Rappel du premier message :




C'est la fin de journée. Les vagues s'écrasent en grondant sur les arêtes de roche volcanique. Cýrus a choisi un plateau surplombant la mer sur laquelle brillera bientôt l'interminable coucher de soleil de ce mois de juin islandais. Il reste une petite heure de cette clarté presque irréelle avant son embrasement. Au loin, des macareux fendent le ciel et plongent vers la mer.

Cýrus s'arrache à sa contemplation et s'assoit en soupirant dans l'herbe parsemée de jonquilles.

Tu es prêt ? demande doucement Zonda, sans le brusquer.

Le petit Esprit timide l'a accompagné depuis la maison familiale où l'attend sa sœur, seule membre de la famille dans la confidence. Aujourd'hui est un grand jour... Ou pas ! tremble Cýrus.

Non.

L'Esprit sourit et lui donne un petit coup de coude.

Mais si, t'es prêt. Allez. Sinon je m'en vais !

Cýrus déglutit. Le peu de courage qu'il avait en quittant la maison est en train de tomber en miettes. C'est maintenant ou jamais. Il inspire un grand coup et récite l'invocation. Puis il retient son souffle, terrifié à l'idée de ce qui l'attend.

Tu me lâches pas, hein ? suffle-t-il à Zonda juste avant qu'elle n'apparaisse.

"M'invoquer c'est le premier coup de souffler" claqua-t-elle des doigts et les deux mignonettes petites créatures se dissipèrent. "Mes félicitations mon grand !! Jusqu'où comptes-tu aller dans ce défi ?" Que la grande Tanis pose la question – et lui laissait donc un choix – était la preuve qu'elle respectait l'homme devant elle. Inutile qu'elle le brise maintenant que les morceaux prenaient solidement place.

Je reconnais que prendre cette décision a été long et difficile. Mais il avait été très bien conseillé et entouré. À ses yeux, son premier soufflet venait de là. De Varsha, Zonda, Cruz, sa sœur et sa grand-mère. Pourtant, il s'agissait bien là aussi de courage, même lui ne pouvait nier ça.
Soulagé par le départ des sauterelles, il prend le temps de réfléchir. J'ai peur que si j'arrête maintenant, ça me prenne encore des années pour faire le pas suivant, dit-il enfin.

"Tu sais que je vais devoir augmenter le niveau dans ce cas ? T'en faire toucher un ?" le menaça-t-elle amusée. Avant qu'il ne change d'avis, Tanis ouvrir grand les bras pour invoquer sa prochaine illusion, la fumée mauve annonciatrice émanant de ses mains pour faire apparaître... un papillon. Un joli papillon rose et noir aux grandes ailes délicates était posé sur son doigts. "Adorable, n'est-ce pas ? Et il sera encore plus beau sur ton bras."

Cyrus n'avait pas pensé à ça, à vrai dire. Il fait une nouvelle crise cardiaque, mais ce n'est pas comme s'il n'en faisait pas tous les jours depuis vingt ans ! Bon, ça ne l'empêche pas de sursauter violement, hein. Il déglutit tandis qu'un froid glacial s'empare de ses os. Il se flagelle mentalement et songe à Zonda et ses vents chauds qui lui manquent fort, tout à coup. D'ac... D'accord, bredouille-t-il péniblement. Il frotte nerveusement les doigts de sa droite, celle qu'il veut lever pour l'épreuve. Pour le moment cependant, elle ne quitte pas son flanc.

Elle aurait pu choisir pire comme insecte pour cette épreuve, qu'il soit au moins reconnaissant pour ça. La nâgi attendait que le mouvement vienne de lui, elle ne voulait pas lui forcer la main. Le papillon se contentait d'ouvrir et fermer paresseusement les ailes sur l'ongle nacré sans aucun signe qu'il veuille s'envoler ou parcourir la main blanche (Tanis lui faisait même de petits bisous invisibles, gaga de sa création).

Cyrus ne demande qu'à être gaga lui aussi. Quoique je m'avance peut-être un peu. En tout cas, il envoie très fort le signal du mouvement à son bras qui refuse encore de se soulever. Il ferme les yeux un instant, inspire et expire lentement, pense à sa sœur et sa fierté s'il parvenait à une telle prouesse. Puis il rouvre les yeux et... Oh ! sa main a grimpé de cinq centimètres ! Elle est suspendue en l'air, tremblante, et ses doigts ne cessent leur va et vient les uns contre les autres.

"Bien, très bien" le félicite Tanis. Au lieu de laisser son amour de papillon prendre son envol – et faire paniquer son jeune shaman – elle le dépose doucement sur l'avant-bras du garçon. Les petites pattes de l'insecte y restent accrochées et il continua son lebt battement d'ailes comme si de rien n'était. "Tu as vu le motif sur ses ailes ? Et ses couleurs ? Il me rappelle les vitraux de vos églises." N'importe quoi qui pouvait pousser à ce que Cyrius voit autre chose qu'une bestiole à chasser.

Il est tout raide. Tout crispé. Tout bloqué. Il essaye de penser aux vitraux des églises. C'est chouette, les vitraux des églises. C'est coloré, les vitraux des églises. Il voit des papillons de verre et de plomb en lieu et place des scènes bibliques. Il trouve pas ça joli, il trouve ça terrifiant. Dieu s'est sûrement trompé en guidant les hommes. Ou bien c'est le Diable. Il se retient très fort (encore et toujours) de secouer le bras. Et vous voulez savoir ce qui le retient ? Il ne veut pas offenser l'Esprit millénaire...

Ledit Esprit savait tout ça, lisant dans le cœur des Hommes depuis que son monde est monde. "De quoi as-tu donc peur ?" demanda-t-elle dans le vent. "C'est une créature fragile et éphémère, belle et délicate. Un serpent est bien plus dangereux" sifflota-t-elle alors que les couleuvres de sa chevelure ondulèrent sur ses épaules.

L'opheodrys aestivus aestivus est insectivore. Enfant, Cyrus a cherché toutes les espèces mangeuses de petites choses et ce serpent en fait partie. La piqûre de la chenille onomia obliqua peut tuer un homme en deux jours. Déblatérer ces données factuelles l'aide à maîtriser la frayeur qui l'habite. Il a conscience qu'il ne correspond pas au stand en matière de peurs et que la moitié d'entre elles ne sont pas rationnelles. Le problème, ce n'est pas leur esthétique, c'est leur capacité à être invisible, à se glisser sous les vêtements, à coloniser nos pauvres corps d'humains mal adaptés... Je préfère de loin les serpents.

"Uhm... je comprends. Comme toutes les bêtes, les insectes sont à la fois néfastes et inoffensifs..." Mais elle s'arrêta là, ne voulant pas insister sur les menaces du règle animal.  Au moins le temps qu'ils parlaient, le papillon n'était pas chassé. "Comment vas-tu ?"

Pas bien, répond honnêtement Cyrus dont le bras tremble. Ses poumons sont écrasés par des bouffées d'angoisses qui provoquent des vagues dans sa poitrine. Je sais qu'il ne me fera rien, mais je... j'arrive pas à rationnaliser, ajoute-t-il la voix chevrotante.

"Qui te parle de rationaliser ? Ne pense pas "cette petite bête ne me fera rien" mais plutôt "je suis plus fort que ce papillon". C'est lui qui devrait te craindre, non l'inverse." Tanis eut un léger rien. "Je suis l'Esprit du Courage Cyrius, pas la douce amie des naturalistes et autres savants qui cherchent une explication à toute chose." Traduction : Du nerf garçon !

Cyrus est confus. Veut-elle qu'il tue ce papillon pour se prouver quelque chose ? Non attends, elle a dit qu'il était magnifique, c'est pas ça. Et puis il est du genre à chercher des explications à tout un tas de chose, tout le temps, c'est son boulot. Le traite-elle de savant fou, alors ? Rhaaa c'est une façon de parler, t'es trop bête ! Il se sent stupide, mais ce petit débat intérieur a la bonne idée de prendre la place d'un petit bout de frayeur pendant une bonne minute. Je suis devenu chimiste à cause de ces petites bêtes, avoue-t-il tout de go.

"Pour t'en protéger et déplacer le problème ou leur tenir tête ?" souligna Tanis. "Les enfants se cachent sous leurs draps pour ne pas voir les monstres mais ça ne les chassent pas pour autant." Non, ça c'était son boulot. Elle virait le drap et leur donnait de quoi combattre ces chimères pour dormir enfin tranquille.

Pour me cacher sous les draps, avoue Cyrus sans détour. Inutile de mentir. Et puis il a déjà atteint le summum de la honte si souvent dans sa vie qu'il n'est plus à un aveu près. C'est pour m'en extraire que j'ai fait appel à toi.
Sur son bras, le papillon continue de battre mollement des ailes. Plus il le fixe, plus il semble détacher l'insecte de la peur qu'il lui inspire. C'est la même sensation que lorsqu'un mot, tourné en boucle dans la tête, perd peu à peu de son sens.

"Tu sais également que je suis du genre brûler les draps et ne pas simplement les cacher et les mettre hors de portée ?" haussa-t-elle un sourcil amusé. "Je resterai également jusqu'à ce que tu surmontes complètement ta peur, dus-je prendre des années pour y arriver." Tanis avait peut-être bien des travers mais elle n'avait qu'une parole... puis pour qui passerait-elle si elle-même échouait à un défi ?? D'ailleurs... corsions un peu les choses : le papillon se déplaça le long du bras de quelques centimètres sur ses frêles pattes.

Cyrus n'a pas le temps de se demander si elle allait lui coller au train à toute heure du jour et de la nuit. Il sursaute de stupeur lorsque le papillon se met en mouvement. Il serre les dents et le cordon de sa capuche. Les réflexes ont la vie dure. La tête penchée dans l'autre sens comme s'il pouvait la détacher de son corps pour l'éloigner de son bras, il fixe la bête qui grimpe. Malgré tout et même s'il n'a pas l'esprit assez clair pour s'en rendre compte, sa phobie a déjà commencé à s'effriter : il n'est pas parti en courant en secouant frénétiquement le bras.

Tanis, elle, l'avait remarquée. Souriante, l'Esprit posa sa main sur le bras du garçon et le papillon grimpa dessus et continua jusqu'à son épaule. "Je suis très fière de toi, tu progresses plus vite que je le pensais." Faisant glisser ses doigts blancs jusqu'à atteindre le dos de la main de Cyrius, elle y tapota le bout d'un ongle et une petite fourmi apparu à la place.

Cyrus ne peut exprimer l'ampleur de son soulagement lorsqu'il voit l'insecte changer de propriétaire. De même qu'il ne peut décrire le bien fou que lui procure la fierté de l'Esprit à son égard — fierté qu'il ne partage pas encore lui-même parce que son vase d'émotions déborde complètement.
Dès qu'il voit la fourmi, en plus d'essayer à nouveau de détacher son bras de son corps, il saisit sa manche avec sa main libre, terrifié à l'idée que la fourmi se glisse dedans. Et il reste figé dans cette position, ridiculement comique et digne d'un dessin animé.
Sauf que hé, des manches, il en a deux... Instant de panique intense.

Le sourire de l'Esprit lui déformerait presque le visage (je dis bien presque parce que Tanis est sublime quoiqu'il arrive *kofkof*). "Et si tu remontais tes manches plutôt, ne serait-ce pas plus simple ?" se moqua-t-elle gentiment.... en faisant poper une nouvelle fourmis.

Tanis n'a pas sitôt fini sa phrase que Cyrus est devenu blanc comme un linge. La seconde fourmi provoque un petit cri aigue qui se prolonge en gémissement incontrôlable. Pourquoi n'a-t-il pas mis ses gants, déjà ? Ah oui, parce qu'il voulait guérir. Mais il n'est plus en état de penser quoique ce soit de cohérent. Le sauve-qui-peut qui menace de s'emparer de lui compresse déjà sa poitrine.

Au moins les petites fourmis ne bougeaient pas une fois invoquées, c'était déjà ça. En rajouter une troisième maintenant serait contre-productif – et un poil cruel – alors elle le laissa encaisser le coup, s'assurant juste qu'il ne parte totalement dans une panique incontrôlable. "Tout va bien. Cette espèce est inoffensive."

Le petit chien se frotte à ses jambes et pousse des petits jappements d'encouragement. L'esprit de Cyrus est en ébullition. Il voudrait fuir et s'enfermer à vie dans son labo (même si on sait tous que ça n'empêcherait pas Tanis d'y pénétrer aussi, hinhin). Pourtant, ses pieds restent ancrés au sol. Il tremble comme une feuille et son tee-shirt est collé de sueur. Il n'esquisse pas un geste pour remonter ses manches, il ne peut pas s'y résoudre.

L'Esprit le fait pour lui, laissant ses bras nus et aucun espace possible entre sa peau et le vêtement. La troisième fourmis apparu tout de même, l'air de rien, mais resta à sa place comme ses sœurs. "Il nous faudra un peu de temps pour chasser ta peur mais tu as le courage nécessaire en toi pour y arriver" lui confia Tanis.