C'est la fin de journée. Les vagues s'écrasent en grondant sur les arêtes de roche volcanique. Cýrus a choisi un plateau surplombant la mer sur laquelle brillera bientôt l'interminable coucher de soleil de ce mois de juin islandais. Il reste une petite heure de cette clarté presque irréelle avant son embrasement. Au loin, des macareux fendent le ciel et plongent vers la mer.

Cýrus s'arrache à sa contemplation et s'assoit en soupirant dans l'herbe parsemée de jonquilles.

Tu es prêt ? demande doucement Zonda, sans le brusquer.

Le petit Esprit timide l'a accompagné depuis la maison familiale où l'attend sa sœur, seule membre de la famille dans la confidence. Aujourd'hui est un grand jour... Ou pas ! tremble Cýrus.

Non.

L'Esprit sourit et lui donne un petit coup de coude.

Mais si, t'es prêt. Allez. Sinon je m'en vais !

Cýrus déglutit. Le peu de courage qu'il avait en quittant la maison est en train de tomber en miettes. C'est maintenant ou jamais. Il inspire un grand coup et récite l'invocation. Puis il retient son souffle, terrifié à l'idée de ce qui l'attend.

Tu me lâches pas, hein ? suffle-t-il à Zonda juste avant qu'elle n'apparaisse.

Le cadre était juste parfait pour une entrée en scène encore plus parfaite. Tanis avait aisément répondu à l'appel de bonne grâce - profitez, c'est rare ! - mais de prime abord, rien ne dérangeait la sérénité des lieux. Les maquereaux jouaient toujours, les jonquilles se balançaient au vent... Puis la surface de la mer éclata en une gerbe d'eau faramineuse alors qu'un dragon des mers gigantesque en sortit, imposant et fier, le soleil couchant faisant miroiter son corps de milliers de feux indigo.

L'Esprit du Courage ne faillit pas à sa réputation. La crêtes des vagues troublées crépitent de flammèches dorées tandis que des gerbes d'eau s'abattent avec éclats sur la falaise. Cyrus doit admettre qu'il est très impressionnée par la taille et la prestance de l'apparition. Son visage, plus détendu et moins froid qu'à l'adolescence, laisse paraître son admiration.
Bienvenue en Islande, Tanis, dit-il d'une voix forte à l'immense tête bleutée qui le surplombe désormais.

Les gouttes d'eau tombant du corps du dragon faisait comme une pluie fine alors que l'Esprit invoqué plissait des yeux mauves lumineux et curieux. "Qui me demande ?" gronda d'une voix rauque la créature, son timbre roulant comme les vagues sur les rochers. "Je sens une demande particulière venir de ta part mon garçon, parle donc." (A fond dans son rôle la Tanis.)

Je m'appelle Cýrus Angantýrson, dit le jeune homme d'un ton solennel qui ne lui ressemble plus. Je, heu... bredouille-t-il malgré lui. Il se retient de jeter un regard à Zonda, inspire un bon coup et poursuit : J'ai besoin de ton aide pour me défaire de mes phobies. Il a parlé très vite, comme si son débit précipité pouvait le débarrasser plus vite encore de vingt ans de frayeur.

Oh, le mot magique ! Il aurait complimenter sa sublime mise en scène et à quel point elle était magnifique mais aborder les phobies était aussi un péché mignon de Tanis (un peu comme ces bonbons à la menthe qu'on s'enfile à la chaîne parce qu'ils sont trop bons). L'Esprit eut un léger rire et fonça sur le garçon... avant de se dissiper en une gerbe de fumée/brouillard/vaguelette noire. "Nous abordons un sujet qui me plaît jeune shaman" continua la nâgi dans son dos, revetant son apparence la plus connue. "Un défi de courage ?"

Cyrus sursaute en la voyant foncer sur lui et s'effoce de ne pas bouger tandis qu'elle s'évapore et réapparaît dans son dos. Ah ça, elle a le sens du spectacle ! Oui, répond-t-il d'une voix moins assurée qu'il ne l'aurait voulu. Il enfonce ses mains dans ses poches pour se retenir de resserrer le cordon de sa capuche qui s'est un peu défait sous l'assault de l'Esprit. Oui, répète-t-il un peu plus fermement. Dans sa poche, il tripote nerveusement sa petite bombe insecticide.

Les yeux mauves brillèrent au blanc un instant mais le sourire en coin de Tanis était de pire présage. "Bien, bien... de si petites bêtes, un grand gaillard comme toi" devina rapidement la couleuvre, comme s'il était possible de cacher ses peurs à l'Esprit du Courage. "On va débuter en douceur, tu vas me rejoindre simplement" continua-t-elle en reculant de quelques mètres.... puis faisant apparaître un scarabée bourbier d'un noir luisant de belle taille – pour cet insecte du moins – entre eux. Le défi avait commencé et Tanis veillait. "Viens, sans détour."

Cyrus bondit en arrière avant d'avoir pu intellectualiser quoique ce soit. Réflexe. Il a cessé de respirer et son poing est serré si fort sur son insecticide dans sa poche que ses jointures son blanches. Le scarabée a beau être anormalement gros, Cyrus ne peut s'empêcher de l'imaginer se glisser sous ses vêtements...
Son cerveau sait parfaitement de qui il s'agit vraiment, mais son système nerveux reste sourd aux messages rationnels.
Il ne bouge pas.

On en était donc à ce point... c'était mignon qu'il l'est invoquée en ayant peur de si petites choses. A ce stade, juste lui insuffler du courage ne fonctionnera pas, il faut qu'il se sente accompagné et Tanis prit sur elle pour créer un petit chiot noir tout mignon – et rappelant vaguement son fils Choupy dans son comportement – qui gambadait joyeusement autour de Cyrius. "Il va te protéger... rejoins-moi" lui intima Tanis alors que le chiot restait entre le shaman et l'insecte, grognant parfois contre ce dernier.

Le chiot noir comme l'ébène est adorable, encore plus lorsqu'il grogne contre la vilaine bêbête. Cyrus se concentre sur lui autant que possible... jusqu'à ce qu'il lui vienne à l'esprit que les chiens ont parfois des puces ! À cet instant, Zonda ne peut s'empêcher d'envoyer un petit courant d'air chaud dans son dos avant de se ratatiner de peur d'être réprimandé par Tanis. Cyrus déglutit, se répète en boucle que la petite boule noire, pataude et froufroutante n'a pas. de. puces. Ce n'est pas un vrai chien.
Il fait un pas. Puis un autre. Et s'immobilise. Il n'ose pas lever le regard sur l'insecte. Dépassé par ses angoisses, il ferme les yeux.

L'Esprit eu un soupir ; ce n'était que la première étape et il flanchait déjà. Tanis usa donc de son pouvoir et insuffla une dose de courage au jeune garçon en espérant que cela suffira, le cas contraire il serait inenvisageable de poursuivre le défi. "Il ne bouge pas et tu as un protecteur, que crainds-tu donc ?"

Je suis phobique !!! aurait-il hurlé à n'importe qui d'autre en train de brandir un insecte géant sous son nez. Mais il a demandé ce défi. Il veut se défaire de cet enfer. Il se force à rouvrir les yeux et curieusement, ce geste lui parait moins difficile qu'il ne l'aurait cru. Il est trop obnubilé par la distance à parcourir pour analyser la provenance de ce courage soudain. Ou même de comprendre qu'il s'agit de courage !
Je sais pas, bredouille-t-il. Rien qu'à le voir (il avance d'un pas) j'ai l'impression que dix autres me court sur la peau... ! Un sueur froide coule sur son front aussitôt essuyée par un petit vent chaud. Il avance encore.

"Il y en aura dix que si JE le veux... et je ne le veux pas. Celui-ci disparaîtra quand tu m'auras rejoins." Le ton portait un soupçon de tendresse maternelle – qu'elle réservait à Cruz le plus souvent – mais l'instant était assez dramatique comme ça pour s'épargner la peine de paraître terrifiante. Et puis comment pouvait-on craindre un petit insecte adorable et pas une femme à moitié-serpent à la chevelure de couleuvres ? La logique humaine la dépassait. "Tu y es presque, continue, encore un peu..."

Il fait un pas de plus en retenant sa respiration. Il est si près qu'il pourrait tendre le bras pour la toucher. Évidemment, il ne le fait pas. Plus qu'un pas. Encore un pas. Il est sur le point de flancher lorsqu'il sent une poussée chaude entre ses omoplates. Il expire avec un gémissement et lentement, très lentement, trèèèèèès très lentement, il avale les derniers centimètres qui lui tordent les boyaux. Il a tellement envie de partir en courant qu'un second gémissement lui échappe. Mais il ne bouge pas. Il tient bon.

"Je suis fière de toi Trésor !" applaudit Sveta Tanis alors que le scarabée disparaissait soudainement dans un petit pop comme une bulle de savon. Le chiot était toujours présent et félicitait Cyrius à sa façon (en lui jappant de contentement dans les pattes donc). "Comment tu sens-tu maintenant ?"

Un immense soulagement l'a saisi alors que le petit monstre disparaissait. Il remplit ses poumons comme s'il n'avait pas respiré depuis des mois.
Et tout à coup il réalise. Il n'a pas respiré depuis des années. Son regard remonte d'un coup à la rencontre de celui de Tanis. Il est incapable de prononcé un mot tant la révélation est soudaine pour lui. Mais dans ses yeux, brillent à la fois une fierté incommensurable et un sentiment de liberté infinie qui lui tend les bras.
Il n'est pas sorti du sable, c'est une évidence. Mais un pas réellement mesurable vient d'être franchi.

Elle était fière elle aussi, il va sans dire, mais la belle n'avait pas bâttit des siècles de sinistre réputation sur sa compassion et sa gentillesse. "Prochaine étape mon mignon ?" Cette fois, deux sauterelles d'un vert vif apparurent à deux mètres l'une de l'autre. Les insectes ne frémirrent pas d'une antenne – véritables petites statuettes de jade – quand Tanis ondula entre eux avant d'enjoindre Cyrius à en faire de même. "Encore une fois, rejoint-moi" sourit la nâgi.

Cyrus sursaute aussi fort que la première fois. Retour des sueurs froides, de la boule dans la gorge, de tout le toutim. Mais une force nouvelle bouillonne dans ses veines. Il est déterminé comme jamais. Pardon Zonda, je dois faire ça tout seul, murmure-t-il. Et merci. Sur ces mots, il révoque le petit Esprit timide qui disparaît avec un sourire. Cyrus ne l'a pas vu, il est concentré sur Tanis. Il essaye de ne pas regarder directement les sauterelles.
Un pas... Deux pas...

Les pupilles mauves s'écarquillèrent de surprise. "Et bien, et bien... je ne m'attendais pas une telle évolution" avoua-t-elle. Pourtant, rien ne changea, elle tenait son engagement : le chiot suivait le shaman en trottinant, la tête haute, et les sauterelles restaient immobiles.

Cyrus était sur le point de s'arrêter, submergé par l'aversion. Ce mots l'encouragent — c'est pas peu dire ! Lui non plus, à vrai dire. Il croyait qu'il partirait en courant comme un fou à la première apparition. Tu m'as fait quelque chose, dit-il comme s'il ne pouvait en être autrement. J'ai envie de me cacher dans une chambre stérile et pourtant je suis là... T'as forcément fait quelque chose.
Un pas de plus. La pression sur sa poitrine est immense. Il fait une pause et refoule un gémissement qui gronde dans sa gorge.

Le sourire s'élargie. "C'est exact, je t'ai fait quelque chose. Je suis l'Esprit du Courage mon petit et sais-tu à quelle condition j'accepte de suivre les demandes des shamans ?" Oh les plus puissants pouvaient la soumettre, comme ces damnés Brisemorts par le passé, mais contrôler Tanis ne voulait pas dire l'avoir de son côté et la maintenir en place devenait d'autant plus difficile.... sans parler du phénoménal retour de flamme réservé à l'impertinent une fois libérée.

Il connait la réputation de Tanis, il l'a invoquer en toute connaissance de cause. Il n'est donc pas assez idiot ou bornée pour répondre qu'elle est forcée de se soumettre à leur volonté. Mais il doit admettre qu'à cette question-là, il n'a pas de réponse. Non, répond-il en s'efforçant de faire un pas de plus sans fermer les yeux.

"Je n'aide que les personnes courageuses." Ce qui, vu sa nature, faisait sens. "Je ne créais pas le courage dans le cœur des hommes là où il n'existe pas. J'ai simplement réveillé cette petite flamme qui sommeille en toi, soufflant dessus pour que les braises reprennent mais ce feu, c'est le tien." Elle savait juste comment faire de spectaculaires brasiers à partir de pas grand chose.

Spectaculaire, c'est le bon mot. Cyrus a un petit rire nerveux. J'avoue, dit-il avec un coup d'œil rapide aux sauterelles qu'il regrette aussitôt, je ne savais pas que j'avais du courage pour... ça. Il expire bruyamment. Elles devaient être sacrément mourrantes, mes braises. T'as utilisé un lance-flammes, ou quoi ?! Parler lui fait du bien, lui permet de ne pas focaliser sur les insectes. Il parvient à faire deux pas de plus. Le chiot qui trottinent gaiement à ses pieds lui donne l'impulsion pour le dernier. Nouvelle suée dans le dos. Nouveau rire nerveux aussi.