Maksim attend de revoir la petite bergère. Elle est derrière la porte. Il est quasi sûr de ne pas s'être trompé, qu'il n'existe qu'une seule petite fille blonde fan d'appareils volants avec un gros chien de berger originaire des environs de Tomsk mais le doute est toujours possible avec cette étrange femme pilote d'avion postal.

Comment va-t-elle ? A-t-elle changé après ces deux ans d'absence ? Se souvient-elle encore de lui Saura-t-il faire la bonne chose avec elle pour la ramener chez ses grands-parents, en sécurité, loin de cette ville folle qu'est Moscou ?

Il ne sait pas trop où la loger pour l'instant. Il vit à la caserne, aucun enfant n'y sera bienvenue, quant à l'hôtel ce serait étrange qu'elle soit seule ou qu'il lui tienne compagnie. Ne reste que la maison familiale… bonjour les railleries. Le fils décevant qui ramène une petite miséreuse ET son chien.

Il doit aussi vite que possible lui trouver un train, la ramener chez ses grands-parents et rentrer. Le milicien pourra sans regret prend des jours de congé avec sa jambe blessée par balle qui l'empêche d'aller sur le terrain.

Tout d'abord, il doit se renseigner sur l'état de la fillette, ne pas faire des plans sur la comète.

Une brioche dans la bouche, Anoushka trépignait sur place alors que le boulanger finissait de nouer les paquets de brioches chaudes sur le dos de Sobaka. C'était son idée d'utiliser son chien comme poney de bas - comme ils disaient les grands - pour distribuer les commandes du matin depuis que le petit engin à vapeur du boulanger était en panne. Et le monsieur avait craqué car elle bougeait trop... et ne savait pas cuisiner sans manger la moitié de la pâte dans le processus.

"Tout est prêt. Tu as bien les papiers ?" Anoushka tapota la poche de son veston en souriant. "Ouiiii ! On y va maint'nant !" Elle bondit comme une furie vers la porte.

Une fillette blonde surexcitée surgit de la porte. Le jeune homme l'accueille en civil dans la rue.
"Anoushka ? Kitaev ? Avec Sobaka ?"
C'était bien Kitaev son nom de famille ? Les souvenirs remontent à loin.

"Et ne mange pas les brioches à distribuer, petite gourmande !" lui cria le boulanger dans un dernier avertissement quand elle jaillit hors de sa boutique. "D'acco !" hurla Anoushka dans un rire... qui se finit dans la tunique de la personne qu'elle percuta comme un boulot de canon. "Ouillle..." gémit-elle en se tenant le nez. Sobaka avait délicatement éviter le monsieur, lui, au moins. Anoushka n'aimait pas qu'il soit remarqué... d'une mauvaise façon. "D'zolée, M'sieur, je..." Son explication se perdit quand elle entendit son nom. Elle ouvrit de grands yeux. "M'sieur Bou'ine ?!!"

"J'aide un ami de M'dame Eir." expliqua Anoushka. "J'peux pas vous suive, M'sieur Bou'ine. J'dois livrer ces brioches enco' chaudes ! J'ai pomis !" Elle se mordilla la lèvre. "Mais après, c'est bon aussi ?" proposa-t-elle, la moue inquiète.

Max se tordit la bouche devant ce nouveau dilemme : faire la corvée ou ne pas faire la corvée ? La balance penche en faveur d'Anoushka.
"Est-ce que je peux t'aider à livrer les brioches ? Tu finiras plus vite comme ça et l'ami de madame Eir sera content."

"Ouiiii !" s'enthousiasma Anoushka en sautillant autour de Monsieur Bounine. Elle avait craint qu'il ne s'en reparte, comme elle était occupée ! Dans sa joie, elle se jeta à nouveau sur lui pour l'enserrer dans ses bras et lui dédier un sourire éclatant.

Sobaka, sagement resté de côté, jappa soudainement pour lui rappeler que les brioches refroidissaient. "Ah oui !" La fillette sortit un papier froissé de sa poche. "Les noms des clients. J'm'entaîne à lire, moi. Comme ça, j'peux aller à l'école de digrigeable après."

Maksim est partagé entre la joie de ressentir à nouveau ce geste d'affection et la gêne d'être surpris en plein rue par une connaissance.
"C'est très bien d'apprendre à lire ! Allez, quel est le premier ?"

Anoushka le lâcha pour observer à nouveau son papier. Dans sa concentration, elle sortit un bout de langue. "Mmh.. Adam... Pé... nan Piégri... nan... Piétrich. Ah ! Je sais ! J'ai déjà fait une fois. L'habite à la rue degrière celle-ci." Elle pointa une rue plus loin et s'y engouffra d'un pas rapide, Sobaka derrière elle.

Max trouve les mimiques de l'enfant amusantes et adorables. Il accompagne donc la boule d'énergie et son chien chez cet Adam Piétrich.
"Raconte-moi un peu ton voyage jusqu'ici ?"
Autant poursuivre la discussion en faisant les corvées.

"Euuh..." Anoushka piqua un fard et son pas se fit plus timide. Puis elle explosa d'un coup en explications pêle-mêle : "Bah en fait, j'veux juste voir l'avion de M'dame Eir d'abo, puis ya la soute qu'est ouverte - mais j'veux juste voir ! J'veux pas partir, moi, d'abo !!" Elle sautilla pour insister sur ce point. Ses bras s'agitèrent pour animer son récit. "Puis en fait, BOUM !! La soute, elle s'est fermée, avec moi, ET Sobaka à l'intégrieur. M'dame Eir, elle l'a pas vu. Donc on a fait touuuut le voyage dans l'soute avec ce pauv' Soba. TADAAA ! Moscou ! Pauv' Soba, il a eu mal aux pattes, et moi grand faim et grand pipi."

Maksim écoute attentivement son discours. Il a oublié combien la diction de la fillette était catastrophique ; heureusement il arrive à saisir le message enfantin.
"Tu es entrée dans la soute comme un renard dans un piège, je vois. Tes grands-parents devaient être aussi morts d'inquiétudes que toi."

Le pas d'Anoushka s'arrêta à nouveau. Une moue se tordit sur ses traits. "Je n'ai pas fait expès !" s'expliqua-t-elle à nouveau avec véhémence. Des larmes perlèrent aux coins de ses yeux. "Je sais que c'est pas bien, mais j'ai pas pensé que l'soute, elle se refème sur moi ! Doula et Boula doivent avoir très peur ! A cause de moi ! Et les moutons, y ont plus Soba, donc les loups, ils doivent venir la nuit. A cause de moi !" Le barrage qu'elle retenait depuis des jours commençait à s'effondrer.

Bah oui, idiote.
Heureusement pour Anou, cette pensée resta une pensée. À la place, Maksim pose sa main sur les cheveux blonds de la fillette.
"Je peux les contacter si tu veux. Ta madame Eir ne l'a pas déjà fait ?" demande Max, offrant à la fois un semblant de soutient psychologique et une solution concrète et pragmatique : ils s'inquiètent, faut les prévenir, tout simplement.

Anoushka plissa des yeux. Le visage de M'sieur Bounine avait un p'tit truc de réprobateur. Elle savait lire ce genre de visage, avec le Père Glazdov. "On a envoyé une lette. Y viennent." répondit-elle succinctement en gonflant les joues. Ce n'était vraiment pas sa faute, d'abord ! La fillette partit donc d'un pas un peu lourd pour toquer à la porte du client et lui donner les brioches avec un sourire pincé. En repassant devant M'sieur Bounine, elle regonfla les joues, décidée à bouder.

"Tant mieux alors."
Si réprobation il y avait, celle-ci est davantage dirigée vers la pilote Eir pour ne pas avoir ramener directement l'enfant à sa famille. Toutefois, ce cinéma de bouderie l'agace déjà profondément. Ne se montre-t-il pas assez compréhensif ? Il n'a pas haussé le ton ni employer de mots durs.
"Tu veux vraiment profiter de nos retrouvailles en boudant ?"
Susceptible et idiote, pense Maksim sans pitié, peu entraîné à interagir avec les enfants.

Anoushka dégonfla les joues juste le temps de faire la moue. "Ya des brioches à livrer." Et elle se concentra sur son papier froissé et sur les chemins qu'elle commençait à connaître.

Ce n'était vraiment pas sa faute, d'abord. La soute n'avait qu'à pas se refermer toute seule. C'était une erreur, pas une bêtise. Alors oui ! Elle avait le droit de bouder, un peu.

M'sieur Bounine était en fait comme le Pèrz Glazdov ! Et Anoushka sentait monter l'irrésistible envie de voir le fils Glazdov. Son Andrei lui manquait atrocement... Elle se mordit les lèvres pour garder son sourire. Il ne fallait pas se laisser abattre !

Maksim prend Anoushka à part, pose ses mains sur épaules et la regarde droit dans les yeux.
"Les brioches attendront. D'abord, tu vas me dire ce que tu as sur le cœur."

Tant qu'elle était dans le travail, Anoushka pouvait se concentrer sur sa tâche. Mais en la forçant à s'arrêter, M'sieur Bounine fit exploser les vannes. "J'veux Andrei !! Et Boula ! Et Doula !! Et les mou'ons, l'loups vont l'manger sans Soba !!" Elle se mit à pleurer à chaudes larmes.

Les passants commencent à les regarder, évidemment. Maksim se résigne à prendre la fillette en pleurs dans ses bras.
"Vas-y, pleure un bon coup dans mon épaule, personne ne te dérangera."
Au cas où, il décourage le moindre passant à intervenir en utilisant son regard noir, longuement affiné grâce à ses années de service dans la Milice.

Des sanglots secouèrent la fillette mais elle refusait de les laisser s'exprimer. "Naaaoon... les gens ici... hic... et ben, ils regadent pas gentil... hic... souvent... hic... pac'que j'fais un... hic... un peu de buit."

"Oublie les autres, il n'y a que toi, moi et Sobaka. Les pas gentils, je les fais fuir comme Baba Yaga, tu te souviens ? Et les loups ne s'en prendront pas à ton troupeau, tes grands-parents ont certainement trouvé une solution, non ? Pleure, vas-y. Sors tout ce que tu as."
D'habitude, Maksim aurait trouvé ces racontars stupides mais primo il est sûr de pouvoir effectivement décourager n'importe quel idiot de passant, secundo un berger doit pouvoir survivre sans son chien une semaine.

Le ton de M'sieur Bounine était si absolument certain qu'Anoushka se calma après deux-trois sanglots. "Padon..." dit-elle, en s'essuyant malconteusement le nez sur l'épaule de l'adulte dans son reniflement. "Et les bioches vont être foides maint'nant. J'veux faire bien et pis, v'là, ça grate."

Elle s'excuse, elle aussi...
Maksim déteste les excuses, il a toujours vu cela comme un signe de faiblesse et plus une phrase automatique qu'une pensée sincère. Sa mère s'excusait sans cesse aussi et elle pouvait le dire dans son oreiller que ça ne changerait rien.
"Pourquoi tu t'excuses ? Est-ce que tu m'as fait honte ? C'est normal de pleurer quand on est triste et c'est normal d'être triste de temps en temps," dit-il en essuyant les larmes au coin des yeux gris.