Rappel du premier message :



Regardant avec inquiétude la jauge du kérosène se vider à une vitesse alarmante, Eir craignait  de devoir se poser en pleine toundra russe où elle devrait attendre pendant de longues heures la moindre aide. Ce n'était pas normal  que son kérosène se vide comme si  son avion était chargé ! Il y avait encore de longues heures de vols avant de pouvoir se poser sur les pistes aplanies de l'aérodrome de Moscou.  Elle essaya de se rappeler s'il y avait une escale possible sur la liaison Moscou-Tomsk qui lui permettrait de se poser pour réparer le coucou. Elle ne s'en souvenait pas alors....

Il fallait un peu plus de  quatre heures et survoler une distance de  deux mille huits cents soixante-seize kilomètres peu importe le nombre d'escales qu'elle ferait. Si elle calculait correctement la consommation de kérosène  et à en juger par ce qui lui restait, elle pouvait le faire !  Les contours de la ville de Moscou puis la piste aplanie indiqué par les signaux  la rassurèrent et allégèrent son fardeau. C'était juste. Une inquiétude de moins !

Elle se  posa sur la piste sans accroc  et, dès que l'appareil eut cessé de bouger,  se mit debout pour crier aux techniciens  qu'elle avait eu un souci en vol, une consommation anormale de kérosène. Se penchant ensuite pour récupérer la besace contenant les lettres et ses deux bouteilles de vins ; elle bondit sur l'aile droite de son coucou.

Les yeux d'Anoushka s'écarquillèrent de faim quand les odeurs généreuses de la boulangerie s'engouffrèrent dans ses narines. Elle gémit d'envie, le ventre gargouillant le tonnerre. Elle était affamée !! Oubliant son appréhension d'exagérer, elle trottina vers le comptoir en se léchant les lèvres.

Le boulanger  s'affaira à rassembler les brioches réclamés et à les fourrer dans un sac à emporter qu'il remit à Eir en énonçant son prix.  La pilote paya en roubles, un large sourire amusé par la gourmandise à peine déguisée de la jeune fille. Elle lui remit le paquet. Voilà les brioches. Et si nous allions nous installer maintenant pour manger ? Elle avait du fromage et du pain un peu durci dans sa besace.

"Merci !" s'exclama Anoushka avec bien plus d'entrain qu'avant. Elle trottina à la suite de la pilote et sauta sur l'une des tables en bois pour s'installer avec ses brioches. Sobaka se coucha sous sa table, à ses pieds, et elle lui donna un morceau de brioche avant de lever des yeux inquiets vers Madame Eir. "Sobaka aussi doit manger. Mais trop de brioches, ça lui fait mal au bidou." Elle rougit de gêne à l'idée de quémander encore de l'argent à une quasi-inconnue.

Eir regarda la petite nourrir son chien avec des brioches, lèva les yeux en l'air à l'explication. Pourquoi tu le nourris avec des brioches si tu sais que ça lui fait mal au bidou ? Je  vais demander au boucher de la viande. Ça coûtait cher, ce n'était pas le genre de met qu'on s'offrait tout les jours. Heureusement, il y avait une boucherie pas loin. Elle n'aurait qu'à faire quelques pas pour avoir la viande.

Les yeux d'Anoushka se mirent à briller, remplis d'étoiles humides. Elle n'avait osé espérer autant d'aide de la part de Madame Eir. Abandonnant sa brioche, elle descendit de sa chaise pour fuser se coller à la pilote. "Merci ! Merci ! Merci !" chouina-t-elle en boucle, libérant sa peur de ne pas réussir à nourrir Sobaka.

Ce n'est pas grand chose. Se déplacer avec une petite reconnaissante, collée contre elle, lui faisait un effet bizarre. Pourtant, elle s'était déjà occupée de malades, avait reçu des remerciements et des sourires au cours de cette courte carrière. Elle posa une main bienveillante sur les frêles épaules d'Anjou, comme pour lui transmettre du dose de réconfort. Il préfère quoi comme viande ?

"Pas de mouton." dit simplement Anoushka qui avait tendu la main pour attraper une touffe de poils du chien qui marchait à ses côtés. "Les moutons, c'est sa famille. Y veut pas en manger."

Un chien de berger mangeant du mouton, ce doit être un sacré problème. C'est noté. La pilote entre et commande au boucher des pièces de boeuf. A un prix raisonnable. Elle ne tient pas à se ruiner pour un chien de ce gabarit. Pendant que le boucher prépare derrière le comptoir la viande qu'il vient de sortir de la chambre froide, Eir laisse vagabonder son regard sur la vitrine donnant sur l'extérieur, un peu pour surveiller chien et enfant, un peu pour faire passer le temps. Et les sons de l'outil du boucher.

Ils attiraient l'attention des passants, fillette aux habits de campagnarde et gros chien de berger qu'ils étaient, et Anoushka se colla contre Sobaka en enfouissant son visage dans son poil épais. Elle n'était pas sûre d'aimer Moscou. Moscou était immense, bruyante, et pas très propre. Il y avait encore plus d'inconnus que parmi les visages de Tomsk et le ciel était plus gris que bleu. Même l'air charriait des odeurs de charbon et de vapeur. Non. Anoushka n'était pas rassurée.

Enfant et chien détonaient dans ce Moscou parfumé à l'odeur acre du charbon et de vapeur et bercé par le vacarme des machines, ils avaient de la chance d'avoir, au moins, quelqu'un pour veiller sur eux. Eir remercia le boucher qui lui avait remis un paquet qu'elle échangea contre des roubles puis sortit de la boutique. Tu veux bien lui donner un bout ? , la pilote lui tendit un des emballages en papier renfermant la viande. Un seul. Histoire qu'il se nourrisse.

Anouhska se décolla de la fourrure de Sobaka pour récupérer un bout de viande. Mais le chien le refusa. Il ne prit même pas la peine de le regarder, encore moins de le renifler. Sa posture dénotait sa concentration absolue dans la garde, rien ne l'en détournerait, pas même la faim. "Ah..." fit Anoushka en reposant la viande. "Je dois d'abord êtes en sérûté."

La sûreté ? Voilà un mot bien complexe pour son âge. Pas exactement ce qu'elle s'attendait à entendre dans la bouche d'une jeune fille qui s'était glissée clandestinement dans la soute d'un avion. Je vais aller à mon appartement, je me sens sale après un si long vol. La pilote ne s'était attardée sur place que pour acheter des provisions pour la fillette affamée et le chien. Un bon bain était tout ce qu'elle souhaitait maintenant.

"Vous m'laisse là ?" demanda subitement Anoushka qui était devenue blanche comme neige. Madame Eir, elle ne l'avait pas comprise dans sa phrase. Elle n'allait pas avec elle ? Elle allait rester toute seule avec Sobaka ? Où allait-elle dormir ? Et manger ? Et... Elle s'accrocha soudainement aux pantalons de Madame Eir.

Tu ne viens pas ?, s'étonna Eir un instant qui pensait que cela allait de soi que l'enfant et le chien l'accompagneraient. Avant que la petite ne se décidât à se coller à ses vêtements comme si son sort en dépendait. Mais on dirait que tu as attrapé la mauvaise idée à ce que j'ai dit, ma parole, nom d'un fromage ! Je vais avoir du mal à bouger et à te montrer le chemin de chez moi si tu t'agrippes comme ça à mon pantalon.  

"Je peux venir ?" demanda Anoushka pour être vraiment vraiment sûre. "Je reste avec vous, Madame Eir ? Et Sobaka aussi ? Je n'ai pas à dormir dehors, alors ? Pa'ce que Moscou, elle pue et elle fait du bruit, et très peur aussi. Et les gens, y regardent mauvais mon Sobaka." Elle n'osait pas encore se décrocher.

Petit soupir, puis Eir se résolut à répondre à la petite fille qui doutait d'elle. Oui, oui, tu peux venir. C'est Moscou. Une fois qu'on connaît c'est moins classe qu'elle en a l'air. Les gens d'ici voient rarement des chiens de berger, normal qu'ils soient méfiants. Ils ne connaissent pas Sobaka. Nom d'un fromage, elle n'avait pas cessée de l'agripper ! Difficile de bouger comme ça !

"D'acco..." marmonna l'enfant en se détachant très lentement. Elle agrippa l'échine de Sobaka d'une main et s'accrocha férocement à la main de Madame Eir de l'autre, bien décidée à ne pas lui laisser l'opportunité de la lâcher. On disait souvent qu'elle n'avait pas d'instinct de protection... mais de survie, si ! Et Anoushka doutait de s'en sortir toute seule, même à sept ans et bientôt huit.

Eir mena enfant et chien jusqu'à la modeste bâtisse qui abritait plusieurs familles et quelques célibataires puis enjamba les escaliers de bois de chêne, clé a la main et ouvrit la porte de son logement. Une pièce simple alliant chambre à lit simple, salon de jour et cuisine s'offra à la vue de la petite sauvageonne et de son chien de berger. La deuxième deuxième porte, fermée, s'ouvrait sur la salle de bain et la buanderie.

Anoushka suivit Madame Eir sans piper un mot, trop concentrée à observer les environs sans lâcher une seule fois la main de Madame Eir et les poils de Sobaka. "Où j'vais domir ?" demanda-t-elle après avoir suivi la pilote dans les différentes pièces du petit appartement. "Et Sobaka ? Il dort dehors d'habitude mais tout l'monde le r'garde pas bien." Le chien paraissait démesuré dans l'espace étroit.

Tu vas dormir avec moi, le lit est assez grand pour nous deux. Quant à Sobaka, il reste à l'intérieur je vais lui faire une pile de journaux et de couverture, cela te va ? La pilote regarda de face la petite fille - passagère inattendue et clandestine de son vol - et attendit sa répons.

Dormir avec une adulte ne lui paraissait pas bizarre. Les nuits d'hiver où il faisait vraiment trop froid, elle dormait avec Boula et Doula. "Sobaka a l'habitude de domir dehors." dit-elle cependant à Madame Eir. "Mais ya pas d'moutons ici." Le grand chien risquait simplement de vite s'ennuyer dans un si petit espace et devenir agité, malgré sa bonne éducation. "On peut l'emmener courir ?" proposa l'enfant en souriant. Elle imaginait que la ville ne pouvait pas être assez étendue pour ne pas trouver la forêt à moins d'une heure de marche.

Bien sûr qu'il n'y a pas de moutons ici, la fumée des industries de Moscou noircirait à coup sûr leurs laines et il n'y avait pas assez d'herbes pour un troupeau par ici. Je ne suis pas sûre qu'il aimera s'abimer les coussinet dans les rues. , répondit Eir qui ne lisait pas dans les pensées de l'enfant. Il appréciera mieux les petit jardins vert de la ville.

A l'idée que Sobaka se soit abîmé les coussinets, Anoushka ouvrit de grands yeux horrifiés et se précipita vers son ami. Le chien se laissa tomber sur le dos, les quatre pattes en l'air, dès qu'elle le lui demanda et elle observa chacune des pattes pour s'assurer du bon état de ses coussinets. "Y sont tous noirs !!" s'écria l'enfant avant d'utiliser son propre vêtement pour les essuyer. Ouf ! Sobaka avait les coussinets endurcis par la taïga, il n'avait rien, pas même une griffure. L'enfant soupira de soulagement. "M'avez fait peur." bougonna-t-elle à Madame Eir. Mais son air boudeur s'effaça bientôt : "C'quoi un jardin ?"

Et maintenant les vêtements de l'enfant étaient tous noir en lieu et place des coussinets de Sobaka. Ce qui fit penser à Eir à la nécessité de vêtement de rechange pour l'enfant, Anou ne possédait rien d'autre que ce qu'elle portait sur son dos actuellement, la pilote pensa donc à demander des vieux vêtements à sa mère pour la petite. Un jardin, c'est un petit parc avec des bancs, de l'herbe, des arbres où tu peux te promener. Il n'y a pas de pavés ni de chaussées.

"Oooh..." Anoushka était bien surprise par la description : on enfermait donc les arbres dans la ville ?! Quelle idée ! Mais elle était curieuse. "On peut y aller maint'nant ? S'viou plaît ? Sobaka est resté enfermé touuuute la journée !" Et elle voulait voir ces jardins !