Le Seigneur a accompagné Ruf pour une nouvelle journée. Elle n'a pas encore tenté de parler à des hommes pour s'entraîner et se montrer digne de la confiance que Dieu a placer en elle. Elle a préféré s'occuper du potager, des clapiers et des enfants de l'orphelinat. Le quotidien paisible de la nonne allège son cœur et lui donne le sourire.

L'angélus sonne, annonçant midi. La nonne prend le temps de l'écouter assise sur un banc dans la rue de son quartier. Elle a encore le temps avant de servir le repas aux enfants et de manger le sien.

""On dit de lui qu'il nous soumet,
Qu'il nous malmène ou qu'il nous hante.
En un regard il disparait,
Fuyant, naissant où ça lui chante."

Klyde avait cette chanson en tête depuis la veille au soir, même bien avant à vrai dire, mais il préférait cet air entêtant que la discussion plus qu'étrange qu'il avait eu avec Viktor. Même se faire mordre par un autre démon-chien valait mieux que la discussion avant Viktor... Alors il chantait à mi-voix, le nez au vent, à la recherche d'un point d'accroche discret pour rejoindre les toits.

Ruf entend alors la voix d'un ange, c'est la première fois. Et elle connaît la chanson.
"Je le sais bien au fond de moi
Qu'il me tuera à petit feu.
Mais vois, je ne lutterai pas
Si c'est ainsi que Dieu le veut," reprend en chœur Ruf.

Oh ? Une femme ? Le Guide l'entendit avant de réellement la voir, notant immédiatement l'habit religieux. Il avait déjà vu des bonnes sœurs, de loin, mais n'avait jamais osé les aborder.

"On dit jamais, ô grand jamais
Qu'on tombera sous sa malice.
Qu'on est trop fier et distingué
Se gardant de ses jeux factices."

Continua-t-il en l'approchant. Sveta ne semblait pas contre l'idée, au contraire.

Ruf continue la chanson, souriant davantage en entendant la voix de plus en plus forte. Elle n'a pas besoin d'ouvrir les yeux pour savoir qu'il s'agit d'une bonne âme qui chante, sans doute un jeune adolescent aux portes de l'enfance et de l'âge adulte.
"Mais si les hommes étaient honnêtes
Envers eux-mêmes et leurs vouloirs,
Suivant leurs âmes et non leurs têtes
Ils le verraient sans même savoir."

"Seigneur je garderai la foi
Et fonderai toutes mes prières
Pour que parvienne auprès de moi
Celle que mon cœur toujours espère."

Termina-t-il en restant à quelques pas d'elle, assez distant pour ne pas paraître menaçant mais suffisamment proche pour accepter le dialogue. "Bonjour ma... sœur" commença-t-il d'ailleurs. "Merci. Pour la chanson."

La chanson est finie désormais. Ruf ouvre les yeux, détournant le visage du soleil pour se tourner vers le petit chanteur. Celui-ci se révèle plus grand qu'elle ne l'imaginait. Elle aurait pu prendre peur mais les beaux yeux bleus et le visage lisse du jeune homme lui évoquent l'innocence d'une jeunesse que les adultes oublient bien souvent.
"Bonjour jeune homme. De rien, c'est un plaisir de chanter une si belle chanson. Cherchez-vous quelque chose ou avez-vous besoin d'un service ? Je peux vous aider."

"Je... heu..." fut-il pris de court. La femme devant lui semblait si douce, si gentille, que sa demande l'avait déstabilisé. {Répond-lui Trésor, il ne faudrait pas se montrer impoli.} "Je ne cherchais rien ma sœur." {Vraiment ?} "Oui, je vous assure." {Allons donc.} Piégé, il pinça ses lèvres plutôt que mentir.

Ruf sourit, gênée d'avoir interrompu le jeune homme dans sa marche. Il doit probablement être en route pour acheter des victuailles avant de manger le repas du milieu de la journée.
"Je... souhaite plutôt vous remercier sans vous déranger. J'imagine que vous êtes attendu quelque part mais… Mon jardin propose des carottes et de bonnes courgettes si cela vous intéresse. Eventuellement."

"Oh je vous remercie mais je n'ai pas spécialement" - GRAOUHHH- ".... faim" le vendit son estomac vide avant qu'il puisse se sauver. Ça faisait beaucoup de non-dits à une servante du Seigneur en peu de temps ça et Klyde se sentit mal à cette idée. "J'aime beaucoup les carottes" avoua-t-il, vaincu par ce coup du sort la volonté divine.

"Ne vous sentez pas gêné d'accepter un cadeau, voyons. Je fais cela avec plaisir. Sinon, je ne vous proposerais pas du tout. Les enfants adorent les carottes crues, enfin certains."
Un ange passe.
"Enfin, je n'insinue pas du tout que vous êtes un enfant ! Je parlais de mes enfants. Elle se lève pour cacher sa gêne. Venez, veuillez bien me suivre."

"Mais c'est bon les carottes crues" osa-t-il rajouter d'une petite voix en se ratatinant sur lui-même, ce qui rendait encore moins justice à ses 19 ans bien tassés. "Vos enfants ??" La surprise lui fit redresser la tête. Une religieuse avec des enfants ? Et sa vie consacrée à Dieu ? Elle était mariée ? Inévitablement, la cruelle vérité de Viktor lui revint en tête.

Le jeune homme est si facile à lire, Ruf rit gentiment de sa confusion.
"Ils ne sont pas de mon sang mais je les considère comme tels. Ils font partie de ma famille."
Et en effet, une bande de galopins d'âges variés approchent, criant des "Ruf", "ma sœur" et autres variantes.

Il en était encore à buguer quand la lumière se fit enfin dans son esprit (une lumière qui portait bien son nom*). "Oh. C'est un orphelinat." Tout s'expliquait... enfin cette partie du moins.

*Sveta signifie Lumière Brillante

"Ruuuuf ! Vanya fait rien que m'embêter !
- C'est qui le m'sieur ?
- J'ai faim !
- Allons les enfants, qu'est-ce que je vous ai dit ?" demande Ruf en haussant un sourcil qui se veut réprobateur sans être tyrannique.
"Pas parler en même temps, dés'lés…
- Très bien ! Nous allons servir à manger. En attendant, est-ce que l'un d'entre vous veut montrer le potager à monsieur..."
Ruf réalise alors qu'elle ne connaît pas le nom du jeune homme.
"Veuillez me pardonner. Comment vous appelez-vous ?"

C'était étrange. Il avait l'impression d'être de nouveau à Saratov, quand il n'était plus qu'un des rares grands au milieu des plus jeunes, mais il y avait un il-ne-savait-quoi qui ne collait pas avec ses souvenirs. Peut-être le nombre de filles, il y en avait peu au camp... pour ne pas dire pas les dernières années. "Klyde" revient-il à lui. "Je m'appelle Klyde." Le nom sonnait étrange, il le savait sans la mine déconcertée de certains enfants.

"Je me nomme Ruf, vous pouvez m'appeler ainsi si vous le désirez. allons les enfants, qui veut m'accompagner moi et Klyde au potager pour cueillir des carottes ?
- Moi !
- Et moi ?"
Trois volontaires se désignèrent : un grand blond sûr de lui, une petite fille brune au regard doux et un tout jeune très curieux.
"Comment tu t'es cassé le nez ? Moi, chuis tombé de la table !
- Oh, vous n'êtes pas obligé de répondre à Rodya, il pose tout le temps des questions !"

Le brun se voyait mal rester silencieux alors qu'on l'accueillait gentiment pour un repas. Ça arrivait souvent, que les gens l'acceptent facilement à leurs côtés pour peu qu'il se montrait aimable et souriant. "C'était dans une bagarre contre des adultes, je devais me défendre et ils s'en étaient pris à mon frère" raconta-t-il la version officielle de sa blessure face au démon-rhino.

Ruf cligne des yeux en remarquant pour la première fois la cicatrice désignée par Rodya. Elle se rassure (un peu) ensuite quand le jeune Klyde explique avoir obtenu cette cicatrice en protégeant un frère.
"Grâce à Dieu, cela est derrière à présent ! Votre cicatrice se voit à peine.
- Je prends des carottes petites ou grandes m'sieur Klyde ?" demande la fillette.

"Dieu y a été beaucoup ma sœur, je vous le confirme." Il s'agissait encore du combat le plus difficile qu'il ai eu à mener et il avait failli perdre Pasha ! L'idée qu'il doive de nouveau vivre sans lui, et cette fois définitivement, lui serrait atrocement le cœur. "Et bien... heu..." revient-il encore à lui. "Qu'importe non, tant qu'elles sont mûres ?"

Ruf remarque la légère absence du jeune homme à la mention de la bagarre et devine le traumatisme que cela a pu être. Elle repense à sa propre expérience qui remonte encore à plus de vingt ans. Un rire se fait soudainement entendre : le blondinet se moque de Klyde.
"C'est toujours mûrs les carottes, faut juste attendre qu'elles ont la bonne taille !
- Vanya, sois gentil !" réagit Ruf.

"Je... je ne savais pas" avoua Klyde un peu pris de court. "Je n'ai jamais dû m'occuper d'un jardin avant." Ni maintenant.

Mais dans quoi il s'embarquait une fois encore ? {Tu as travaillé longuement hier soir, bien plus tard que d'ordinaire} lui rappela l'Ange. Voulait-il lui dire qu'il ferait mieux de dormir ? {Aussi. Mais que tu manges correctement me rassurerait Trésor. Tu n'as rien avalé depuis hier.} Si Sveta le voulait, qui était-il pour le lui refuser ? "Volontiers ma sœur" lui sourit-il.

Ruf sourit en voyant le jeune homme accepter. Il lui avait fait peur en disant ne pas avoir faim à midi, ce qui signifiait qu'il ne comptait pas manger du tout à la base. Avait-il seulement une famille pour accepter si vite l'invitation ?
"Prenez place alors. Je vous présente la novice Darya. Darya, voici Klyde."
Arrive une apprentie religieuse d'une vingtaine d'années qui ne porte pas encore l'uniforme mais déjà un voile et des vêtements sobres.
"Bonjour Klyde. Enchantée."