Klyde connaissait le froid et les longues heures à rester dehors, le ventre vide, à attendre que les prêtres acceptent qu'il puisse enfin retourner sous la chaleur relative de ses couvertures. Il serait bien resté toute la nuit à attendre que le possible démon qu'il traquait se soit enfin décidé à traverser une zone moins fréquentée.

La chance -la Providence !- fit que l'homme à l'allure peu engageante paraissait chercher quelque chose, ou du moins se croire en discrète filature d'une jeune femme, et plus les minutes passaient, plus Klyde avait un réel doute de ses intentions envers elle ; chance donc qu'il n'avait pas à déterminer de la nature démoniaque de sa cible pour agir, un péché en valait un autre.

Aussi, il prit le pas du cadavre en devenir dans la rame de métro déserte alors qu'il suivait la femme, restant dans son coin à planifier mentalement une approche pour le renvoyer en Enfer sans mêler une civile. Au pire, si Dieu le voulait, il aurait deux corps à faire disparaître ce soir.

Quand on joue un jeu dangereux, on a toujours l'impression d'être suivi. En tout cas, c'était la forte impression qu'avait Elisabeth quand elle était montée dans la rame. Un premier homme monte, puis un garçon. Elle ne sera pas seule, ce qu'elle n'arrive pas encore a juger si c'est une bonne ou une mauvaise chose. Avec toute la nonchalance du monde, elle vérifie que son arme est bien là avant de sortir un rouge à lèvres mine de rien.

La chose d'acier et de verre les secoue légèrement alors que la cabine recommence son parcours au-dessus du vide. C'était mieux que les dirigeables mais sans Pavel et de nuit, le caneton n'était pas des plus rassurés. L'homme regardait par une fenêtre, trop souvent pour être aussi détendu qu'il voulait le faire paraître, et jetait des coup d’œil à la femme, parfois à lui. Klyde pencha légèrement la tête sur le côté et cligna des yeux avec un visage sans expression, une petite moue peut-être. Il devrait encore attendre mais au moins, il était au chaud.

Bon... Le trajet va être long. Peut-être que la paranoïa la gagne trop. Elle se remet du rouge à lèvre tout en se regardant dans le reflet de la vitre. On peut voir les rues éclairées, les fenêtres donnant sur des scènes de vie du quotidien des Moscovites. Une mère qui couche un enfant, un mari qui trie ses papiers...

Il allait passer à l'action. L'homme avait changé de jambe d'appuis et l'ignorait totalement à présent, se focalisant uniquement sur la femme mais quelque chose clochait : s'il en voulait vraiment à sa vertu, pourquoi être autant sur ses gardes ? Aucun mouvement vers une poche de son pantalon ou un réajustement de sa veste pour y chercher une arme, uniquement ses poings qu'il fermait et ouvrait en remuant des doigts. Puis des griffes alors que ses muscles se tendirent plus encore. {Il veut la tuer} lui fit savoir Sveta alors qu'il fonçait déjà sur le démon dans l'idée de l'éloigner de sa victime.

Elisabeth rangea son rouge à lèvre dans son sac tandis qu'elle jeta un rapide coup d'œil en coin. Ok, il y avait des griffes au bout des doigts d'un des hommes... Surement un frère zootrope qui ne savait pas... Quel dommage. Ses yeux cherchaient où elle avait bien pu le voir tandis que ses doigts glissaient sur son arme de service. Le jeune garçon fit aussi un mouvement ce qui lui fit relever la tête. Un deuxième ennemi ?

Le démon prit la réaction de la femme comme une alarme et leva prestement sa main à moitié transformer pour lui porter le premier sang... s'il n'avait pas été violemment percuté dans le dos par un facteur négligé. En un rien de temps, le Guide avait franchit la distance les séparant pour lui assener un coup en apparence des plus maladroits mais infligeant une grande douleur dans les reins. Dommage qu'il y avait la témoin, une dague entre les vertèbres et tout serait fini.

Il fallait sérieusement qu'elle revoie ses distances. Le zootrope était déjà sur elle et prêt à frapper. Il fut cependant arrêté dans son élan par un coup dans le dos. Un citoyen héroïque ou idiot face au zootrope ? Sûre que l'autre était dans son camp. Elisabeth se leva pour s'éloigner et brandir son arme de service.

Le zootrope quant à lui, tira l'arrêt d'urgence, faisant tanguer la cabine et les plongeant dans une ambiance aux lumières rouges.

- Éloignez-vous du démon.

{Une dame sans défense, hein ?} s'amusa l'Ange alors qu'il constatait l'arme. Il l'avait sous-estimée. Le démon osa un coup de griffes dans sa direction, qu'il esquiva en se laissant tomber en arrière au sol (certes, il était à présent assis mais à hauteur des genoux... toujours utile au cas où), avant de grogner envers sa victime dans un cri plus proche de l'animal que de l'humain et reprendre son assaut.

Est-ce qu'il fallait le capturer vivant ou mort ? Un vrai cas de conscience... Mieux valait mort au vu de ce qui allait lui arriver s'il se retrouvait dans les geôles de la milice. Elle jeta un coup d'œil au garçon avec elle pour s'assurer qu'il allait bien. Il fallait mettre le civil en sécurité après tout...

D'un mouvement souple, elle passa sous le coup de griffes et s'interposa entre le "démon" et le jeune homme.

- Vous allez bien ?

En la voyant entre lui et la bête, il grimaça. Sveta lui intimait de ne rien tenter de stupide et que jusqu'à présent, la situation était sous contrôle. Surtout que la femme ne paraissait nullement effrayée, au contraire. "Un peu secoué mais je n'ai rien" lui répondit-il avec une voix un brin candide. Puis la chose se transforma d'avantage -c'est un loup ou un lion-garou ce truc ?- et arracha un des sièges passagers de la rame pour le leur lancer dessus.

Il n'avait rien, tant mieux. Mais elle avait un autre problème à s'occuper... Si la confrontation continuait comme ça, il n'y aurait bientôt plus de cabine pour les abriter. La tête du zootrope était cachée par le siège et elle décida de lui tirer dans la cuisse. Il faut déséquilibrer et émit un grognement de rage envers la milicienne.

Pourquoi n'avait-elle pas visée le genou ? Quitte à le blesser pour le ralentir, autant le faire sur une articulation porteuse. {On ne juge pas Trésor.} Oui maiiiiis... bref. "Vous êtes de la Milice ?" demanda-t-il plutôt alors qu'un siège volait dans leur direction. La question semblait sortir de nul part au pire moment mais l'information était importante pour sa démarche à suivre.

Le zootrope perdait une quantité considérable de sang. Ses sens allaient sûrement se brouiller peu à peu. Elisabeth pesta intérieurement de ne pas avoir enduit ses balles de poison. Ca aurait été un peu plus vite. Elle allait se décaler pour éviter le siège quand elle se rendit compte que le civil n'allait sûrement ne pas bouger. D'une poigne de fer, elle m'attrapa par le bras et le décaler pour esquiver le fauteuil.

- Oui. Vous ferez mieux de vous cacher dans un coin.

Une chance qu'il était léger et comptait bouger dans la même direction car la prise sur son brassard métallique aurait pu l'interpeller. Ça et le stylet qu'elle avait délogé. "Mais me cacher où ?" lui répliqua-t-il confus alors qu'un second projectile plus fin -une rampe vraisemblance- perça la vitre derrière eux et fit pleuvoir une pluie de débris de verre. Les morceaux lui tombèrent dessus sans dég- {Trésor !} s'alarma Sveta quand une douleur dans le cou le surprit.

HRP :

Elisabeth n'eut pas le temps de répondre. La fenêtre était déjà en 1000 morceaux et sur eux. Elle sentit le verre glisser sur elle ce qui la déconcentra grandement. Sa main visa rapidement le zootrope qui s'apprêtait à lancer une autre rampe. Il fut arrêté dans son mouvement par une balle lui transperçant l'avant-bras de part en part.

- Vous allez bien ?

Du coin de l'œil, elle voyait le sang sur sa joue.

Sa protectrice lui posait exactement la même question... "Je vais bien oui" les rassura-t-il toutes deux, en espérant que la milicienne s'occupe plus du démon que de lui. C'était parce qu'elle était là qu'il ne l'avait pas déjà tué ! D'ailleurs, parlant de la bête, celui-ci dû en avoir assez de les attaquer de loin et s'approchait pour un combat au corps-à-corps dans les règles ; classique, ces engeances en revenaient toujours à la manière brute quand ils se sentaient perdants.

Ok... Bon, il ne s'était pas déjà vidé de son sang à cette allure là ?! Elisabeth garda son pistolet dans une main et plongea dans son sac pour attraper un couteau. Il ne l'aurait pas comme ça au corps-à-corps. Elle avait déjà mis à terre de plus gros morceaux que lui.

- Vous pouvez vous écarter... ?

Sa concentration faisait trop défaut, il fallait qu'elle travail dessus.

C'était frustrant que quelqu'un d'autre fasse SON devoir sous ses yeux mais Klyde ne voulait vraiment pas tuer la milicienne alors il obéit. Comme le pauvre jeune homme faible et inexpérimenté qu'il devrait être, il se poussa rapidement dans un coin que le démon n'avait pas encore saccagé à attendre que l'un des deux meurent. {Et pourquoi pas t'inquièter de ta plaie au cou ? Tu saignes encore Trésor.} Et il avait une écharpe à nettoyer en rentrant, toute une partie s'imbibait de sang et il ne voulait pas tâcher sa veste.

Bon, il s'éloignait ce qui donnait un peu d'air à Elisabeth. Une respiration après l'autre, elle resta imperturbable et tira une dernière balle qui se ficha dans le crâne du zootrope, éclaboussant de sa cervelle la cabine de tram. Aussitôt qu'elle sut qu'il ne se relèverait pas. Elle plongea dans son sac pour prendre une petite trousse de médics et s'approcher du civil. Par instinct, elle se mit devant lui et lui fit détourner le regard du cadavre.

- Ne regardez pas.

"Uhm ?" Il avait vu ce qu'il fallait, le démon était mort. "Merci madame, vous n'avait rien ?" dit le caneton la gorge ouverte (mais c'était une petite blessure et n'avait aucune gêne respiratoire), même si n'avait rien mangé de la journée ne l'aidait pas à garder les idées claires. Dans la cabine maintenant silencieuse, baignée par les seules lumières de la ville et l'odeur de la poudre à canon et du sang frais, le tableau était... particulier mais sans plus

Bon... Déjà de 1, il avait beaucoup de sang-froid pour un civil... Et de deux, son écharpé était imbibée de sang. Elle enleva doucement l'écharpe avec le plus grand des calmes. Ses yeux observaient là plaie pour être sure qu'il ne reste pas de verre dedans avant qu'elle ne presse doucement avec une compresse.

- Tout va bien pour moi. Ne vous inquiétez pas.

Bon, 4 bouts de scotch pour tenir le tout... Cela devrait faire affaire le temps qu'il se fasse examiner.

{Trésor ?} Mais il s'était complètement figé quand la femme le toucha. Mutique, il avait seulement pu pencher la tête pour faciliter son office et regretta avoir gâché l'échappe violette que la cuisinière de l'auberge lui avait donné. "Vous soignez souvent des gens que vous ne connaissez pas ?" Maksim avait fait la même chose, le jour de leur rencontre.

- C'est mon devoir, vous ne pensez pas ? Protéger et soigner s'il le faut. Je suis vraiment désolée que vous ayez été touché.

Elisabeth retira doucement ses mains tandis qu'elle regardait s'il n'avait pas d'autres blessures. Sa joue la picotait légèrement.

- Vous devriez faire attention à vouloir jouer les héros, cependant.

Un grand sourire pour le rassurer un peu. La cabine étant toujours coincée en hauteur après tout.

Sa respiration n'était pas aussi calme qui l'aurait souhaité. Le danger disparu, Klyde se rendait compte qu'il était enfermé dans une cage suspendue au-dessus du vide et ce constat le rendait nerveux. "La vitre n'est pas de votre faute Madame. Et puis ce n'est pas une grande blessure" lui dit le garçon dont la notion de "grandes blessures" différait de la norme. "J'ai vu qu'il voulait vous attaquer, je ne savais pas quoi faire d'autre, je ne savais pas que vous étiez de la Milice." Là aussi, un citoyen lambda aurait un tout autre ressentit face à un démon qui se révélait... ou un milicien.