Rappel du premier message :

Les derniers mois de l'année constituent la période préférée de Lumi Koskinen. La jeune fille adoptée par des rebelles finois aime la neige et surtout l'esprit des fêtes de fin d'année. Avec la construction éclair de la Cathédrale Saint-Nicolas a même fait avancer les choses prématurément. Les prières et les bénédiction se sont multipliées comme des fleurs de glace. Et Ilma s'est découvert une petite passion pour les chorales, Lumi est ravie de l'accompagner en chant comme en promenade.

D'habitude les jeunes rebelles s'occupent d'interventions dangereuses dans les airs à bord de leur dirigeable mais vivre une vie normal est bien aussi et surtout les miliciens sont si nombreux en ce moment que tenter quoi que ce soit est suicidaire. Pour passer le temps agréablement, Lumi a décidé de mettre en place une petite tradition de noël très sympathique : l'arbre à souhaits.

Le principe est simple :  un arbre, des souhaits à accrocher à l'arbre jusqu'à la fin de l'année. Les gens du quartier peuvent lire les bouts de carton et décider d'exaucer le vœu de la personne. La tradition dit même que si personne ne le décroche, le Saint-Esprit s'en charge. Pour mettre en place une telle chose, rien de plus simple que d'en parler aux femmes d'âge moyen sortant de l'église. Des sourires, de la politesse et une bouille d'ange et le tour est joué ! Les femmes en ont parlé au prêtre.

Et l'arbre est là ! Les filles peuvent l'admirer.

L'église était modeste comparée à beaucoup d'autres, mais aussi simple qu'elle soit, elle dégageait quelque chose de chaleureux. Plusieurs personnes étaient venues se réfugier en son sein, et de petits groupes discutaient respectueusement sur les bancs ou autour de cierges allumés à l'approche de la nativité. Le jeune prêtre fit entrer les jeunes filles et laissa son regard couler sur les personnes présentes.

C'est une petite église, mais je prends soin des gens qui y viennent.

L'atmosphère de l'église appelle au calme et à la contemplation. Son esthétique est toute différente de la simplicité de la neige légère. Les piliers sont grands, l'intérieur sombre, les lumières des bougies et des vitraux colorés donne au lieu une ambiance de refuge. Les traces d'usure en gâche un peu la beauté. Ici, le son résone d'autant plus, difficile d'avoir une conversation intime. Lumi chuchote donc pour demander :
"Pourquoi vous habillez-vous en blanc, père Shyam ?"

Le prêtre parut sincèrement surpris. Peu me posent cette question. Sincèrement, et agréablement surpris.

Il sourit, ferma à demi les yeux, auxquels la lumière des bougies donnait des reflets indigo. Cela vient de ma culture. Le blanc est synonyme de pureté, et la couleur des brahmanes. Des prêtres.

Lumi est davantage surprise que personne jusque là n'ait posé la question. Lumi ne connaît pas tous les ordres religieux mais une soutane blanche est un signe plutôt visible et original.
"Vous êtes donc Brâmane pour votre pays d'origine ?"
La russo-finnoise ne sait pas vraiment si le prêtre devant elle a totalement adopté la Russie comme terre d'accueil, visiblement non puisqu'il garde beaucoup de culture indienne.

Le prêtre oscilla la tête, et cela ressemblait cette fois réellement à une négation. Je le suis devenu ici. La joie profonde que lui évoquait sa fonction était presque palpable. Là-bas, je ne connaissais pas Dieu. Il sembla vouloir continuer sa phrase, mais s'interrompit. Trop de choses pouvaient prêter à confusion, porter à interprétation, et de manière compréhensible, il préférait s'abstenir.

Lumi a envie de se confesser un peu, pas au sens religieux du terme.
"Je sens beaucoup Dieu, quand je suis dans le ciel. C'est fantastique de voler en dirigeable. C'est formidable d'imaginer qu'une boîte de métal peut s'élever dans le ciel."

Tu... voles...

L'incrédulité du prêtre n'avait d'égale que la fascination qu'il manifestait à cette idée. Il secoua doucement la tête, sortant de sa rêverie. La technologie paraît divine, décrite ainsi. Il considéra la jeune fille. Alors tu es pilote... Il laissa un petit blanc étonné. Je ne connais pas ton nom.

Lumi ne s'attendait pas à une telle incrédulité. Certes, ce n'est pas la première fois que les gens s'interroge sur son âge mais beaucoup de dirigeables parcourent la ville.
"Oh, je n'ai pas donné mon nom ? Désolée, moi c'est Lumi.
- Et moi, je m'appelle Ilma, enchantée," ajoute sa camarade.

En... chanté, Lumi, Ilma. Le prêtre sourit à sa manière, avec une douceur qui se voyait surtout dans ses yeux noirs. C'est un métier magn... gnifique. Je ne suis jamais monté dans un dirigeable. Son vocabulaire parvenait visiblement à ses limites, devant la prononciation de certains mots, mais il n'en était pas moins enjoué et avide de découvertes.

Lumi sourit également, d'un sourire radieux comme le soleil sur la neige.
"Oh, si vous le souhaitez très très fort, vous pourriez voler à bord d'un dirigeable, et cela sans l'écrire sur votre carte de vœu."

Je ne... Le prêtre hésita, avant de comprendre, sans doute, ce que voulait dire la jeune fille. C'est... C'est une invitation. A nouveau, il oscilla la tête, à la fois enchanté et embarrassé. Je ne peux pas payer le voyage.

"C'est offert par la maison ! Vous avez accepté d'installer l'arbre à souhait, c'est un paiement bien suffisant ! s'exclame Lumi avec joie et sincérité.
- Oui, n'hésitez pas," ajoute Ilma.

Le prêtre secoua encore un peu la tête, peinant à accepter un tel cadeau. Je ne veux pas prendre ton temps... votre temps. Son regard s'était tourné vers Ilma, restée jusque là bien plus silencieuse que son amie. Vous êtes deux pilotes.

Ilma ne semble pas avoir compris l'accent particulier de l'indien. Heureusement, Lumi court à sa rescousse.
"Ilma est la navigatrice en cheffe ! C'est elle qui choisit le meilleur itinéraire ! Elle est très précieuse ! Aucun souci avec elle à bord. N'hésitez pas, venez, c'est votre chance. Dieu nous a placé sur votre chemin !"
C'est bas, Lumi.

Le regard du jeune homme s'éclaira en détaillant Ilma, impressionné. Il revint sur Lumi avec un sourire engageant.

Je n'en doute pas. Il hésita encore. Je... D'accord.

Sans argument face à la générosité de la jeune fille, il avait fini par accepter de bonne grâce, un sourire franc illuminant son visage sombre. Il parut néanmoins chagriné l'instant suivant.

Je ne peux pas quitter ma paroisse... Il chercha la suite de ses mots, sans vraiment trouver. ... soudainement ?

Lumi ne cache pas son cri de joie silencieux quand le prêtre cède enfin sa politesse et sa peur de l'inconnu pour exprimer son vrai désir. Il aurait dû mieux cacher son intérêt pour le dirigeable !
"Quand pouvez-vous alors ? Pour l'instant, nous nous baladons, nous pouvons vous mener au dirigeable ensuite."

Pas aujourd'hui je le crains. Il adressa aux deux jeunes filles un sourire légèrement attristé, mais sincère. A l'approche des fêtes j'ai beaucoup de travail. Son air enjoué reprenait le dessus. Nous pouvons nous revoir un jour.

"Oh bah oui, un jour. Nous ne vous dérangerons pas plus longtemps, mon père. À l'année prochaine alors ! Que cette année-ci soit pleine de joie pour vous," dit Lumi, prête à dire au revoir sans une once de tristesse.
Les nomades ont cette facilité à appréhender les rencontres de façon positive, toujours heureux de voir une nouvelle personne, jamais triste de la quitter.

Le prêtre parut confus un instant, sans doute n'avait-il pas réussi à exprimer ce qu'il souhaitait réellement. Néanmoins retrouver un pilote d'aéronef n'était pas difficile. Avant que vous ne partiez. Il sourit, ressortant le carton bicolore de son manteau. J'aimerais le faire avec vous.

Lumi ne sait pas bien si le prêtre demandait à ce que le filles le suivent jusqu'à l'arbre ou s'il voulait partager son vœu avec elle. Dans le deuxième cas, il risquait un refus.
"Faire quoi ?"

Présenter mon souhait. Rapidement, le jeune homme trouva de quoi écrire sur un pupitre, et replia soigneusement le carton, un peu ailleurs, le visage attendri. Il revint vers les filles avec une expression plus joviale. Je veux faire bien.

Lumi hoche la tête, comprenant enfin ce que le prêtre voulait exprimer. Elles lui laissèrent le temps d'écrire son souhait qu'elles pensent le connaître déjà : un monde paisible.
Chacun aura sa propre définition, pour Lumi, il s'agit d'un monde débarrassé des préjugés et des envies belliqueuses, où l'entraide prime sur la concurrence, où chacun est libre de s'exprimer, où les faibles se relèvent.

Accompagné par les deux jeunes filles, le prêtre retourna près de l'arbre. Ses branches étaient recouvertes d'une fine couche de neige, et malgré le froid qui lui avait fait resserrer son manteau, le jeune homme accrocha son vœu sous les flocons. S'éloignant pour regarder son œuvre il sourit, les yeux brillant d'une modeste fierté.

Je m'en remets à Dieu.