KaorenEsquisse - Personae Dramatis:
Alors, pour le coup, je vais pas vraiment vous présenter l'Esquisse ou le personnage de Kaoren ici, parce que je le fais déjà au début du texte. En principe, c'est conçu pour être lisible même par quelqu'un qui ne connaît pas l'univers - à vrai dire, c'est même pas vraiment une scène que vous pourriez trouver dans l'Esquisse, j'ai pris des libertés -, donc vous pouvez fermer ce spoiler immédiatement et vous lancer dans la lecture. Cependant, si vous êtes le genre de personne à vouloir vraiment tout comprendre, vous trouverez ci-dessous un spoiler dans le spoiler dans lequel je fais un "petit" lexique des éléments de l'Esquisse que j'ai utilisés.
- Spoilerception:
Voix : Sorte de divinité de l'Esquisse qu'on sait pas trop ce que c'est, et dont les manifestations sont rares (mais le personnage que j'en ai fait est une interprétation très libre de ma part).
Jour de Sainte Voix : Ça n'existe absolument pas, pour l'occasion, c'est moi qui ai inventé.
Brises, Vents, Cendres, Sables : Noms des quatre périodes jouables (ou anciennement jouables) dans l'Esquisse. Les Brises et les Sables sont représentées chacune par un personnage allégorique (nommés respectivement Brise et Sable), et j'ai étendu le concept aux deux autres périodes pour ajouter des personnages.
Murs de cuivre : Les murs du Laboratoire, un grand bâtiment dans lequel se déroulent actuellement les aventures de la période des Sables. Les murs sont en cuivre, et Kaoren passe beaucoup de temps à aller y contempler son reflet (et parfois discuter avec).
Arbres : Des arbres au bois turquoise et au tronc tordu qui poussent autour du Laboratoire.
Tempêtes : Une forme de cataclysme récurrente dans l'Esquisse, qui refaçonnent le monde où elles passent.
Objets : Dans l'Esquisse, la faune et la flore sont composées d'objets en tous genre (en plus de trucs organiques plus ou moins normaux).
Jambe blessée : Oui, Kaoren s'est blessé la jambe en se battant avec une araignée dans les toilettes (on retrouve le thème de l'urgence caca).
Alev, Al, André : Personnages avec lesquels Kaoren a déjà RP.
Le jour de Sainte Voix
Le rideau encore baissé, Voix se présente devant.
VOIX
Avant que le rideau se lève sur l’Esquisse,
Permettez que je vous en présente les lieux
Et vous décrive ainsi de mon timbre impérieux
Kaoren tel qu’il fut avant que je l’acquisse.
Il était né sur Terre, émérite historien
Des arts dont ses pareils avaient conçu tant d’œuvres,
Mais à trente-et-un ans, par de sombres manœuvres,
Il fut pris dans un monde où l’esprit n’est plus rien.
Le ciel y brille rose, et tout y est possible,
Des faits les plus sensés à ceux ne l’étant plus ;
C’est mon havre, l’Esquisse, et qui s’y voit reclus
N’y peut plus lire rien qui ne soit illisible.
Ce monde a ses raisons qu’ignore la raison,
Et rien n’y fait de sens que ce que j’y décrète
Ou ce que les avents d’une folie secrète
Y jugent mériter leur folle floraison.
Kaoren y tomba personnage anonyme
Jouant sous d’autres noms que ceux qu’il a portés ;
Ses songes, par cent fois, il les a confortés
En osant dans ma pièce une mise en abyme.
Lui, féru de théâtre et de tant de passions,
A calqué sa personne et toute son allure
Sur celles d’inconnus ; il devint la doublure
Où chacun put se voir sous d’autres impressions.
Or donc, c’est aujourd’hui dans l’Esquisse chantante
Le jour de Sainte Voix, la fête en mon honneur
Où chaque objet se meut et loue avec ferveur
Toute la liberté que j’offre à qui la chante.
Levons donc le rideau pour découvrir comment,
En ce jour où chacun se redécouvre libre,
Kaoren verra choir son fragile équilibre
Et le rôle prendra qui jamais ne se ment.
Le rideau se lève, et Voix se retourne vers la scène.
VOIX
Levez-vous, brises, vents, cendres, sables d’Esquisse,
Murs de cuivre plaquant une ancienne bâtisse,
Arbres au bois turquoise et mille fois tordu,
Pierres jonchant un sol où le ciel s’est perdu,
Poussières de pensées portées par les tempêtes,
Objets qui d’ici-bas font la brousse et les bêtes,
Gouttelettes d’argent d’un lac évaporé,
Et tous les résidents de mon havre adoré !
Faites entendre à tous votre nouvelle verve
Et fêtez qu’en ce jour, elle seule vous serve !
Les éléments nommés entrent tour à tour sur scène sous forme de personnages.
BRISE
Déesse, ma douceur s’exprime désormais
Par plus de compliments que je n’en eus jamais !
Puissé-je murmurer de mon souffle si tendre
Ces mots que seule vous savez si bien entendre !
VENT
Et le mien portera des airs si ambitieux
Qu’ils vous affirmeront seule reine des lieux !
Vous, dame liberté qui si libre me fîtes,
Puissiez-vous nous porter par-delà nos limites !
CENDRE
Du fond de ce brasier qui m’allégea de tant,
Entendez comme j’ai le lyrisme chantant !
La flamme de jadis forgera dans ma cendre
Ces mots que seule vous savez si bien entendre !
SABLE
Par ma nouvelle voix qui vivra si longtemps,
Cette ode d’un seul jour traversera le temps !
Et puisqu’il est venu celui de nos vieux rites,
Puissiez-vous nous porter par-delà nos limites !
TOUS LES ÉLÉMENTS
Libre de s’exprimer, libre de se mouvoir,
Chacun de nous s’abreuve au mieux de ce pouvoir !
Entendez, Sainte Voix, dans la nôtre descendre
Ces mots que seule vous savez si bien entendre !
Nous fêtons de n’avoir ni chaînes, ni bâillons,
Ni aucun des devoirs qu’ensemble nous raillons !
Nous ne suivrons plus rien puisque vous nous le dites,
Puissiez-vous nous porter par-delà nos limites !
Voix fait taire le chœur d’un signe de main.
VOIX
À présent que vous tous êtes doués de moi,
Allez, sans vous courber à quelque lourde loi,
Accueillir Kaoren qui s’en vient nous rejoindre
Pour se lester l’esprit d’une rigueur bien moindre.
VENT
Kaoren ! Ce forçat qui dresse tous les jours
Des barreaux à sa voix, son rôle et ses amours !
SABLE
Sa morale est moins libre encore que ses doutes !
CENDRE
Il ne sait pas créer !
BRISE
Il ne sait pas créer ! Il emprunte les routes
Que d’autres ont tracées autour de son chemin !
LE MUR DE CUIVRE
J’ai cent fois reflété son visage carmin
Dans mon cuivre poli, mais pas une parole
Ne vint s’y imprimer qui ne fût le symbole
D’un autre personnage !
LES ARBRES
D’un autre personnage ! Ou d’un autre des siens !
CENDRE
Gardons-nous de mener à nous ses dieux anciens !
VOIX
Accueillez-le pourtant. Il a le songe instable
À retourner sans fin les cendres et le sable
Qui recouvrent en lui le récent souvenir
D’avoir vu lui mourir ses chances d’avenir.
Il tend même parfois à perdre tout contrôle
Et désirer soudain n’incarner aucun rôle ;
De cette liberté, soyez les forgerons !
UNE PIERRE
Le voilà qui nous vient !
SABLE
Le voilà qui nous vient ! Soit. Nous l’accueillerons.
Voix quitte la scène, puis Kaoren entre par l’autre côté.
BRISE
Approche, Kaoren, et en ta compagnie,
Louons Voix et fêtons cette brève insomnie
Dont elle nous honore.
KAOREN
Dont elle nous honore. Avec calme et plaisir,
J’accueille cette Voix que je ne peux saisir.
Puisse-t-elle m’offrir assez de son ramage
Pour déclamer les vers d’un autre personnage.
SABLE
Quel est-il, aujourd’hui ?
KAOREN
Quel est-il, aujourd’hui ? Peut-être Cyrano,
Peut-être Agamemnon, peut-être Arlecchino.
CENDRE
Pourquoi ne pas laisser tes passions clandestines
S’affranchir de ces noms auxquels tu te destines
Pour rendre à Kaoren ce qui lui appartient ?
KAOREN
Car c’est de les jouer ainsi qui me maintient
Lorsque je n’entends plus le fond de ma pensée
Et ne remets aux murs qu’une verve insensée ;
Quand s’évade mon nom qu’à jamais je poursuis,
C’est ma seule façon de savoir qui je suis.
VENT
Mais il convient pourtant que tu mettes un terme
Au joug de ces aspects où ton âme s’enferme
Pour jouir entièrement de cette liberté
Que Voix t’offre en ce jour qui sien fut décrété.
KAOREN
Je n’en veux pas, grand Vent ; sa liberté m’effraie
Comme un serpent terré dans sa lavanderaie.
Parez-moi donc d’un masque et donnez-m’en la voix
Sans me faire l’affront de m’en laisser le choix.
CENDRE
Tu auras, Kaoren, pour unique costume
Celui que tu sauras frapper sur ton enclume.
SABLE
Et tu n’auras aucun autre rôle à jouer
Que le tien ; c’est ainsi que Voix se doit louer.
KAOREN
Sans rôle, sans costume, Ô, divines figures,
Je ne suis que le fruit de sales écritures ;
J’ose même affirmer que je ne suis plus rien !
BRISE
Mais te voici pourtant à concevoir le tien.
KAOREN
Il est sale, il est faux ! Il n’est que maladresse !
Laissez-m’en porter un que le destin m’adresse !
BRISE
Mais que te coûte-t-il, pour le temps d’un seul jour,
D’essayer ton esprit à ce nouvel atour ?
KAOREN
S’il n’est l’habit de rien, c’est décider peut-être
Au jour de Sainte Voix où l’on choisit son être
De n’en choisir aucun, de ne rien devenir,
Et de n’être plus rien pour les jours à venir.
Alors je veux porter une toge enchaînée ;
Il m’en faut une avant la fin de la journée !
CENDRE
Quelle toge crois-tu qui t’aille à cet instant ?
Des personnages dont les mots t’inspirent tant,
En est-il un qui parle à la cendre et au sable ?
LE MUR DE CUIVRE
Au reflet dans un mur déjà méconnaissable ?
LA POUSSIÈRE
À la poussière ambiante ?
LES PIERRES
À la poussière ambiante ? Au sol qu’il a foulé ?
SABLE
À tout le temps perdu qu’il devine écoulé ?
LES ARBRES
À sa jambe blessée que notre bois soulage ?
VENT
Au vent impétueux ?
BRISE
Au vent impétueux ? À la brise volage ?
SABLE
Tu ne sauras trouver de rôle à nos côtés
Que le tien, libéré de ceux qu’il a portés.
Tu ne sauras jouer Cyrano sans Roxane,
Arlequin sans Diogène, Agamemnon sans Diane ;
Tu n’as que Kaoren avec ses illusions,
Prends son costume avant que nous disparaissions.
KAOREN
Vous qui me gratifiez d’une telle indulgence,
Acceptez qu’il m’en faille un autre en toute urgence !
Kaoren est si vide et semble si lointain,
N’allez pas le plonger dans mon chaudron d’étain
Et l’y faire ainsi fondre à flamme si funeste
Qu’il m’y tourmentera comme furie d’Oreste !
BRISE
Nous ne le pouvons pas.
VENT
Nous ne le pouvons pas. Nous ne le voulons pas.
KAOREN
S’il n’est aucun de vous pour guider mon compas,
Alors j’irai chercher une nouvelle adresse.
SABLE
Où la chercheras-tu ?
KAOREN
Où la chercheras-tu ? Qu’importe, le temps presse !
Chaque instant peut frapper ses trois coups de tambour,
Et il me faut jouer avant la fin du jour !
Je vous laisse, éléments de l’Esquisse éternelle,
À vos rôles sans noms et votre ritournelle
Fêtant la volupté d’être libres enfin !
Et puisque Sainte Voix me poursuivra sans fin,
J’accepte les barreaux qui bordent ma fenêtre,
Car avant d’être libre, il me faudra bien être !
Je m’en vais par-delà votre sable cendré !
Que me viennent des noms ! Alev, Al ou André !
Amenez-moi quelqu’un pouvant me reconnaître,
Je dois achever d’être avant de disparaître !
Kaoren quitte la scène en courant, et Voix revient par l’autre côté.
CENDRE, à Voix
Nous l’avons laissé fuir.
VOIX
Nous l’avons laissé fuir. Laissez-le donc courir,
Car c’est entre nos bras qu’il désire mourir.
Il ne trouvera rien dans l’ombre où il s’avance
Et reviendra vers nous pour une ultime chance.
Préparez-vous, ce soir, à lui tendre la main
Et l’habiller ainsi qu’il le voudra demain.
Tout le monde quitte progressivement la scène.