Il y a plusieurs choses que les gens n'aiment pas au château : celles qui font du bruit, et celles qui salissent. Malheureusement pour son propre bien, l'orc réunissait les deux en un. Il avait la malchance de mesurer au bas mot deux têtes et demi de plus que les enfants de son âge et de ce voir pardonner bien moins fréquemment ses incartades que ces derniers. Cette fois-ci, il avait eu la mauvaise idée de rentrer avec des bocs de glaise à la place des chaussures, et avait été puni à nettoyer quand ses petits camarades pouvaient encore jouer dans la boue. Du haut de ses cinq ans il criait à l'injustice (et essayait de ne pas pleurer...)(ce qui s'avouait particulièrement difficile).

« Ton enfant est infernal ! » Même si elle en avait trois, Moira n’eut pas besoin de demander duquel il était question au juste. À sa grande exaspération, la capacité à pardonner des transgressions enfantines de certains humains chutait drastiquement quand l’enfant en question arborait une peau verte. Oui, Asbjörn était turbulent et parfois peu soigneux… mais quel enfant ne l’était jamais ? Bref, c’est une Moira plutôt en pétard et pas forcément contre son fils qui parcourait les couloirs du chateau à la recherche du rejeton en question.

Droit comme un i, la tête un peu penchée vers l'avant et le regard fuyant l'orc essayait de laisser couleur sur lui les reproches peu agréables qu'on était en train de lui faire. Il savait que s'il avait le tort de répliquer, de dire que c'était injuste, enfin non, ce n'était pas injuste qu'il se fasse gronder, il savait qu'il avait marché avec ses pieds pleins de boue dans le chateau, non c'était injuste qu'il soit le seul à se faire gronder. Seulement s'il répliquait, on le gronderait encore plus. Il le savait.

« Je prends la relève, merci. » L’espace d’un instant Moira crut qu’elle allait devoir insister, mais quelques chose dans son expression ou dans sa voix dut dissuader ses interlocuteurs. Une fois ceux-ci hors de vue, elle s’accroupit à côté de son fils. « Asbjörn, regarde-moi. » Son ton était plus posé et chaleureux maintenant. Vu la litanie de reproches que le jeune orc venait de se prendre, elle n’avait pas l’intention d’en rajouter une couche.

Quand sa mère arriva, l'orc fût partagé entre deux sentiments. Le soulagement : elle était bien plus gentille que la majorité des personnes du château (sauf peut-être sa grand-mère qui ne lui refusait jamais une friandise...) et la crainte : elle grondait beaucoup plus fort que les autres aussi. Il n'avait pas envie de lever les yeux vers elle, parce qu'il avait promis d'être un bon garçon et que visiblement une fois de plus il n'avait pas réussi.

Elle résista de justesse à l’envie de soupirer, peu désireuse qu’Asbjörn s’imagine être la cause de sa lassitude. Enfin, oui, il l’était indirectement… mais l’étroitesse d’esprit de ceux qui les entouraient avait une part de responsabilité bien plus importante. Puisque la conversation ne s’annonçait pas simple, Moira s’assit (position plus confortable que de rester accroupie indéfiniment) et passa une main dans les cheveux de son fils. « Est-ce que tu peux me raconter ce qu’il s’est passé ? »

"Rien."

Petit orc est sur la défensive. Petit d'orc n'ira pas chouiner dans les jupons de sa mère ou ses copains se moqueraient de lui. Petit d'orc à la tête de bois de ceux de son espèce.

Une longue discussion, en effet. « Ah. » C’est dans ces moments-là qu’elle était ravie d’avoir déjà une certaine expérience, ou elle aurait été bien perdue. Enfin, plus que maintenant, quoi. « La discussion avait pourtant l’air très animée quand je suis arrivée. C’est un rien qui a l’air passionnant. »

"J'ai les pieds sales, il est pas content, c'est tout. "

Ce petit orc n'a jamais été bien doué pour raconter des histoires, et cela venait sans doute du fait qu'il n'aimer pas le faire. Seulement il sait que maman Moira ne le laissera pas tranquille s'il ne dit rien.

« Ah. » Elle était décidément d’une éloquence splendide aujourd’hui. « Et pourquoi est-ce qu’il n’était pas content que tu aies les pieds sales ? » Elle aurait pu lui servir un sermon tout fait qui ne nécessiterait pas de lui tirer les vers du nez, mais cela ne servirait qu’à le braquer encore plus et ne réglerait absolument aucun problème.

Il est presque sûr qu'elle demande exprès pour l'embêter ou le gronder à son tour.

"Parce que le sol est propre. "

Ou presque, là n'était pas la question. Cinq petits sauvages avaient traversé le couloir, seul le plus grand avait été grondé, il aurait dû montrer l'exemple aux plus petits et ce même s'il n'était pas le plus âgé.

Elle hocha la tête, même si ce mouvement échapperait à Asbjörn tant qu’il ne daignerait pas lever les yeux. « Et comment est-ce que ça se fait qu’il est propre ? »

"Parce que."

C'était sa manière à lui de dire "parce qu'un sol est fait pour être propre. Un sol c'est propre parce que c'est propre. C'est magique un peu.

Ah, la réponse préférée des enfants (sauf, étrangement, quand un adulte l’utilisait comme réponse à leur question préférée « Pourquoi ? ») Malheureusement pour l’enfant, il n’allait pas s’en sortir aussi facilement. « Parce que… ? »

"Parce que c'est comme ça."

Elle le faisait exprès. C'était maintenant certains. Sauf que il avait pas envie de répondre. Enfin non, il voulait qu'on le laisse tranquille !

Il était buté, pas de doute à ce sujet. Pas de chance, petit orc, Moira était non moins têtue. Mais histoire d’éviter de tourner en rond, elle changea d’angle d’approche. « Est-ce que tu sais ce que Rowan fait dans ce chateau ? » La femme d’un certain âge (ou d’un âge certain) était une amie de la mère de Moira et une des nombreuses personnes responsables de garder les lieux dans un état présentable. Sa patience était tout aussi légendaire que ses colères lorsque quelqu’un mettait le désordre dans son chateau adoré.

"Elle s'occupe de tout !"

Oh joie de l'innocence infantile. Heureux celui qui croit que les adultes sont là pour s'occuper de tout et ne connaît pas le labeur de passer le balais.

C’était… pas faux, même si vague et un chouia exagéré. L’intendant en particulier serait très vexé de voir Rowan ainsi promue à son poste (et ça lui ferait les pieds). « Sans elle et sans ceux sous ses ordres, toutes les pièces seraient sales et on ne retrouverait jamais rien. » Sauf peut-être dans les cuisines, ou les cuistots rivalisaient de maniaquerie avec Rowan. « Donc, quand tu as les pieds sales sur un sol propre, qu’est-ce que ça fait ? »

"Qu'elle a un travail ?"

Logique imparable. Si on ne salit pas les adultes n'ont plus de travail et ils s'ennuient. Ils ne savent plus jouer comme il faut tous les enfants le savent. Il y a peut-être un peu de mauvaise foi quand même.

Bien essayé, petit bonhomme. « Qu’elle a plus de travail qu’elle n’en a déjà. » Même sans tenir compte d’une troupe de petits bonshommes de boue, il y avait toujours bien de la poussière, des araignées ou une foule d’autres facteurs qui faisaient du ménage d’un bâtiment aussi grand une tâche répétitive et sans fin.

L'orcquinounet hausse les épaules, il sent le reproche dans la voix de sa mère mais ne le comprend manifestement pas.

"Mais elle aime ça !"

Sinon elle ne le ferait pas. CQFD.

« Ah ? » Mauvaise foi ou réelle conviction ? Elle décida de lui donner le bénéfice du doute. « Est-ce que tu aimes te brosser les dents ? » Si c’était le cas, il avait une drôle de manière de le montrer.

Réflexion intense face à se piège évident. La réponse évidente est non. Seulement il sait que les réponses évidentes sont dangereuses... Mais impossible de répondre affirmativement, ça se retournerait contre lui trop rapidement.

"Bof."


L'art de couper la poire en deux.

« Mais tu dois le faire parce que c’est nécessaire. C’est pareil pour Rowan et le ménage : il faut bien le faire parce que c’est nécessaire. » Elle poursuivit son analogie. « Maintenant, imagine que tu manges quelque chose de vraiment collant et que tu doives te brosser les dents encore plus souvent que normalement, est-ce que ça te plairait ? »

"Bin oui, parce que c'est pas agréable d'avoir les dents collantes."

Logique orcquinounet 1- Logique adulte 0. Il faut le préciser tout de même.