Maksim Andreievitch étudiait seul à la bibliothèque aujourd'hui car son ami Svyatoslav était malade. La présence de son ami l'avait beaucoup aider à progresser, il avait déjà accompli une belle évolution l'année dernière avec son aide.

Il était hors de question pour le jeune garçon de treize ans de relâcher ses efforts car son objectif était à ce moment-là de rejoindre le rang des meilleurs de la classe pour rendre son père fier de lui et pour rabattre le caquet des moscovites qui le traitaient encore de "provincial" (ce qu'il était mais ce mot avait une résonance dégradante dans leur bouche). Et c'est pour cela qu'il étudiait en dehors des heures de cours.

Ce jour-là, il devait étudier l'histoire et les mathématiques. Il avait lu des livres sur le sujet et prit des notes. Il essayait de faire le jeu des questions-réponses mais c'était plus difficile sans quelqu'un pour lui poser les dites-questions. La tentation de lire les réponses tout de suite était grande...

Viktor progressait à quatre pattes sur le bord du toit de la bibliothèque, silhouette solitaire perdue dans un labyrinthe de pierre. Mais le garçon y était à son aise, totalement étranger au vertige, ne s'inquiétant ni d'être découvert, ni de la correction qu'il risquait si on le voyait. Attiré par un reflet sur une fenêtre, il progressa agilement jusqu'à la surplomber. Puis, d'une pirouette, il se suspendit tête en bas pour jeter un œil à l'intérieur.

"Quand a été créé la Milice ? Hummmm... Je le savais ! En 1700... 1780... 84 ? zut, c'est 1782 !" constata-t-il en retournant sa feuille de note.
Il ne voyait absolument pas le petit curieux qui observait la scène depuis le toit. Sinon, il se serait inquiété d'avoir bien vérifié ses racines blanches ce matin. Il se teintait déjà les cheveux en châtain à cette époque.

Des livres et des étudiants, constata un Viktor dépité en balayant la salle d'étude des yeux. Pas de quoi fouetter un chat, pensa le garçon avant que ses yeux tombent sur le globe terrestre immense qui trônait sur un piédestal dans un coin de la pièce, protégé d'une rembarde de métal. Waouh ! souffla-t-il, impressionné, cherchant déjà des yeux un moyen de se rapprocher. La fenêtre suivante était ouverte sur sa partie haute. Le garçon se laissa glisser à l'intérieur avec l'agilité d'un singe.

Le jeune adolescent en était encore à ses réflexions quand il sentit plus qu'il n'entendit un mouvement venant de la fenêtre ouverte. Il eut la surprise de voir un garçon plus jeune que lui devant la fenêtre à moitié accroupi. Il ne pouvait pas réaliser que le garçon venait d'employer cette ouverture comme entrée. Il préféra penser que ce garçon faisait juste le zouave près de la fenêtre et retourna à ses notes.

Viktor adressa un clin d'œil à l'étudiant qui l'avait remarqué mais trop tard, l'autre était déjà reparti dans ses cahiers. Viktor se renfrogna. Qu'ils étaient barbants ces gratte-papiers ! Lui pourrait jamais rester des heures assis comme ça devant un livre ! La preuve, il était là plutôt qu'en classe. Revenant à l'objet de sn intérêt, il s'approcha doucement du globe qui montait plus haut que sa tête et sauta souplement la rambarde pour aller poser sa main poussiéreuse à plat sur la surface sculptée, les yeux brillants d'émerveillement.

Quand Maksim releva les yeux, il était trop tard. Le gamin de tout à l'heure était en train de poser ses doigts sales sur le magnifique globe terrestre.
"EH TOI ! RETIRE TA MAIN TOUT DE SUITE !" cria-t-il.
Il était nettement plus âgé que lui, il devait l'empêcher de faire des erreurs.

Viktor sursauta et retira sa main, plus par surprise que par désir d'obéir. Catastrophé, il fit de grand gestes d'apaisement en direction de l'étudiant qui était intervenu, le même que juste avant, essayant de murmurer tout en criant.

Shhhhhhhh ! Arrête, ou quelqu'un va venir !

Pour l'instant, ils étaient seuls avec deux autres étudiants, l'un les regardant avec réprobation mais sans bouger de sa chaise, l'autre n'ayant pas bronché, visiblement sourd comme un pot

L'autre garçon l'écoutait mais Maksim n'en avait pas fini avec lui. Il se leva donc pour lui parler à voix basse (comme il se doit dans une bibliothèque, oups) et donc le confronter à ses erreurs.
"Mais enfin, qu'est-ce qu'il t'a pris ? T'as jamais vu de globe terrestre ? Tu allais le salir et recouvrir les inscriptions. Elles sont très importantes !"
Les sales mains du freluquets dégoûtaient assez Maksim qui était toujours propre sur lui.
"Il faut laver tes mains."

Viktor recula hors de portée de l'autre garçon, croisant les bras d'un air revêche. De quoi il se mêlait, celui-là ! Il jeta un coup d'oeil vers la porte mais les cris de l'étudiant ne semblait avoir alerté personne, ouf.

Et qu'est-ce que ça fait si j'en ai jamais vu, hein ? J'veux juste toucher moi, t'as qu'à juste me laisser tranquille !

Tout en parlant, il cacha ses mains sous ses bras histoire que l'autre les oublie un peu.

Il fallait encore parlé à voix couverte. Le jeune Max n'était pas d'humeur à se laisser distraire par le fauteur de troubles.
"Je m'en fiche que tu en ais jamais vu mais tu ne peux pas la salir avec tes doigts sales. On lave les mains avant d'aller à la bibliothèque ! D'où sors-tu pour pas savoir ça ? Lave-les, c'est tout. Ou j'appelle la responsable !"
Menace ultime.

Faire du chantage à Maksim, mais oui ! Celui-ci allait tellement se rasseoir et ne rien dire face à ce microbe mal élevé...
Pauvre fou.
Sans réfléchir davantage l'adolescent coursa le garçon. Il était bien plus grand que lui, il pouvait être plus rapide. Et la course poursuite commença !

Viktor sautait autour du globe pour éviter les longs bras de l'étudiant, un grand sourire aux lèvres. Ca devenait amusant ! Puis les doigts du garçon plus âgé le frôlèrent et Viktor entreprit d'escalader la boule géante pour se mettre hors de portée avant d'être attrapé. Heureusement les continents étaient en relief et il put se hisser sans trop de mal.

Les mains sur les hanches, il tira la langue à l'étudiant en bas, narquois.

Là, Maksim sourit. P'tit crétin !
"MADAME !" cria-t-il tandis que l'autre garçon menaçait dans l'emmener trop loin.
Arriva alors une bibliothécaire à la tenue et coiffure stricte dont le sourire habituel était remplacé par une mine inquiète. Elle se dirigea prestement vers les deux garçons.
"Eh bien, jeune homme, qu'y a-- OH !!! DESCENDEZ TOUT DE SUITE !" lança-t-elle à l'adolescent bruyant puis au petit singe sur le globe.

Viktor sursauta en entendant la bibliothécaire, et regarda dans tous les sens pour trouver une issue. Bon sang, il était fichu ! L'étudiant se dressait entre lui et la fenêtre, et la femme effrayante qui lui hurlait dessus bloquait la porte.

Commençant à transpirer sous le regard furieux qui l'épinglait, Viktor se laissa glisser à bas du globe et pris son meilleur air désolé. Il allait devoir la jouer finement s'il voulait sortir de là sans trop de problèmes.

HAHA ! Il se rend le manant ! exulte de joie le jeune Maksim tandis que la bibliothécaire tançait le gamin sale.
"Vous allez me nettoyer le globe terrestre tous les deux !
- Euh, comment ça ? Je n'ai pas sali le globe, madame.
- Peut-être mais je n'ai pas la preuve de votre non-implication donc par principe, je vous mets tous les deux à contribution."
L'adolescent jeta un regard noir en direction du seul fautif.

Viktor ne peut pas retenir un ricanement à voir l'adolescent si déconfit, s'attirant un nouveau regard sévère de la bibliothécaire. Celle-ci baisse soudain les yeux sur les mains sales du gamin, qu'il a oublié de garder dans son dos. Une moue répugnée se peint sur son visage.

Mais avant toute chose, allez me laver ces choses dégoutantes que je n'oserais même plus appeler des mains. Vous, mon garçon, vous l'accompagnez. J'imagine que vous connaissez le chemin ?

"Viens, suis-moi !" dit Maksim à l'intéressé.
Il attendit d'être devant la porte des toilettes, loin de la bibliothécaire pour lui demander :
"Il fallait vraiment que tu fasses le guignol ?"

Viktor emboîte le pas à l'adolescent sans discuter, pressé d'échapper aux yeux effrayants de la bibliothécaire.

C'toi qu'est rabat-joie, j'voulais juste r'garder moi ! répond vertement Viktor en toute mauvaise foi. T'façon ça s'voit qu'tu sais pas t'amuser. T'es tout r'passé comme si t'allait à la messe alors qu'on est même pas dimanche.

Les joues de Maksim se colorèrent vivement de rose.
"Je SAIS m'amuser sauf que moi j'ai des obligations bien plus bénéfiques que de faire le zouave pour attirer l'attention sur moi. T'as pas d'amis, hein ?"
Maksim savait personnellement qu'être seul était une corde sensible de l'être humain, du moins certains.

Viktor ne savait pas bien ce que voulait dire "béméfique" mais il avait parfaitement compris le reste, et d'ailleurs c'était même pas vrai !

Si, j'ai des amis ! Et même qu'on a une bande rien qu'à nous, et si tu m'cherche des ennuis, on t'retrouvera et on s'ra comme des fantômes qui viennent te harceler dans ton lit !

Bras croisés et sourcils froncés, Viktor tenait tête au garçon plus âgé, essayant d'avoir l'air menaçant du haut de ses huit ans.

Maksim toisa de haut ce freluquet qui le défiait.
"En attendant de retrouver ta bande pour faire des crasses aux autres, tu vas nettoyer ces mains qui donnent l'air d'avoir farfouillé des poubelles, Tout-seul !"

M’appelles-pas comme ça ! J’m’appelle Viktor, pas Tout-Seul, espèce de… Soudain Viktor sursauta et se mordit la langue. Il commençait à parler fort, et c’était pas une bonne idée vu les ennuis qu’il avait déjà. Il jeta un coup d’oeil nerveux derrière lui et toisa à nouveau l’adolescent avant d’entrer dans les toilettes, l'air vexé. Il n’avait pas du tout envie de se laver les mains (elles allaient très bien, ses mains !) mais il préférait ça à prendre une rouste alors il s’exécuta avec un minimum d’application.

Maksim haussa un sourcil. Bien, le garçon semblait un minimum discipliné.
"Appelle-moi Maksim et non "espèce de". Ce nom veut dire "le plus grand"."
Un nom qui avait du sens dans cette situation. L'adolescent regarda son cadet se laver sans plus faire de chichi. Il ne restait plus qu'au gamin de se sécher les mains puis Max espérait que la punition serait très vite levée.