Les derniers mois de l'année constituent la période préférée de Lumi Koskinen. La jeune fille adoptée par des rebelles finois aime la neige et surtout l'esprit des fêtes de fin d'année. Avec la construction éclair de la Cathédrale Saint-Nicolas a même fait avancer les choses prématurément. Les prières et les bénédiction se sont multipliées comme des fleurs de glace. Et Ilma s'est découvert une petite passion pour les chorales, Lumi est ravie de l'accompagner en chant comme en promenade.

D'habitude les jeunes rebelles s'occupent d'interventions dangereuses dans les airs à bord de leur dirigeable mais vivre une vie normal est bien aussi et surtout les miliciens sont si nombreux en ce moment que tenter quoi que ce soit est suicidaire. Pour passer le temps agréablement, Lumi a décidé de mettre en place une petite tradition de noël très sympathique : l'arbre à souhaits.

Le principe est simple :  un arbre, des souhaits à accrocher à l'arbre jusqu'à la fin de l'année. Les gens du quartier peuvent lire les bouts de carton et décider d'exaucer le vœu de la personne. La tradition dit même que si personne ne le décroche, le Saint-Esprit s'en charge. Pour mettre en place une telle chose, rien de plus simple que d'en parler aux femmes d'âge moyen sortant de l'église. Des sourires, de la politesse et une bouille d'ange et le tour est joué ! Les femmes en ont parlé au prêtre.

Et l'arbre est là ! Les filles peuvent l'admirer.

Un peu d'animation pour la paroisse était bienvenu, c'est ainsi que le prêtre souriant avait répondu aux femmes concernant la requête de deux jeunes filles de passage. Et elles étaient là, devant l'arbre, précédant le passage de quelques curieux. Emmitouflé dans son manteau blanc, il se joignit à la petite foule qui se formait. L'ambiance était déjà particulière, festive et joyeuse.

Namaste ladakiyaan. Il venait voir l'arbre comme n'importe qui. C'est votre œuvre ?

Un homme vient leur parler. Il est étrange, tout d'abord, il est très mate de peau comme les gens d'Orient et du Sud des livres, ensuite il porte un vêtement entièrement blanc et surtout il ne parle pas en russe, Lumi est prête à le jurer. C'est qu'elle a fait beaucoup de progrès ces derniers temps, Ilma aussi d'ailleurs même si elle n'ouvre pas souvent la bouche.
"Bonjour monsieur. Notre œuvre ? Comment cela ? Ce sont les fidèles réguliers qui ont installé cet arbre ?"

Le bas de son visage enfoui sous la fourrure de son manteau, le jeune homme sourit néanmoins.

C'est le cas. Mais je crois qu'on leur a soufflé l'idée.

"Oh, c'est fort possible. C'est une tradition que l'on ne voit pas assez. Elle est pourtant très bien, non ? Le principe de faire des vœux et de réaliser ceux de nos proches est vraiment bien. Quel dommage que Moscou ne le fasse pas assez."
L'arbre marche bien dans un village où tout le monde se connait. Dans une grande ville comme Moscou où certains travaillent loin de leur domicile, moins.

Le visage sombre s'adoucit, se montrant intéressé aux paroles de la jeune fille.

Je ne connais pas ces coutumes.

Les expressions du visage étranger étaient assez obscures, mais la sincérité dans sa voix ne faisait aucun doute.

Le jeune homme a l'air gentil, Lumi répond tout naturellement :
"Eh bien, on désigne le plus bel arbre vert du coin avant les fêtes. Un mois ou deux, peu importe. Tout le monde est invité à y écrire un souhait sur un carton avec son nom. Les gens sont libres de lire les cartons et de décrocher un carton pour exhausser le vœu de la personne. Ce peut être un objet ou un moment calme, quelque chose de réalisable naturellement."

La tête du jeune homme dodelina, intégrant les informations avec une certaine chaleur. La bienveillance de l'intention semblait le toucher. Son visage afficha néanmoins une mélancolie flagrante l'espace d'un instant, qu'il effaça d'un sourire.

Tu as un souhait.

Cet homme est vraiment étrange à pencher la tête régulièrement et à poser une question comme un fait. Si Lumi a un vœu, il est illusoire de croire qu'une et unique personne puisse le réaliser. Mise à part le pape peut-être…
"Euh, oui… J'aimerais que tout le monde soit en paix"

Nous avons cela en commun.

Un frisson cacha la douceur de son sourire derrière la fourrure de son col. Il pencha légèrement la tête, et regarda l'arbre. Un instant il ferma les yeux, conservant son air affable.

Pour mon souhait... je dois m'en remettre à Dieu.

De légers flocons de neige commencent à tomber autour d'eux. Lumi et Ilma sourient à l'homme en blanc.
"Et si vous l'écriviez sur l'arbre ? La tradition dit aussi qu'un vœu qui n'est pas décroché avant la fin de l'année sera exaucé par le Saint-Esprit lui-même !"

Rouvrant les yeux, le jeune homme laissa son sourire égayer son visage entier.

Je suis sûr qu'il le fera.

Son regard noir se perdit à contempler la chute des flocons, suivant leur danse légère et tourbillonnante. Son esprit, aussi, sembla s'égarer à leur suite.

Ils n'ont jamais vu cela...

Lumi a bien envie d'écrire le sien tout de même. Plus de personnes souhaiteront un avenir meilleur, mieux ce sera. La jeune finnoise tend un carton rouge et blanc au monsieur.
"Qui n'a jamais vu quoi, monsieur ?"

La question de la jeune fille lui fit revenir les pieds sur terre, bien qu'il garda encore un peu la tête dans les nuages, à la manière dont il fixa le carton qu'elle lui tendait.

Mes frères... ils n'ont jamais vu la neige.

Il prit le carton, sortant ses mains de leur leur écrin de chaleur. Elles étaient gantées, elles aussi couvertes de blanc.

Tu peux m'appeler Shaun.

Il n'avait visiblement pas l'habitude d'entendre "monsieur". Après tout il était encore jeune.

"Il y a sans doute plein de choses que vos frères ont vu que nous n'avons pas vu ! Où sont-ils, monsieur Shaun ?" demande Lumi bien curieuse.

Le jeune homme allait encore une fois relever l'apostrophe, mais se retint, préférant répondre au fond plutôt qu'à la forme.

C'est sans doute vrai. Un sourire doux étira à nouveau ses lèvres. Ils se trouvent toujours là-bas... Il sembla hésiter sur le mot à employer. Dans les Indes.

"Oh, vous venez des Indes ? Le pays des éléphants et des vaches sacrées ? Qu'est-ce qui vous amène ici, en Russie ? Vous êtes née ici peut-être."
Lumi a peut-être un russe tout à fait fluide maintenant, les hésitations et l'accent du jeune homme lui ont échappé. Tout comme celui-ci n'a certainement pas du comprendre que ses interlocutrices ne sont pas de culture slave mais finnoise.

Avec une douceur compréhensive, le jeune homme secoua la tête.

Je suis né là-bas. J'ai grandi auprès de mes frères. Il afficha une expression nostalgique, à nouveau. J'ai reçu un appel de Dieu. Il sourit, resserrant tout de même la fourrure de son manteau immaculée sur son corps. Je ne regrette en rien d'être ici.

"Un appel de Dieu ?" répète Lumi, intéressée.
La providence du seigneur est parfois bien étrange. Lumi est (sans doute) russe, pourtant elle a été recueillie par des rebelles finnois et a pu laisser s'exprimer sa nature zootrope. Et les pilotes finnois, comme la famille d'Ilma, doivent se batte loin de leur taïga.

Oui. Le jeune homme dodelina la tête, gardant cette expression douce et sincère alors qu'il parlait. Il n'y avait aucun doute dans sa voix, il paraissait réellement serein, en paix. J'ai suivi des missionnaires jusqu'ici. Son regard se fit amusé. C'est eux, qui m'ont appelé 'Shaun'.

"Alors votre nom n'est pas Shaum…" comprend bien Lumi qui devait parfois se faire appelée "Ludmila" pour passer plus inaperçue. "Quel est votre vrai nom, monsieur ?"
Lumi trouve qu'il est important de respecter les cultures et de prononcer correctement le nom des personnes (du moins autant qu'il est possible d'en comprendre et d'en reproduire les sons).

L'intérêt de la jeune fille le fit sourire. En vérité, il semblait ravi.

Merā nām Śyām Nilām hai. Il étouffa un rire derrière son gant. Mon nom est Śyām Nilām. Il n'exagérait en rien les lettres aspirées et les voyelles muettes, ce qui donnait une prononciation malgré tout difficile pour un palais coutumier de la langue russe. Il sourit. Si cela est trop complexe : Shyam Nilam. Même "simplifié" cela sonnait étrange et peu familier. Shyam suffit.

"Shyam Nilam," dit de son mieux la jeune russo-finnoise. "Vous êtes venu avec des missionnaires mais alors vous faites partie de l'église ? Nous pouvons continuez de parler à l'intérieur."
La jeune fille le propose car la neige est désormais partout et commence à former une couche bien épaisse sur le couvre-chef de Lumi.

Le sourire du jeune homme confirma à la jeune fille que sa diction n'était pas si mauvaise. Au moins il ne la corrigea pas. Il répondit humblement.

Je le suis, mon sacerdoce est auprès de Dieu et de ses enfants. Il sourit, voyant l'accumulation de neige. Tu as raison. Le carton rouge et blanc tourna entre ses doigts, avant de disparaître sous son manteau. Je serai heureux d'en apprendre plus.

Aimable, il s'avança pour tenir la porte aux deux jeunes filles.

"Sacerdoce" ? Mais alors c'est lui le prêtre ?! Si Lumi n'en était pas sure jusqu'à présent, elle en a la confirmation. Enfin, aussi surprenant cette information soit-elle, elle n'empêchera pas les filles de faire connaissance avec un prêtre proche de sa paroisse. Le groupe se met donc à l'abris du somptueux bâtiment (quoi que très loin d'être le plus chic de la ville).