Épreuve 4 - Esquisse - SuiteJeu 29 Avr 2021, 17:05
Kaoren
Esquisse
- La causette d'introduction:
- Voilà, voilà, j'avais promis une suite à mon début de pièce (ou plutôt je mourais d'envie d'en faire une et j'en ai parlé partout, mais en plus certains me l'ont demandé), eh bien c'est parti. C'est parti pour être foutrement long, surtout qu'il faut que je m'occupe des lectures et des commentaires à côté, donc je vais juste poster au fur et à mesure que j'écris.
Pour ceux qui cherchent l'épreuve originale, c'est juste ici : https://www.nano-roleplay.com/t3756-epreuve-4-esquisse
Et pour la séparation en actes et en scènes, j'y ai pas trop pensé au début vu que ça avait été conçu comme un one-shot (limite de temps et de mots oblige), mais on va dire que ce qui se trouve dans ma participation officielle, ça regroupe le prélude et les deux premières scènes du premier acte, et là, ce que je poste, c'est la troisième scène.
Et sur ce, enjoy !
Sable revient immédiatement, tenant Brise par le bras. Ils sont suivis de loin par Poussière et Nuage.
BRISE, à Sable
Pourquoi m’attires-tu si loin de nos semblables ?
As-tu l’âme lestée d’objets si ineffables
Qu’ils ne peuvent se dire en présence des tiens ?
SABLE
Tes souffles me sont doux lorsque tu me soutiens,
Tes songes avisés et ta parole sage ;
Tu sauras m’affranchir de ce mauvais présage
Qui me hante l’esprit depuis l’instant passé
Et que je tais d’avoir mille fois ressassé.
Je lis à Kaoren, dans mes pages de sable,
Un trop sincère amour du myrionyme diable
Qui l’enchaîne à lui-même ; il ne l’a jamais fui,
Et je doute de voir jamais germer en lui
Quelque trait de pensée qu’il ne vît en peinture
Ou la résignation d’en oser l’aventure.
Kaoren porte tant et si peu à la fois
Que j’en viens à douter de son destin parfois,
Moi qui en ai pourtant la plus grande maîtrise
Et fais danser le sable ainsi que toi la brise.
Tout ce qu’en dira Voix n’effleure mon avis
Qu’à grand peine, au regard de tout ce que j’en vis ;
Je crains, pour une fois, qu’elle se mystifie,
Car il n’est qu’au passé que l’avenir se fie,
Et jamais, semble-t-il, Kaoren n’a montré
Entre les rôles où son nom s’est empêtré
Quelque lointain désir de s’en retrouver maître ;
L’y résigner, je crois, n’en fera rien renaître.
Je l’ai mille fois tu, car l’on dirait de moi
Que le sable lui-même a failli dans sa foi,
Mais je ne saurai plus le taire une journée
Alors, si tu comprends ma hantise bien née,
Persuade-moi donc, d’un hommage parfait,
Que Voix agit au mieux et sait ce qu’elle fait,
Car je crains que le sort déçoive ses attentes
Et perde Kaoren dans ses peines démentes.
BRISE
Sable, ta dévotion n’a d’égale pour Voix
Que ta saillante adresse à questionner ses choix ;
Tu doutes en bon droit, notre Mère l’accepte
Car penser librement est l’unique précepte
Qu’elle impose à ta foi. Laisse-toi envahir
Par cette liberté sans jamais la trahir,
Et ni Cendre, ni Vent, ni Mère, ni personne
Ne jugera ta verve ingrate ou polissonne.
SABLE
Brise, tu m’adoucis comme cent vagues d’eau
En délestant mon cœur de ce pesant fardeau,
Mais je m’inquiète encore au sujet bien plus sombre
De savoir si le sort cédera sans encombre
Aux volontés de Voix. J’ai grand peine à penser,
Par quelque prédiction qu’il me faille encenser,
Que l’histoire à venir s’écrira sans blessures ;
J’ai besoin d’en parler pour que tu me rassures.
BRISE
Je vis trop loin du temps pour craindre l’avenir,
Mais je n’aurai de mots que pour te soutenir ;
Tu crains que Kaoren ne trouve pas sa place
Entre les bras de Mère, et jamais ne l’enlace
Comme il a su jadis enlacer tant de noms
Dont il n’avait connu que de lointains renoms.
SABLE
Je le crains, en effet.
BRISE
Je le crains, en effet. La pensée te tourmente,
Et tu crains désormais qu’une ivresse démente
Ait guidé notre Mère et ses choix souverains
Vers d’autres déceptions.
SABLE
Vers d’autres déceptions. C’est bien ce que je crains.
BRISE
Et tu crains de surcroît que cette manigance
Nous rende Kaoren, pour comble de malchance,
Moins libre et plus malade encore qu’aujourd’hui.
SABLE
Je crains que plus jamais il ne revienne à lui ;
C’est son âme qu’il risque en bravant cette épreuve.
BRISE
J’admire l’empathie dont tu sais faire preuve
Envers le protégé de Mère en cet instant
Où jamais son désir n’a paru si distant.
SABLE
De chacun de ses choix, il nous faut suivre l’ordre
Et laisser nos passions à la sienne se tordre ;
N’est-ce pas l’encenser que d’en bercer l’enfant
Et garder son esprit des peines l’étouffant ?
BRISE
Tu me dis une excuse afin de me distraire
D’un songe de nature autrement téméraire
Qui te pèse depuis longtemps avant ce jour,
Mais tu peux me parler sans crainte et sans détour.
Tu es encore jeune, et je te sais capable
De défier les folies dont Voix se rend coupable
Comme tu l’as prouvé à l’instant devant moi ;
Ton affection n’a rien d’un reflet de sa loi,
Et tu plains Kaoren, quand le sort le lapide,
Au seul nom de ton cœur à la guise intrépide.
Mais il n’est rien d’injuste à l’apprécier vraiment,
Et je saisis le fond de ce doux sentiment ;
Kaoren n’entend pas nos manières divines,
Mais il tient plus de toi que tu ne le devines.
SABLE
Comment donc, s’il n’a pas un vent de liberté ?
BRISE
Car tu n’as pas non plus celui qu’on t’a vanté.
SABLE
Quoi, peut-on se trouver plus libre que le sable
Qui fait périr le temps d’un flot impérissable,
Décide quels terreaux verront flore germer
Et coule entre les mains de qui veut l’enfermer ?
Je modèle à mon gré les dunes de ma lande,
J’éveille et je rendors l’enfant qui me marchande,
Je fais tomber la nuit à l’heure où je le veux,
Je choisis quels secrets passeront aux aveux,
Je sais me faire opaque ou verre translucide,
Je rhabille la chaux quand je la veux solide
Ou bâtis des châteaux voués à perdition,
Je suis le grain freinant toute grande ambition,
Je fais la plage blanche ou l’oriflamme noire,
Et je trace le bord des mers qu’on ne sait boire.
Jamais homme n’a dit avoir su me dompter,
Alors sur quels pouvoirs lui faudra-t-il compter
Pour bâtir une geôle aussi bien emmurée
Qu’elle m’y retiendra pour une autre durée
Que celle qui me sied ?
BRISE
Que celle qui me sied ? Il compte sur le vent,
Car c’est lui qui te porte encore si souvent.
Tu es si jeune, Sable, et tes ailes chétives
N’ont jamais su voler que sous nos directives.
Il te faut bien le vent pour soulever tes grains
Et les éparpiller vers de nouveaux terrains
Où tu pourras régner sur l’homme et ses fortunes.
Il te faut bien le vent pour dessiner tes dunes
Et raviver la flamme au fond de ces grands fours
Où tu viens te blottir pour laisser à son cours
Le temps qui te fondra ton cylindre de verre.
Quant aux mille secrets que tu rends à la terre,
Il faut bien que le vent les en ait arrachés
Et les ait laissés choir où tu les as cachés.
Il est vrai que parfois, ta fougue balbutie
Des élans échappant à notre minutie,
Et tu sauras un jour qui ne saurait tarder
Voler devant nos yeux fiers de te regarder,
Mais tu dois accepter, même si ça te coûte,
Qu’il t’a fallu le vent pour t’en montrer la route.
SABLE
Mais s’il me faut son aide et son assentiment
Pour jouir des libertés qu’il m’offre gentiment,
Et si tant sont guidés par son haleine prompte,
N’est-il donc que le vent qui soit en fin de compte
Libre de se mouvoir, libre de s’exprimer
Sans qu’aucune prison ne le puisse enfermer ?
BRISE
Même le vent ne fut qu’une ébauche languide
Avant que le premier de mes souffles le guide.
SABLE
Mais toi, Brise, dis-moi, toi qui nais des frissons
De ta propre personne, et toi dont nous naissons,
Toi qui nous précédas, oui, toi qui nous vis naître,
Qui saurait s’affirmer ton guide ou bien ton maître ?
BRISE
Notre Mère le peut, et je pense parfois
Qu’elle-même se courbe à de profondes lois.
Nous semblons libres quand sa guise nous l’accorde
Et trinquons chaque jour à sa miséricorde,
Mais lorsqu’elle nous laisse à nos mornes démons,
Nous prenons tous un rôle et nous y conformons ;
J’ai celui de la brise et toi celui du sable,
Kaoren a celui d’une lunaire fable
Dont nul ne sait prédire avec quelque raison
Quelle face poindra de chaque lunaison.
SABLE
À t’entendre, il paraît plus libre que nous autres.
BRISE
Comme la cape dans laquelle tu te vautres,
Sa verve amphigourique et ses yeux silencieux
Dissimulent à ceux qui l’observent des cieux
Comme il sent malgré lui que la folie le frôle
Et se trouve souvent incertain de son rôle.
Il appelle à quelqu’un qui le lui soufflera,
Lui donnera son nom, son texte et son aura
Et c’est toi qui lui tends d’une âme charitable
Ce qu’il s’en va jouer sur ta scène de sable.
Tu es pour Kaoren ce que Mère est pour moi,
Ce que je suis pour Vent, ce que Vent est pour toi ;
Tu lui montres la voie.
SABLE
Tu lui montres la voie. Mais quand je l’en délivre,
Il ne sait pas laisser son personnage vivre
Comme nous le faisons quand nous vient l’occasion ;
Que notre liberté tienne de l’illusion
Ne nous empêche pas d’en saisir chaque bribe
Lorsque la volonté de Voix nous en imbibe.
BRISE
C’est là ce qu’il lui faut apprendre maintenant.
Qu’il refuse ce droit n’a rien de surprenant,
Car il ignore tout des sentiers qu’il se ferme
Et ce qu’il trouvera s’il les suit jusqu’à terme ;
Il craint de s’égarer où ne se trouve rien,
Mais nous suivra de gré lorsqu’il comprendra bien
Que cette liberté qui lui sera soumise
Demeurera guidée par ton sable…
SABLE
Demeurera guidée par ton sable… Et ta brise.
BRISE
Il trouvera toujours des rôles à jouer,
Car bien que nous peinions parfois à l’avouer,
Nous sommes comme lui, ou du moins nous le fûmes,
Et nous nous écrivons au gré de bien des plumes.
Alors il faut lui dire avec ses mots à lui
Que cette offre que nous lui faisons aujourd’hui
N’a pas fin de le perdre en d’autres étendues
Que celle où ses ardeurs se sont déjà perdues,
Et s’il lui faut s’ouvrir à ce nouveau plaisir,
Il ne manquera pas de cordes à saisir
Pour tomber les rideaux s’il en ressent l’urgence
Et s’amarrer à nous dans ses moments d’absence.
Kaoren ne mourra pas au profit d’un tel ;
Il en émergera comme un suaire immortel
Lorsque cette journée lui semblera finie.
Vent apparaît sur le bord de la scène.
VENT
Brise, Mère demande un peu de compagnie.
BRISE
N’êtes-vous pas assez nombreux à ses côtés ?
VENT
Je n’entends pas saisir toutes ses volontés,
Mais elle veut te voir, toi plutôt que personne.
BRISE
Je vous rejoins, alors.
À Sable
Je vous rejoins, alors. Sable, je t’abandonne.
SABLE
Va, mon cœur te sait gré de l’avoir adouci.
BRISE
Si jamais Kaoren repasse par ici,
Répète-lui les mots que je viens de te dire.
SABLE
Je garderai tendue quelque main qu’il désire.
Merci infiniment pour tes mots éclairés
Et ces sages conseils que tu m’as procurés.
Je reconnais combien tu sais guider mon sable ;
Bon vent, Brise, à jamais, je te suis redevable.
Brise, Vent et Nuage quittent la scène.