derrière sa main. Bon joueur, Pàdraic n'intervint pas pour la détromper. Au contraire hochait-il la tête d'un air indulgent ! "C'est un secret de capitaine ces cachettes, ma puce ! Mais...," Amusée, Faélàn se pencha pour chuchoter à l'oreille de sa petite fille : "On dit que les sous-marins sont la vraie forme des bateaux-selkies, obtenues par confiance !"

Ooooh ! C'est vrai ?! Le visage de la petite fille brillait comme un rayon de soleil. Aine sera ca'i'aine de sous-ma'in quand elle se'a gran'e ! Pour faire plaisir à mamie et prouver qu'elle pouvait avoir la confiance d'un bateau-selkie de fer !

"C'est un beau projet d'avenir." gloussa Faélàn. En se redressant, elle croisa le regard légèrement réprobateur de Pàdraic. Elle sourit en se penchant à son bras : "Elle a le temps de grandir." lui souffla-t-elle sur le ton de la confidence. Pàdraic n'eut qu'un petit soupir. Il souleva ensuite Aine pour lui sourire. "Et si nous allions voir cette chambre ?"

Elle gloussa quand son papy la prit dans ses bras. La gamine avait totalement oublié la condition de la chambre bien rangée. Il faut dire qu'elle avait retenue la promesse que la fée des dents appréciera sa dent et pas l'autre. Ouuups. A'ne a une b'lle ch'mbre !, déclara-t-elle avec sa frimousse adorable. C'mme le ciel s'ns nu'ge P'py, M'mie !

"Oui, oui, nous allons vérifier cela." répondit Pàdraic de ce petit ton vague, mais affectueux, qui indiquait qu'il n'avait pas tout compris au charabia de l'enfant. Faélàn lui sourit d'un air goguenard qu'il ignora de son mieux ; ses oreilles rougirent malgré son impassibilité. La maison des Dunne de Cuagach fut bientôt en vue.

Pas pratique d'avoir une dent en moins ! Elle avait pratiquement massacré sa prononciation cette fois-ci ! Maison !, s'exclama-t-elle en pointant du doigt la demeure de ses parents.

Ils se sourirent au bout de leurs mains jointes. La joie de la petite Aine débordait sur eux. Faélàn tendit son autre main pour ébouriffer les soyeux cheveux noirs avec un tendre sourire. L'accueil de la deuxième génération vivante des Dunne serait peut-être moins souriant... mais elle était heureuse de revoir un peu son fils.  Elle le taquinerait à peine avec les cartes de tarot... juste un tout petit peu !

Toute à sa joie de recevoir ses grands-parents, la petite Aìne ne se doutait pas des tensions sous le toit de la deuxième génération Dunne quand ils étaient là. La raison, n'était jamais explicitée pour maintenir une apparence d'entente cordiale. Les Dunne de Cuagàch n'aimaient pas avoir affaire aux médiums. Derrière la maison, la mère de Aine s'occupait d'étendre le linge d'une corbeille dehors.

Faélàn appréciait moins sa belle-fille : l'appréhension de son fils envers les médiums s'était muée en rejet de plus en plus prononcé à mesure qu'ils se fréquentaient. Mais elle ne lui ferait pas honneur de lui montrer son animosité... elle avait sa petite fierté, quand même. Tant qu'elle rendait son garçon heureux...

Pàdraic devina son humeur, car il serra sa main en souriant en coin. Elle lui tira un bout de langue dans l'angle mort d'Aine ; autant ne pas ajouter d'eau au moulin en donnant de mauvaises habitudes à la petite. "Nous sommes là !~" chantonna Faélàn en poussant la porte.

La petite Aìne décida de copier mamie en chantonnant ce qu'elle venait de dire.   Nous s'mmes là ! Nous s'mmes là ! Nous s'mmes lààààààà !  Avec son charme de sirène vacarme, elle attira l'attention de son père occupé à lire dans la gazette locale les petits potins du voisinage. Ce dernier releva la tête de son papier et le plia pour le poser sur la table à la vue de ses parents. Dia duit !* Vous voilà donc ! , fit-t-il en hochant de la tête. Le voyage s'est bien passé ?

Spoiler:

"Très bien passé." répondit Pàdraic en souriant à leur fils. Alors qu'il déposait leur valise dans l'entrée, Faélàn s'avança dans le salon avec un air de renard qui lui faisait retrousser le nez sous ses fossettes ; une expression souvent synonyme de ses taquineries. "Le bateau-selkie était en parfaite symbiose avec son capitaine."

C'esssst qu-crôa la sym-m'chin ???, demanda la petite Aìne qui ne comprenait pas les mots compliqués des adultes. Elle marchait toujours dans les taquineries de sa mamie. C'est une b'nne ch'seeee ??, ajouta-t-elle ensuite pour tenter de pêcher davantage d'informations.

"Une très bonne chose, ma puce." répondit Faélàn sans se soucier du regard fatigué de son fils concernant ses frasques. "Être en symbiose avec quelqu'un, c'est... et bien, comme ton papi et ta vieille mamie chérie : on fait tout à deux, sans se disputer, car on se comprend."

La petite fille, inconsciente du regard de son père, prit deux petites secondes pour réfléchir à ce que venait dire mamie. Cette bonne chose lui semblait être plus qu'une bonne chose. Je veux la m'me ch'se quand je serai grandeeee !, déclara-t-elle  sérieusement en gigotant dans les bras de Faelán.

Faélàn sourit doucement à sa petite fille et lui embrassa le front. "Je te le souhaite, ma puce." Elle laissait les hommes s'occupaient des bagages, s'approchant plutôt de l'oreille d'Aine pour murmurer d'un ton conspirateur : "Et si on allait voir cette chambre ?"

Un baiser de sa grand-mère ! La petite fille était aux anges. Aìne préférait la compagnie de sa grand-mère à la vision de deux hommes en train de s'occuper des valises. Pourquoi ne pas lui montrer sa chambre ! UIIIIIII ! Elle lui montrerait sa très belle chambre et ses jouets. Lui ferait jouer à ses jeux. Et mamie se prendrait au jeu comme toujours. C'est pa' là ! , s'exclama-t-elle en indiquant l'escalier.