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Épreuve 4 - Esquisse - Suite

Anonymous
Kaoren
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Épreuve 4 - Esquisse - SuiteJeu 29 Avr 2021, 17:05
Kaoren
Kaoren
Esquisse


La causette d'introduction:




Sable revient immédiatement, tenant Brise par le bras. Ils sont suivis de loin par Poussière et Nuage.

BRISE, à Sable
Pourquoi m’attires-tu si loin de nos semblables ?
As-tu l’âme lestée d’objets si ineffables
Qu’ils ne peuvent se dire en présence des tiens ?

SABLE
Tes souffles me sont doux lorsque tu me soutiens,
Tes songes avisés et ta parole sage ;
Tu sauras m’affranchir de ce mauvais présage
Qui me hante l’esprit depuis l’instant passé
Et que je tais d’avoir mille fois ressassé.
Je lis à Kaoren, dans mes pages de sable,
Un trop sincère amour du myrionyme diable
Qui l’enchaîne à lui-même ; il ne l’a jamais fui,
Et je doute de voir jamais germer en lui
Quelque trait de pensée qu’il ne vît en peinture
Ou la résignation d’en oser l’aventure.
Kaoren porte tant et si peu à la fois
Que j’en viens à douter de son destin parfois,
Moi qui en ai pourtant la plus grande maîtrise
Et fais danser le sable ainsi que toi la brise.
Tout ce qu’en dira Voix n’effleure mon avis
Qu’à grand peine, au regard de tout ce que j’en vis ;
Je crains, pour une fois, qu’elle se mystifie,
Car il n’est qu’au passé que l’avenir se fie,
Et jamais, semble-t-il, Kaoren n’a montré
Entre les rôles où son nom s’est empêtré
Quelque lointain désir de s’en retrouver maître ;
L’y résigner, je crois, n’en fera rien renaître.
Je l’ai mille fois tu, car l’on dirait de moi
Que le sable lui-même a failli dans sa foi,
Mais je ne saurai plus le taire une journée
Alors, si tu comprends ma hantise bien née,
Persuade-moi donc, d’un hommage parfait,
Que Voix agit au mieux et sait ce qu’elle fait,
Car je crains que le sort déçoive ses attentes
Et perde Kaoren dans ses peines démentes.

BRISE
Sable, ta dévotion n’a d’égale pour Voix
Que ta saillante adresse à questionner ses choix ;
Tu doutes en bon droit, notre Mère l’accepte
Car penser librement est l’unique précepte
Qu’elle impose à ta foi. Laisse-toi envahir
Par cette liberté sans jamais la trahir,
Et ni Cendre, ni Vent, ni Mère, ni personne
Ne jugera ta verve ingrate ou polissonne.

SABLE
Brise, tu m’adoucis comme cent vagues d’eau
En délestant mon cœur de ce pesant fardeau,
Mais je m’inquiète encore au sujet bien plus sombre
De savoir si le sort cédera sans encombre
Aux volontés de Voix. J’ai grand peine à penser,
Par quelque prédiction qu’il me faille encenser,
Que l’histoire à venir s’écrira sans blessures ;
J’ai besoin d’en parler pour que tu me rassures.

BRISE
Je vis trop loin du temps pour craindre l’avenir,
Mais je n’aurai de mots que pour te soutenir ;
Tu crains que Kaoren ne trouve pas sa place
Entre les bras de Mère, et jamais ne l’enlace
Comme il a su jadis enlacer tant de noms
Dont il n’avait connu que de lointains renoms.

SABLE
Je le crains, en effet.

BRISE
Je le crains, en effet. La pensée te tourmente,
Et tu crains désormais qu’une ivresse démente
Ait guidé notre Mère et ses choix souverains
Vers d’autres déceptions.

SABLE
Vers d’autres déceptions. C’est bien ce que je crains.

BRISE
Et tu crains de surcroît que cette manigance
Nous rende Kaoren, pour comble de malchance,
Moins libre et plus malade encore qu’aujourd’hui.

SABLE
Je crains que plus jamais il ne revienne à lui ;
C’est son âme qu’il risque en bravant cette épreuve.

BRISE
J’admire l’empathie dont tu sais faire preuve
Envers le protégé de Mère en cet instant
Où jamais son désir n’a paru si distant.

SABLE
De chacun de ses choix, il nous faut suivre l’ordre
Et laisser nos passions à la sienne se tordre ;
N’est-ce pas l’encenser que d’en bercer l’enfant
Et garder son esprit des peines l’étouffant ?

BRISE
Tu me dis une excuse afin de me distraire
D’un songe de nature autrement téméraire
Qui te pèse depuis longtemps avant ce jour,
Mais tu peux me parler sans crainte et sans détour.
Tu es encore jeune, et je te sais capable
De défier les folies dont Voix se rend coupable
Comme tu l’as prouvé à l’instant devant moi ;
Ton affection n’a rien d’un reflet de sa loi,
Et tu plains Kaoren, quand le sort le lapide,
Au seul nom de ton cœur à la guise intrépide.
Mais il n’est rien d’injuste à l’apprécier vraiment,
Et je saisis le fond de ce doux sentiment ;
Kaoren n’entend pas nos manières divines,
Mais il tient plus de toi que tu ne le devines.

SABLE
Comment donc, s’il n’a pas un vent de liberté ?

BRISE
Car tu n’as pas non plus celui qu’on t’a vanté.

SABLE
Quoi, peut-on se trouver plus libre que le sable
Qui fait périr le temps d’un flot impérissable,
Décide quels terreaux verront flore germer
Et coule entre les mains de qui veut l’enfermer ?
Je modèle à mon gré les dunes de ma lande,
J’éveille et je rendors l’enfant qui me marchande,
Je fais tomber la nuit à l’heure où je le veux,
Je choisis quels secrets passeront aux aveux,
Je sais me faire opaque ou verre translucide,
Je rhabille la chaux quand je la veux solide
Ou bâtis des châteaux voués à perdition,
Je suis le grain freinant toute grande ambition,
Je fais la plage blanche ou l’oriflamme noire,
Et je trace le bord des mers qu’on ne sait boire.
Jamais homme n’a dit avoir su me dompter,
Alors sur quels pouvoirs lui faudra-t-il compter
Pour bâtir une geôle aussi bien emmurée
Qu’elle m’y retiendra pour une autre durée
Que celle qui me sied ?

BRISE
Que celle qui me sied ? Il compte sur le vent,
Car c’est lui qui te porte encore si souvent.
Tu es si jeune, Sable, et tes ailes chétives
N’ont jamais su voler que sous nos directives.
Il te faut bien le vent pour soulever tes grains
Et les éparpiller vers de nouveaux terrains
Où tu pourras régner sur l’homme et ses fortunes.
Il te faut bien le vent pour dessiner tes dunes
Et raviver la flamme au fond de ces grands fours
Où tu viens te blottir pour laisser à son cours
Le temps qui te fondra ton cylindre de verre.
Quant aux mille secrets que tu rends à la terre,
Il faut bien que le vent les en ait arrachés
Et les ait laissés choir où tu les as cachés.
Il est vrai que parfois, ta fougue balbutie
Des élans échappant à notre minutie,
Et tu sauras un jour qui ne saurait tarder
Voler devant nos yeux fiers de te regarder,
Mais tu dois accepter, même si ça te coûte,
Qu’il t’a fallu le vent pour t’en montrer la route.

SABLE
Mais s’il me faut son aide et son assentiment
Pour jouir des libertés qu’il m’offre gentiment,
Et si tant sont guidés par son haleine prompte,
N’est-il donc que le vent qui soit en fin de compte
Libre de se mouvoir, libre de s’exprimer
Sans qu’aucune prison ne le puisse enfermer ?

BRISE
Même le vent ne fut qu’une ébauche languide
Avant que le premier de mes souffles le guide.

SABLE
Mais toi, Brise, dis-moi, toi qui nais des frissons
De ta propre personne, et toi dont nous naissons,
Toi qui nous précédas, oui, toi qui nous vis naître,
Qui saurait s’affirmer ton guide ou bien ton maître ?

BRISE
Notre Mère le peut, et je pense parfois
Qu’elle-même se courbe à de profondes lois.
Nous semblons libres quand sa guise nous l’accorde
Et trinquons chaque jour à sa miséricorde,
Mais lorsqu’elle nous laisse à nos mornes démons,
Nous prenons tous un rôle et nous y conformons ;
J’ai celui de la brise et toi celui du sable,
Kaoren a celui d’une lunaire fable
Dont nul ne sait prédire avec quelque raison
Quelle face poindra de chaque lunaison.

SABLE
À t’entendre, il paraît plus libre que nous autres.

BRISE
Comme la cape dans laquelle tu te vautres,
Sa verve amphigourique et ses yeux silencieux
Dissimulent à ceux qui l’observent des cieux
Comme il sent malgré lui que la folie le frôle
Et se trouve souvent incertain de son rôle.
Il appelle à quelqu’un qui le lui soufflera,
Lui donnera son nom, son texte et son aura
Et c’est toi qui lui tends d’une âme charitable
Ce qu’il s’en va jouer sur ta scène de sable.
Tu es pour Kaoren ce que Mère est pour moi,
Ce que je suis pour Vent, ce que Vent est pour toi ;
Tu lui montres la voie.

SABLE
Tu lui montres la voie. Mais quand je l’en délivre,
Il ne sait pas laisser son personnage vivre
Comme nous le faisons quand nous vient l’occasion ;
Que notre liberté tienne de l’illusion
Ne nous empêche pas d’en saisir chaque bribe
Lorsque la volonté de Voix nous en imbibe.

BRISE
C’est là ce qu’il lui faut apprendre maintenant.
Qu’il refuse ce droit n’a rien de surprenant,
Car il ignore tout des sentiers qu’il se ferme
Et ce qu’il trouvera s’il les suit jusqu’à terme ;
Il craint de s’égarer où ne se trouve rien,
Mais nous suivra de gré lorsqu’il comprendra bien
Que cette liberté qui lui sera soumise
Demeurera guidée par ton sable…

SABLE
Demeurera guidée par ton sable… Et ta brise.

BRISE
Il trouvera toujours des rôles à jouer,
Car bien que nous peinions parfois à l’avouer,
Nous sommes comme lui, ou du moins nous le fûmes,
Et nous nous écrivons au gré de bien des plumes.
Alors il faut lui dire avec ses mots à lui
Que cette offre que nous lui faisons aujourd’hui
N’a pas fin de le perdre en d’autres étendues
Que celle où ses ardeurs se sont déjà perdues,
Et s’il lui faut s’ouvrir à ce nouveau plaisir,
Il ne manquera pas de cordes à saisir
Pour tomber les rideaux s’il en ressent l’urgence
Et s’amarrer à nous dans ses moments d’absence.
Kaoren ne mourra pas au profit d’un tel ;
Il en émergera comme un suaire immortel
Lorsque cette journée lui semblera finie.

Vent apparaît sur le bord de la scène.

VENT
Brise, Mère demande un peu de compagnie.

BRISE
N’êtes-vous pas assez nombreux à ses côtés ?

VENT
Je n’entends pas saisir toutes ses volontés,
Mais elle veut te voir, toi plutôt que personne.

BRISE
Je vous rejoins, alors.

À Sable
Je vous rejoins, alors. Sable, je t’abandonne.

SABLE
Va, mon cœur te sait gré de l’avoir adouci.

BRISE
Si jamais Kaoren repasse par ici,
Répète-lui les mots que je viens de te dire.

SABLE
Je garderai tendue quelque main qu’il désire.
Merci infiniment pour tes mots éclairés
Et ces sages conseils que tu m’as procurés.
Je reconnais combien tu sais guider mon sable ;
Bon vent, Brise, à jamais, je te suis redevable.

Brise, Vent et Nuage quittent la scène.

Anonymous
Kaoren
OnlineEn ligne
Re: Épreuve 4 - Esquisse - SuiteSam 15 Mai 2021, 00:41
La causette d'introduction:

Kaoren
Kaoren
Esquisse



SABLE, à Poussière
Approche donc, Poussière, et dis-moi s’il est vrai
Qu’il n’est rien dont je doute ou que je décevrai
Des mots que j’ai contés à Brise en ce jour faste.

POUSSIÈRE
Non, je te crois sincère et vraiment enthousiaste,
Tu sauras t’y tenir et livrer les efforts
Auxquels t’appelleront tes souhaits les plus forts.

SABLE
Je bénis de savoir combien je le désire,
Mais tu sembles avoir quelque chose à me dire.

POUSSIÈRE
C’est juste ; il me paraît que tu n’as accompli
Que de sonder ton cœur jusqu’à son dernier pli,
Mais il te faudra bien accomplir d’autres choses
Pour prendre Kaoren à ses démons moroses.

SABLE
N’ai-je pas, dans ce cœur que tu me dis sonder,
Trouvé mille raisons de l’en persuader ?

POUSSIÈRE
Tes raisons ne sont pas de celles qu’il encense
Et tu ne peux prétendre à penser comme il pense ;
Tu lui diras bientôt des mots qui te sont chers
En gageant qu’ils sauront l’affranchir de ses fers
Comme ils t’ont arraché le dernier de tes doutes,
Mais les entendra-t-il comme tu les écoutes ?

SABLE
Non.

POUSSIÈRE
Non. Quels que soient les mots desquels tu l’entretiens,
Il t’en faudra trouver qui ne soient pas les tiens
Sous peine que sa foi te les rende en obole.

SABLE
S’il n’entend pas mes mots, il lui faut un symbole.

POUSSIÈRE
Auquel as-tu songé ?

SABLE
Auquel as-tu songé ? Tu devrais le savoir,
Toi qui couvres un peu plus dûment chaque soir
De leur lourde reliure à leurs pages légères
Ces livres-là que nul ne prend aux étagères.
S’il faut à Kaoren, pour prendre son appui,
Suivre une ombre pareille à celle née de lui,
Plus jeune que ses dieux mais bien des fois plus vieille
Que cette âme mortelle où son être sommeille,
Et s’il me faut guider d’enfer en paradis,
De l’Esquisse qu’il voit à celle que je dis,
Sa démente pensée que je crois prête, ou presque,
À donner une fin à sa pièce dantesque,
Je sais avec quel masque il me faudra jouer
Pour combler ce désir qu’il n’ose s’avouer.

POUSSIÈRE
Eh bien, je connaîtrai bientôt le nom qu’il orne
Car voici Kaoren qui revient d’un pied morne.

Kaoren entre sur la scène, tête baissée.

SABLE
Je ne t’attendais plus que sur la fin du jour,
Toi qui jurais tantôt de fuguer sans retour ;
Il te fallait un rôle avant que la nuit sonne,
Mais tu nous reviens seul.

KAOREN
Mais tu nous reviens seul. Je n’ai trouvé personne.

SABLE, marquant une pause
Que dis-tu là ?

KAOREN
Que dis-tu là ? Personne, où que j’aie pu chercher,
Personne pour fouler le sable ou le plancher,
Personne à l’intérieur du vieux laboratoire,
Ni dans l’infirmerie, ni dans le réfectoire,
Ni même dans la salle où s’étaient réunis
Les plus fiers d’entre nous et les plus démunis.
J’ai retourné jusqu’à la plus secrète planche
Entre la chambre noire et cette salle blanche
Où nous avions trouvé le brin de vérité
Qui nous porta si loin dans notre vanité,
Mais je n’ai pu trouver d’une telle manière
Personne qu’un manteau de sable et de poussière.
Les autres sont partis ; je n’ai plus que vous deux.

SABLE
Je devine que Voix cherche à t’éloigner d’eux ;
Ils reviendront sans doute après cette journée.

KAOREN
Alors c’est ma personne au vide condamnée.

SABLE
Je me navre d’apprendre à quel nouveau tourment
Notre Mère t’oblige impitoyablement.
Elle veut se montrer assez juste et sévère
Pour que ton doute flanche et ta foi persévère
En te prenant les noms qui te lestent l’esprit
Jusqu’à ce que le tien par ta main soit écrit.

KAOREN
Mais elle n’obtiendra rien de moi de la sorte ;
Je ne sais pas douter, ma foi seule en est morte.
Je me résignerai, mais à ne devenir
Qu’une ombre dépourvue de rôle et d’avenir,
Un spectre du néant dont nul ne saura dire
Que Kaoren eût tort de si bien le maudire !
Oui, je me bornerai, je ne saisirai rien
De cette liberté qu’on offre au galérien ;
Il ira se noyer au fond de sa galère
Plutôt que de s’offrir à l’absconse colère
Des vagues qui l’ont pris et l’ont tant remué
Qu’il ne sait même plus s’il y fut bien tué !
Je refuse, je hais la chance qui m’est due,
Allez donc dire à Voix que mon âme est perdue ;
Elle veut Kaoren ainsi qu’elle l’a fait,
Mais elle l’a perdu dans ce dernier méfait
Et sa soif restera toujours inassouvie
Car en me prenant tout, elle me prend la vie !

SABLE, marquant une nouvelle pause
Te voilà bien souffrant de vouloir avorter
Chaque trait de ce nom si pesant à porter ;
Faut-il qu’il te soit lourd pour que tu lui préfères
Cette part de néant aux relents mortifères.
Quelle est donc cette peur que je ne connais pas
Qui te pousse à chérir le vide et le trépas
Qui t’en délivreraient ?

KAOREN
Qui t’en délivreraient ? C’est la crainte de rendre
Mon corps à des esprits que je ne peux comprendre.
C’est celle, chaque jour, de prédire un sentier
Où mes pas marcheront pour un périple entier
Et découvrir combien leur marche s’en évade
Pour descendre la voie d’un layon plus maussade.
J’ai mille fois tenté de vaincre mes excès
En forgeant mille fois mon rôle, sans succès ;
Mille fois, il a fui l’âme que j’ai conçue
De ma flamme confiante et mille fois déçue.
Elle est plus douloureuse à chaque déception,
Alors j’ai mis un terme à cette perdition
En délaissant mon nom au profit de ces masques
Dont j’entends mieux les mots que mes plaintes fantasques
Et dont je sais quels traits chérir ou réprouver ;
Les perdre, c’est me perdre et ne plus me trouver.

SABLE
Alors, ainsi rendu à l’ultime échéance,
Tu consens à laisser ton rôle en déchéance
De crainte qu’il revienne encore te hanter.

KAOREN
C’est là le dernier choix dont je puis me vanter.

SABLE
Mais si tu possédais une telle prescience
Que tes propres secrets te venaient en conscience,
Si tu pouvais prédire assez correctement
Tes songes à venir et ton comportement,
Si tu pouvais enfin reprendre le contrôle
De ce millier d’aspects qui tiraillent ton rôle,
Saurais-tu t’y complaire aussi bien, sinon mieux,
Que dans la vacuité d’un trépas oblivieux ?

KAOREN
Oui, je l’accepterai si le Ciel me l’accorde,
Mais il ne m’a promis qu’une pire discorde ;
Comment puis-je prédire au mieux mes volontés
Si Voix ne les remet qu’à d’autres libertés ?

SABLE
Il est vrai que ton nom résonne d’inconstance
Depuis qu’il fut remis et repris à la chance,
Et il ne tient qu’à toi de trouver le pouvoir
D’en chasser chaque trait que tu ne peux prévoir.
Je ne peux te forger ainsi que tu l’espères ;
Ce corps dont nous étions les mères et les pères
N’obéit désormais plus qu’à tes impulsions,
Mais s’il m’est à regret que nous ne le puissions,
Je t’accorderai tout ce dont je suis capable
Pour t’y aider.

KAOREN
Pour t’y aider. Merci, mais quelle aide le sable
Saurait-il m’accorder s’il me faut être tel
Que ne le fut jamais son remous immortel ?
Pourra-t-il me guider jusqu’au bout de ma voie,
Lui qui n’a de sentiers qu’un désert où louvoie
Mon âme sans repère et sans destination ?

SABLE
Apprends à lui prêter une grande attention,
Et tu découvriras que le sable lui-même
Ne gît que sur les voies où la brise le sème.
Nous ne sommes en fait pas vraiment différents ;
J’ai moi-même mon guide et mes propres parents,
Et je sais comme toi me remettre à mes proches
Pour me laisser porter sur mes tapis de roches.
En observant ma dune, il te vient à l’esprit
Que son profil est tel que le vent l’a décrit,
Et s’il n’est que la mer qui pût être son hôte,
Par les plis du désert, tu trouveras la côte.
Oui, je peux te guider sur tes sentiers obscurs
Et t’apprendre à saisir tes visages futurs,
Mais il te faut comprendre au mieux l’ordre des choses
Que notre Mère instaure entre ses voûtes roses
Pour entendre vraiment le fond de mes conseils ;
C’est d’elle qu’ils sont nés, ils lui seront pareils.

KAOREN
Mais s’il n’est pas celui où ma raison est née,
Comment suffira-t-il d’une seule journée
À ce que j’appréhende assez formellement
Les règles insensées de son fonctionnement ?

SABLE
C’est à moi de choisir si la journée s’achève
En ce monde où n’est pas de soleil qui se lève,
Et je t’accorderai s’il t’en faut un millier
Une heure à chaque grain de mon saint sablier.

KAOREN
Mais saurai-je endurer l’amère solitude
Que Voix m’impose sans m’en donner l’habitude ?
Cette journée m’épuise un peu plus chaque instant
Que je cède aux appels de mon doute constant ;
Je ne trouverai pas la force et le courage
De rester si longtemps en quête d’un mirage
Sans un rôle des miens auquel me rattacher,
Et m’offrir pour alliance un morceau de rocher,
C’est torturer sans fin ma personne fragile.

SABLE
Alors tu seras Dante et je serai Virgile.

Kaoren et Sable s’observent l’un l’autre pendant quelques secondes.

KAOREN
Ai-je bien entendu quelle bénédiction
L’Esquisse me concède au comble de l’action ?
Sainte Voix m’offre-t-elle en grâce salvatrice
De te faire Virgile et Brise Béatrice ?

SABLE
Voix n’est que notre Mère, elle n’en a rien dit
Et je brave peut-être un nouvel interdit
En t’accordant bien plus qu’elle ne te confère ;
C’est un cadeau du sable à son plus jeune frère,
Alors je veux te voir me promettre en retour
De livrer des efforts jusqu’à la fin du jour
Pour devenir ainsi que Voix te le demande :
Libre comme les grains qui dessinent ma lande.
Je veux te voir chérir ta personne aussi bien
Lorsqu’on lui donne tout que lorsqu’elle n’a rien,
Car tes masques ne sont que de frêles armures
Qui céderont bientôt sous le poids des murmures
De tes nombreux regrets ; alors, le jour venu,
Je veux que ton esprit remis à l’inconnu
Sache trouver son rôle au fin fond de lui-même ;
Je veux que Kaoren survive à son baptême.

KAOREN
J’en donne ma parole.

SABLE
J’en donne ma parole. Alors c’est entendu,
Nous rendrons ses couleurs à ton rôle perdu
Et te délivrerons du doute qui te hante
En portant les atours de Virgile et de Dante.

KAOREN
Je m’y consacrerai, le Ciel m’en est témoin.
Allons-nous maintenant ?

SABLE
Allons-nous maintenant ? Va m’attendre plus loin,
J’aperçois notre Mère approcher d’un pas leste ;
C’est moi qu’elle vient voir.

KAOREN
C’est moi qu’elle vient voir. Où faut-il que je reste ?

SABLE
Qu’importe, je saurai toujours te retrouver.

Kaoren sort de la scène. Poussière s’apprête à sortir, mais s’arrête dans son mouvement.

POUSSIÈRE, à Sable
Ne crains-tu pas que Mère aille désapprouver…

SABLE
C’est trop tard, je ferai ce qu’il me faudra faire ;
Les volontés de Voix ne sont plus mon affaire.

Poussière reprend son mouvement et rejoint Kaoren hors de la scène.

SABLE
Mère, vous me confiez le poids d’un grand fardeau
En m’accordant un frère en guise de cadeau ;
Puissiez-vous concevoir avec assez d’aisance
Le bien-fondé portant ma désobéissance
Lorsque vous apprendrez d’un aveu bien porté
Que de vos instructions, j’ai pris ma liberté.

Voix entre sur scène.

VOIX
Te voilà, mon enfant, l’allure bien austère ;
Aurais-tu des pensées à confier à ta mère ?

SABLE
De celles que ma cape abrite au quotidien
S’en trouvent bien assez dont je ne dirai rien,
Mais aujourd’hui m’est née la plus inconcevable :
Kaoren s’est remis à la verve du sable
Et concède une chance à son identité.

VOIX
Est-ce là la raison de cet air dépité
Qui t’alourdit les traits ?

SABLE
Qui t’alourdit les traits ? J’en exulte au contraire,
Mais je crains que la suite ait fort à vous déplaire.

VOIX
Dis-moi tout, mon enfant.

SABLE
Dis-moi tout, mon enfant. Contre vos instructions,
J’ai moi-même entendu toutes ses conditions :
J’ai décrété le jour plus long que vous le fîtes
Pour lui céder le temps d’apprivoiser nos rites
Avant de l’accueillir comme notre pareil,
Quitte à priver l’Esquisse entière de sommeil,
Et j’ai levé ma voix contre la vôtre, Mère,
En blâmant avec lui cet acte délétère
Par lequel vous avez pris tous ses compagnons ;
Enfin, puisque c’est nous qui l’y accompagnons,
J’ai consenti sans peine à porter un costume
Pour adoucir au mieux cette grande amertume
Que laissa dans son cœur votre cruelle action.
S’il doit mener à bien l’intense rédaction
D’un rôle convenant à sa seule personne,
Je ne peux concevoir que la façon fût bonne
De l’accabler sans fin du poids de son tourment,
Et j’implore un répit pour son esprit dément ;
Si vous ne daignez pas lui céder quelque trêve,
Alors je le ferai.

VOIX
Alors je le ferai. C’est là ce dont je rêve,
Je me suis toute émue de comprendre combien
Ton esprit téméraire a soutenu le sien
Lorsque Brise m’a dit les raisons de tes doutes.

SABLE
Alors vous les savez.

VOIX
Alors vous les savez. Je les approuve toutes.
C’est à vous qu’il revient d’initier Kaoren ;
Que tu peignes l’Esquisse aux couleurs de l’Éden
Et revêtes l’habit de son divin apôtre
Le temps d’une journée que j’ai décrétée vôtre
N’est que le sacrement de cette liberté
Dont je veux voir jouir ta jeune volonté.
Va-t-en jouer ton rôle ainsi que le désire
Cet enfant qui n’a plus que mon être à maudire
Et fais-lui découvrir, puisque le jour est tien,
Comme le sable est doux quand il caresse bien ;
J’observerai pour toi la plus grande distance.

SABLE
Mère, soyez bénie de me donner ma chance.

VOIX
Va, maintenant ; rejoins ton jeune protégé.

SABLE
Je m’en vais, l’âme fière et le cœur allégé.

Sable quitte la scène, tandis que Voix s’avance sur le devant. Le rideau tombe lentement derrière elle.

VOIX, au public
Ainsi vient de sonner la fin du premier acte ;
Les éléments sont mus par leurs grandes passions,
La brise s’est donné de nouvelles missions,
Et le sable a remis Kaoren à son pacte.

Les scènes sont dressées, les hôtes invités
Et les pendrillons prêts à ce qu’on les relève ;
Derrière, mes enfants présentent mon élève
Aux confins de l’Esquisse et de ses libertés.

Je pourrais dire plus de ce qui les anime,
Des avis inconnus de la cendre et du vent,
De combien Kaoren se révèle fervent
Et de s’il jugera sa chance magnanime,

Mais il reste à l’histoire encore un jour entier
Pour écrire le flot de ses péripéties,
Alors, sans plus narrer d’obscures prophéties,
Je laisse à méditer une heure de quartier.

~ ENTRACTE ~