Rappel du premier message :



Trois petits coups à la porte le tirèrent du demi-sommeil où il était plongé. C'était l'heure. Pourtant, l'homme attendit la fin du rituel avant de se manifester. Il se signa puis ouvrit la porte.

Namaste Pyotr.

Il n'avait jamais connu prêtre venant saluer le sonneur avant la première volée. Il considéra la peau sombre et le sourire réservé qui éclairait son visage, hésitant une fois encore sur la façon de lui adresser la parole.

Nama... Bonjour m... père.
Shaun.
Shaun.

Complétant un sourire compatissant, une discrète oscillation de la tête confirma au sonneur que le prêtre avait entendu ce qu'il désirait.

Les cloches sont prêtes. Dieu guidera votre main.

Un nouveau salut, et l'homme regarda le jeune prêtre descendre les escaliers du clocher. Il l'avait décidément mal jugé. Mais le soleil se levait bientôt, il n'avait pas le temps de s'attarder sur ces pensées. Il était de sa responsabilité de réveiller le quartier pour la première prière du matin.

-

Encore une fois, le prêtre se lava les mains. La couleur de sa peau tranchait avec la clarté de son habit, il les contempla un long moment. Face au bénitier, il se signa avec l'eau nouvellement sanctifiée. Puis patiemment, remit ses gants. Il s'avançait dans la nef quand il entendit l'Angelus sonner enfin. Il s'agenouilla devant l'autel, et en frôla la base du bout des doigts, avant de joindre les mains.

Dix ans ? Il lui en avait fallu treize au camps pour se montrer digne de servir le Seigneur. Pavel aussi, à une ou deux années prés. "Comme... un mentor ? Vous aviez quel âge ?" s'illuminait de plus en plus le garçon à mesure qu'il parlait ; or cette fois, une vague d'avertissement fusa dans son esprit. "Pardon mon père" se reprit-il alors soudainement, la tête basse. "Je ne voulais pas vous importuner. Ma faute, pardon."

La confusion gagna les traits du prêtre qui ne savait démêler le sens de la question. Expression qui mena une nouvelle demande de pardon dans la bouche du jeune homme, coupant court à son enthousiasme. Il répondit d'une voix douce.

Tu n'as pas fauté. A nouveau, il baissa le regard. Je ne connais pas... "mentor". Il releva les yeux, continuant sur un ton paisible. J'ai passé la moitié de ma vie ici... Je suis dans ma vingt-cinquième année.

Puis son sourire devint d'une franchise désarmante.

Ta joie est un cadeau. N'y renonce pas.

Comprenant que l'homme ne lui en voulait, Sveta s'apaisa mais Klyde n'en resta pas moins plus... disons moins lui-même. "Un mentor c'est quelqu'un de plus âgé avec plus d'expérience qui nous aide à progresser et apprendre. J'ai eu un mentor au prieuré où j'ai grandit mais c'était lui aussi un élève" lui expliqua le garçon, bien conscient d'avoir vendu -sciemment- la mèche sur une partie de son enfance. "Vous d'ailleurs plus proche en âge de lui que je le suis mon Père." Pourquoi parlait-il encore de Pavel alors qu'il rencontrait quelqu'un de si gentil et fascinant ? C'était plus fort que lui.

Tu n'es plus un enfant.

Par la simplicité de son langage, il était difficile de connaître le sens réel que le prêtre donnait à ses mots. Il opina légèrement sur le côté, les doigts de ses gants blancs se croisèrent. La lumière des chandelles donna un reflet bleu à son regard, illuminant son sourire.

Tu tiens beaucoup à lui.

"Oui" répondit-il direct-chef. "Il est la famille que Dieu m'a offert et... il a tant fait pour moi. Il me protégeait enfant, on veillait l'un sur l'autre." Klyde eut un petit sourire. "Et on le fait encore... je crois..." Klyde resta un instant les yeux dans le vague avant de reprendre. "Que voulez-vous dire par 'plus un enfant' mon Père ?"

Ses paupières couvrirent partiellement ses yeux alors qu'il écoutait, renforçant la douceur de son sourire. Il pinça légèrement les lèvres, mais tut sa pensée, plus attentif à son jeune interlocuteur qu'à lui-même. Quand il le regarda à nouveau, toujours bienveillant, il s'avança d'un pas vers lui comme pour mieux le voir, sans toutefois pénétrer dans son périmètre personnel.

Tu l'as dit. Une évidence. Toutefois nuancée. Pour moi... Presque en face à face, le regard du prêtre était intense. Ton enfance t'a échappé.

{Non Trésor, ne panique pas. Ce n'est pas une question dont tu dois avoir la réponse} intervint brusquement sa protectrice en le sentant perdu face à la déclaration du saint homme. {Respire. Tout va bien, je suis là.} Ce qu'il fit, plusieurs fois, pour balayer les prémices d'une énième crise (et il n'y aurait pas de grand roux pour le calmer cette fois). "Je... je ne comprends pas mon Père" tremblota à moitié le caneton. Au camp, c'était une bonne chose de poser ses questions aux prêtres ; ce devrait être la même chose ici, non ?

Devant la réaction du jeune homme, le prêtre resta un instant silencieux. Un petit sourire rompit la tension qu'il maintenait sans le vouloir.

Tu resteras toujours l'enfant du Seigneur.

Mains jointes, il baissa les yeux. Ni hésitation ni réserve, le personnage faisait simplement preuve de discrétion. Sa voix, encore adoucie, était presque devenue un murmure.

J'ai le sentiment... que tu me ressembles.

La gentillesse l'aidait, ce n'était pas un fait nouveau. "Quel lien avec mon enfance ?" Klyde fut attiré une fois encore par le teint sombre de l'autre puis fixa sa propre main, la seule nue -Maksim lui avait bien dit de porter deux gants- et la différence de couleur de peau l'interpella de nouveau. "En quoi nous ressemblons-nous ?"

Le sourire revint dans ses yeux lorsqu'il les releva. Il n'avait pas manqué l'arrêt marqué par le jeune homme, son regard qui le dévisageait toujours.

C'est vrai. Je viens de loin. Toi aussi... en quelque sorte. Il fit mine de se pencher vers son interlocuteur, bien qu'il n'en ait pas besoin pour le regarder. Ses yeux aux éclats d'indigo étaient plongés dans l'aigue-marine. Je ne crois pas me tromper. Tu as beaucoup vécu pour ton âge. Puis, sans transition, avec une franchise toute spontanée. Tes yeux sont vraiment beaux. Je n'en ai jamais vu aussi clairs.

Comment pouvait-il savoir qu'il ne venait pas de Moscou ? Le Seigneur le mettait-il sur la voie ? Klyde ignorait si l'homme d'église était dans le secret pour les Guides mais dans le doute, il devait faire comme s'il en n'était rien. "Je n'ai connu que le prieuré et la capitale depuis quelques mois. Je ne voudrais pas vous contredire mon Père mais... je... je n'ai pas l'impression d'avoir tant vécu." Le garçon jeune adulte prenait sur lui pour ne pas reculer mais la remarque lui fit perdre tous ses moyens. "N-non, ils sont horribles" clama-t-il en baissant brusquement la tête.

La réponse du prêtre lui fut arrachée par la réaction de son interlocuteur, très spontanée elle aussi. Il se redressa. Tristesse et incompréhension se mêlaient sur son visage. Avant qu'il ne fronce légèrement les sourcils, troublé.

Tes yeux sont un présent du Seigneur. Et ils sont m... m-agni-fiques.

Il se pinça le nez devant la difficulté à prononcer un mot étranger qu'il avait jusqu'ici évité. Il fit un aparté à voix basse, malgré lui parfaitement audible. Ils n'ont rien en commun avec le feu...

La tristesse revient dans ses yeux noirs alors qu'il considérait le jeune homme.

Mais tu ne les aimes pas.

Petite explicitation:

On ne pouvait pas dire qu'il boudait mais le sermon de Sveta n'était pas spécialement agréable. "Vous n'êtes pas le premier à les trouver beaux" se força-t-il devant l'insistance de l'Ange. "Mais enfant, ils ne m'ont apporté que des problèmes. Il n'y avait qu'une personne qui les aimait." Et Pavel s'en fichait. Faut dire que niveau particularité physique de naissance, le roux avait sa part. Klyde lui enviait le fait qu'il ne s'en cachait pas et gardait ses cheveux longs malgré leur couleur controversée. "Je ne les trouve pas... naturels."

Ils le sont. La douceur du prêtre n'avait d'égale que sa sincérité. Ton enfance est derrière toi. Il ferma les yeux sur un sourire. Cette personne a raison.

Quand il les rouvrit ils étaient remplis d'une intime conviction, qui le rapprochait du jeune homme plus sûrement qu'un contact physique.

Ton corps est le temple de Dieu. Il ne t'a pas donné ces yeux sans raison. Comme moi.

Alors qu'il tournait légèrement la tête, le jeune homme vit clairement le saphir dans les yeux du prêtre, alors que l'on pouvait dans la pénombre de l'église, les croire dépourvus de couleur.

Klyde fit la moue alors que Sveta continuait sa tirade. {Pourquoi refuses-tu toujours de me croire sur ce point Trésor ? Va-tu douter éternellement nos paroles pour donner raison à des mesquineries infantiles ?} Il savait qu'il devait évoluer mais.... {Très bien, j'espère que tu appliqueras avec plus de dévotion ma prochaine demande.} Là, il eut un blanc. Une chance que l'éclat bleu des yeux du prêtre attira son attention. "Dieu a mêlé le noir aux vôtres" s'entendait-il dire, encore sonné par la remontrance.

Le prêtre dodelina de la tête, concédant ce détail sans s'y arrêter.

Là-bas, tous les yeux sont noirs. Aucun bleu. Toi et moi... sommes différents. Des autres. De ceux qui nous entourent.

Baissant légèrement les yeux, le prêtre retira un de ses gants. Il contempla un instant sa main. Ses doigts étaient longs et fins. Mais sombres, en total contraste avec la manche qui coulait sur son poignet. Avec la peau pâle de celui qui lui faisait face.

La différence fait ce que nous sommes. Il replia les doigts de sa main nue. Mais elle ne nous définit pas. Il sourit.

Lui ne voulait pas retirer son gant ; uniquement pour éviter de nouvelles questions sur l'horrible cicatrice qu'il cachait. "J'ai... des amis qui sont aussi différents. Mais je les aime bien comme ça, j'aurai du mal à les imaginer autrement maintenant." Il pensait surtout à Maksim qui devait user d'artifices pour éviter les regards. "Avez-vous déjà souffert de la couleur de vos yeux dans le passé mon Père ?" demanda-t-il avec l'innocence qu'ont les enfants.

Cette conversation était assez loin des considérations habituelles d'un prêtre. Mais celui-ci ne s'arrêtait pas à cela.

Oui...

Il afficha à nouveau le sourire mitigé associé à ses souvenirs.

Les miens sont superstitieux. Ils n'ont jamais osé le dire à haute voix. Je le voyais dans leur regard... quand ils ne le détournaient pas.

Sans que son sourire ne change vraiment, la plénitude remplaça la mélancolie dans ses yeux noirs.

Mais c'est cette couleur qui m'a amené où je suis. C'est même elle qui m'a donné mon nom.

"Ceux que j'ai connu enfant ne se gênaient pas de dire que je les dérangeais" avoua le garçon. Peut-être un jour Klyde apprendra que ce mauvais traitement tenait plus de la jalousie pour son mentorat et sa surdouance avec les armes que son aspect physique... "J'ignore votre nom mon Père, je ne saurai dire."

Oh...

Il agita un peu la tête, contrit.

Pardonne-moi, je ne me suis pas présenté.

Il joignit les mains, sa tête légèrement penchée vers l'avant.

Je suis Śyam. Śyam Nilam Devā. Un petit sourire amusé flotta sur ses lèvres lorsqu'il se releva. Mais ici on m'appelle Shaun.

Ses yeux brillaient alors qu'il remettait son gant avec une attention toute particulière.

J'ignore également qui tu es mon enfant.

Il imita le geste avec un "enchanté Père Syam" prononcé du mieux qu'il pouvait. A ce qu'il comprenait, Shaun devait être son surnom et il se réserva bien de l'employer. "Je m'appelle Klyde, juste Klyde." Rien de bien russe non plus.

La correction du prêtre vint rapidement, mêlant douceur et compréhension.

Śyam. Plutôt... Shyam. Il étouffa un petit rire. Tu peux m'appeler Shaun.

Il considéra un instant le jeune homme, intrigué.

Ce nom semble avoir les mêmes origines que le mien. ... que Shaun. Sobre, il s'inclina à nouveau. En... chanté Klyde.

Puis ajouta presque naïvement, comme un aparté qui lui aurait échappé : Je ne comprends pas cette expression. L'on ne se présente pas "en chantant"...

Le sujet sur son nom étranger était déjà revenu plusieurs fois mais il était trop risqué maintenant pour en donner un faux ; autant rester Klyde, le gamin perdu et gentil du quartier. "Je ne sais pas mes vraies origines, c'est un prêtre de mon prieuré qui m'a baptisé. Mais j'aime beaucoup mon prénom !" Même s'il n'avait aucune consonance biblique, la seule chose qu'il regrettait un peu. "Je crois que c'est plus 'enchanté' comme un 'enchantement' de rencontrer une nouvelle personne, mon Père" s'avança-t-il tout timoré, mal à l'aise d'apprendre quelque chose à un homme d'Église.

L'expression sur le visage de Klyde fit comprendre au prêtre qu'il avait parlé à voix haute. Un peu tard. Sa tête dodelina.

Pardonne-moi, je ne voulais pas t'embrasser. Puis, avec un petit sourire. Merci. Maintenant j'ai le lien, mes pensées étaient mélangées. Son regard se détourna vers la porte. Ils ne vont plus tarder.

"M'embrasser ?" cligna-t-il des yeux. Comme... un baiser ? {Je ne suis pas certaine Trésor.} Sveta avait cette voix entre amusement et réprimande, ce qui ne l'aidait guère. "M'embarrasser plutôt ? Q-qui va v-venir ?" enchaîna le caneton d'une petite voix, les joues rouges d'une toute autre gêne.