Avait-il été invité ? Pas le moins du monde. Etait-il inscrit sur le registre ? Naturellement.

Sa présence n'avait rien d'un hasard. L'elfe se contentait pourtant de flâner, assistant à la vente aux enchères sans y participer, mais personne ne lui avait posé de question.
Peut-être n'osaient-il pas. Nul n'était prêt à risquer un indicent diplomatique, la tenue et les bijoux qu'il arborait suggéraient une richesse et un rang social élevés. Peut-être étaient-ils intimidés. Son apparence presque féérique, son visage d'une finesse ambigüe, il était difficile de savoir comment l'aborder. Et conscient de ses atouts, il considérait son entourage en souriant.

L'elfe n'avait jusque là, adressé la parole à personne. Durant la vente aux enchères, il avait seulement observé, prenant des notes dans un petit carnet. Certaines œuvres avait suscité son admiration, mais visiblement pas assez pour qu'il mette la main à la bourse.
La vente terminée, il se fondait maintenant dans la foule des gens aisés. Beaucoup de notables, principalement humains, suivis de près par leurs gardes du corps respectifs. Détail mémorable, l'un d'eux s'était attaché les services d'un orc. Et cet humain le dévisageait depuis quelque temps. Il s'approcha donc, et l'humain détourna les yeux, agrandissant son sourire. Il vint sur son côté, frôler sa manche.

Suis-je à votre goût, messire ?

Faut avouer qu'en se payant les services d'un orc comme Asb' les riches notables évitaient les désagréments du style : il vous a approché de trop près m'sieur. Ainsi l'elfe qui avait frôlé son employeur n'avait pas fini écrasé. Il serait toujours temps de l'aplanir s'il sortait une dague...

"Vous ne figurez pas sur la liste des lots." remarqua le noblio, mais l'orc n'écoutait pas vraiment.

Papillonnant autour de l'humain, l'elfe commençait à attirer l'attention. Il laissa échapper un rire.

Si fait, messire. Mais vous semblez prêt à payer pour ça. Il ajouta d'un ton légèrement plus grave. Même si vous avez rarement à le faire.

Il reprit son manège frivole. A moins que... Oh... Cette fois, plusieurs personnes autour guettaient la scène, prêtes à juger l'opportun, mais le jugement pouvait vite changer de cible. Je ne suis peut-être pas assez jeune pour vous...

"Dois-je intervenir ?"

Asb était l'un des rares de son espèce à demander la permission. Cela tenant sans doute à son souhait d'être payé. Le noblio hocha la tête affirmativement. Alors il s'interpose.

"Veuillez passer votre chemin, elfe."

Quel dommage de gâcher un aussi joli compliment. Le doigt contre sa joue, l'elfe souriait, taquin. J'ai pourtant presque compris que vous me compariez à une œuvre d'art.

Il s'écarta légèrement, pour garder le noble dans son champ de vision, continuant de parler sur un ton léger et suave. L'argent permet décidément beaucoup de choses... L'elfe considéra l'orc, les yeux brillants. Comme... se payer les services d'un aussi beau garde du corps...

L'orc n'est pas certain que l'elfe se moque de lui mais pas certain du contraire. Un compliment est toujours bon à prendre. Cela étant il essaie de deviner ce qu'il doit faire, cogner, laisser parler ? Rien ne lui semble très approprié, mais le nobliau lui fait un signe de main signifiant clairement "laisse." Aussi il arrête de se prendre la tête.

"En effet l'argent permet bien des choses."

L'argent, l'influence, le pouvoir... Puisque l'humain avait indiqué à son garde du corps de laisser l'elfe parler, celui-ci continuait gaiement sur sa lancée, d'autant plus que sa prestation avait un public. Obtenir ce que l'on désire, se sortir d'une situation déplaisante... Il jeta un regard amusé vers l'orc, qu'il gratifia au passage d'un clin d'œil.

Vous a-t-on déjà refusé quelque chose ?

"On a essayé." sourire de l'homme dépourvu de chaleur, il ne sait pas quelles motivations se cachaient derrière les questions du jeune elfe. L'orc commence à voir bien trop de regards se tourner vers eux, ce qui semble échapper à son humain... Plus il y a de regards, plus on est en apparente sécurité.

Oh... L'elfe posa ses doigts contre son menton, révélant un air affecté et un demi-sourire. Dois-je comprendre que l'un de ces enfants s'est-il un jour refusé à vous ? Ou du moins... a essayé ?

Sûr que la réaction de la foule est plus importante que celle de l'orc qui n'écoute rien de la discussion de son employeur tant que l'elfe reste à distance... pourtant quelque-chose a changé dans la pièce, une nouvelle tension.

"Quels enfants ? Soit vous êtes mal informé, soit vous êtes simplement malveillant. Si vous n'avez rien de plus intéressant à raconter, je vous laisse disposer."

Disposer... Le sourire de l'elfe se renforça. Il est sûr plus aisé de disposer du corps que de l'esprit, et vous sembliez plutôt disposé à faire usage du mien jusqu'à ce que ma langue se délie. Il se retourna un court instant, prenant l'assistance pour témoin, avant de revenir sur l'humain. La vérité sort de la bouche des enfants, et de la mienne.

"Enfant ? Vous n'abusez personne elfe. Même si votre minois est charmant votre esprit est malveillant, un vrai gâchis. Vous n'êtes malheureusement pas assez divertissant pour que je perde mon temps à essayer de vous dompter. Bonne journée."

Sur ce il s'avança vers un groupe de connaissances, suivi de son garde du corps d'orc.

Haussant les épaules sans renier son sourire, l'elfe laissa partir le noble trop sûr de lui. Autour de lui, autour de l'humain, les murmures s'étaient bien établis. Suffisamment pour que le doute s'installe chez ses pairs. Suffisamment pour que cette fois, richesse influence et pouvoir ne suffisent plus. Il eut un regard pour le dos de l'orc, laissant laissant libre interprétation à sa dernière intervention.

Quel gâchis...

La suite de la semaine fut des moins agréables pour l'orc, nombre de personnes tentèrent de s'en prendre à son employeur. Le rôle de garde du corps l'ennuyait par nature, manquant d'aventure, et quand en plus on se recevait des oeufs sans n'avoir rien demandé on atteignant le summum de l'emmerdement. Il ne fut guère attristé quand les gardes de la ville vinrent chercher celui qui ne fut plus son employeur quand il fut emprisonné. au chômage technique, il trainait dans un bouge une pinte à la main en attendant que soient placardé les nouvelles offres d'emploi pour les aventuriers au petit matin.

La manœuvre avait réussi au-delà de ses espérances. Il y avait eu enquête, et les témoignages concordaient avec les déclarations du mystérieux elfe gris. La société se retrouvait débarrassée d'un peu de sa lie.
Sans son apparat, l'elfe fréquentait un endroit plus adapté à son véritable tempérament. Le bruit courait déjà, sans réellement l'impliquer. Tout sourire, il s'accouda au bar pour commander.

La chope à la main, l'orc chantonne avec d'autres clients des chansons grivoises quand une femme s'installe non loin de lui. Il pourrait lui faire remarquer qu'il est risqué pour une dame de se pointer dans un tel bouge à cette heure, s'il ne savait pas qu'il était risqué pour lui de faire une telle supposition, certaines p'tites dames le lui ont appris... douloureusement. Il regarde la femme, fronce les sourcils, essaie de se souvenir de quelque-chose mais l'alcool semble le garder hors de sa portée.

"On se connait ?"

Abordé sans autre égard ou avertissement par un orc passablement éméché, l'elfe reconnut pour sa part sans mal le garde du corps du noble évincé. Laissant un sourire amusé effleurer ses lèvres, il toucha le menton du gaillard du bout du doigt.

Ca se pourrait bien... ~

Visiblement cet (cette ?) elfe-là n'avait rien d'une demoiselle en détresse.

"Si vous pouviez m'donner un indice..." fit l'orc badin.

Les techniques de drague d'un orc sont rarement très élaborées, mais celui-ci avait été élevé par une mère célibataire. Il savait ce que c'était de se prendre une bonne correction par une femme, et ne l'oubliait pas même éméché.

On a dit ma langue malveillante. Ma langue de vipère n'a pourtant proféré que la vérité...

Puisque l'orc entrait dans son jeu, même enivré, l'elfe prenait visiblement plaisir à continuer sur sa lancée.

Il en faudrait moins pour perdre un orc orc, et Asbjörn ne l'était pas. Aussi il regarda l'air plus bête qu'il ne l'était l'elfe. Il finit par sourire et par accompagner ces paroles d'un immense sourire :

"Je savais que les elfes avaient les oreilles pointues mais pas la langue fourchue !"

L'elfe répondit au sourire de l'orc de manière tout aussi éclatante.

La mienne ne l'est pas. Illustrant ses propos, l'elfe tira une langue taquine entre ses dents. Souhaiterais-tu qu'elle le devienne ?

Bien évidemment l'orc n'imagine pas que l'elfe puisse changer d'apparence. Aussi il fronce énormément les sourcils, un peu comme s'il essayait de saisir le sens de la vie.

"Non je ne souhaite pas que vous vous mutiliez."

Savoir s'il l'avait déjà rencontré n'avait visiblement pas tant d'importance. L'orc avait abandonné ses compagnons de beuverie pour la modeste compagnie de l'elfe gris.

Je n'en ferai rien. Il souriait encore. Promis.

Il rit, puis posa deux doigts contre le front de l'orc. Mal au crâne ?

Il y avait de quoi avec le comportement de la jeune femme, quoi qu'elle pouvait être plus vieille qu'il n'y paraissait, les elfes ne semblaient jamais vieillir. L'orc força ses sourcils à se détendre.

"Non, ça ce sera pour demain !"

Il rit encore. Ça, c'est certain. Laissant le front de l'orc tranquille, il recula légèrement sur sa chaise.

Et que te vaut l'honneur de cette cuite ?