Trois petits coups à la porte le tirèrent du demi-sommeil où il était plongé. C'était l'heure. Pourtant, l'homme attendit la fin du rituel avant de se manifester. Il se signa puis ouvrit la porte.

Namaste Pyotr.

Il n'avait jamais connu prêtre venant saluer le sonneur avant la première volée. Il considéra la peau sombre et le sourire réservé qui éclairait son visage, hésitant une fois encore sur la façon de lui adresser la parole.

Nama... Bonjour m... père.
Shaun.
Shaun.

Complétant un sourire compatissant, une discrète oscillation de la tête confirma au sonneur que le prêtre avait entendu ce qu'il désirait.

Les cloches sont prêtes. Dieu guidera votre main.

Un nouveau salut, et l'homme regarda le jeune prêtre descendre les escaliers du clocher. Il l'avait décidément mal jugé. Mais le soleil se levait bientôt, il n'avait pas le temps de s'attarder sur ces pensées. Il était de sa responsabilité de réveiller le quartier pour la première prière du matin.

-

Encore une fois, le prêtre se lava les mains. La couleur de sa peau tranchait avec la clarté de son habit, il les contempla un long moment. Face au bénitier, il se signa avec l'eau nouvellement sanctifiée. Puis patiemment, remit ses gants. Il s'avançait dans la nef quand il entendit l'Angelus sonner enfin. Il s'agenouilla devant l'autel, et en frôla la base du bout des doigts, avant de joindre les mains.

Le passage à la bibliothèque l'avait un peu retardé dans sa planification -totalement imposée personnellement- de la zone repérée avec Pasha. C'était la première fois qu'il y était de jour, alors qu'il avait passé la nuit à patrouiller les toits et allées. {Quelque chose te tracasse Trésor ?} Oui, il n'avait détecté aucune activité démoniaque et ce calme l'angoissait. Ce n'était pas normal. Les cloches d'une église non loin dérangèrent ses réflexions et il aurait très bien pu passer outre si le rythme des carillons n'était pas... disons que ce n'était pas ce qu'il entendait habituellement. Ça aussi, ce n'était pas normal.

Un rythme différent pour une liturgie différente. Les choses devaient être ainsi. C'était plus qu'une conviction, un appel. Le prêtre fit un signe de croix complexe devant sa poitrine, et conclut à voix basse une prière silencieuse. Avec une tranquille sérénité, il se redressa. Mais quand il se retourna, la main sur son cœur trahit sa surprise.

Bonjour père Shaun. Je ne voulais pas vous effrayer.

Le prêtre inclina la tête, répondant au sourire de la vieille femme.

Śanti Darya.

Il l'invita à s'asseoir. Il était bon de prendre un peu de temps pour les nouvelles. Désormais les fidèles ne tarderaient plus. L'office allait commencer.

Les gens commençaient à affluer vers l'église, des travailleurs de nuit avant de rejoindre leur chez-eux ou ceux qui en partaient, encore à moitié endormis. Klyde était ni l'un, ni l'autre, mais l'Angelus anormal suffit à sa curiosité pour rejoindre le petit peuple et se mêler à la foule. Il portait encore le long manteau sombre de ses rondes nocturnes, ses armes cachées sous la coupe ample ; le système était au point désormais et, capuche relevée dans la maison de Dieu, il prit place dans un coin reculé.

La petite église était bien remplie pour un jour de semaine. mais gardait assez d'espace pour permettre à des visiteurs impromptus de s'insérer dans les rangs.
Un homme pourtant ne prenait place, et passait dans les allées alors qu'un chant s'élevait. Il mêlait sa voix à celle des fidèles, sa main frôlait les leurs sans les toucher. Il salua ainsi toutes les personnes présentes, jusqu'à ce que son regard croise celui d'un jeune inconnu, à qui lui adressa un sourire en guise de bienvenue. Sa voix était chaude et vibrante mais le chant se terminait. Il regagna l'autel et ouvrit les bras vers l'assemblée.

Ôm... Le Seigneur soit avec vous.

Le Guide n'eut pas le réflexe de baisser la tête quand son regard capta celui de l'inconnu à la peau sombre. Cette teinte le fascinait, lui qui était si pâle. Klyde trouvait cependant que l'homme en blanc prenait bien ses aises avec les fidèles, sûrement un disciple du prêtre ; qu'il n'avait toujours pas vu d'ailleurs, cherchant encore la soutane noire des yeux. {Trésor, tu te restreints trop.} Comment ça ? ... ... ... Ah !! C'était lui le prêtre ?!

'C’est ainsi que vous avez l’apparence d’hommes justes, mais à l’intérieur êtes pleins d’hypocrisie et de mal.'

La bible dans laquelle le prêtre lisait l'évangile était aussi blanche que son habit. Sans pupitre, il la tenait ouverte dans sa main gantée. La lecture terminée, son message parlait de sincérité, d'humilité et de pardon.

... Ne vous cachez pas ! Il est un père qui attend votre retour. Il vous accueillera et vous embrassera si vous trouvez la force de dire "je veux rentrer à la maison". Présentez-lui un cœur sans malice. Vous serez pardonné.

Ses mots étaient simples, son accent étrange. Mais il était écouté en silence.

Il avait reconnu ce passage au début. Frère Owen lui avait expliqué que les démons pouvaient se cacher derrière n'importe quel masque et qu'il leur fallait être prudents. Pavel disait la même chose. Il y avait toutefois une ambiance détendue qui lui faisait plaisir à voir. Aussi étrange qu'était ce jeune prêtre à la soutane blanche -il paraissait même plus jeune que le roux- les gens semblaient l'apprécier.

Ne montrait aucune curiosité déplacée, un enfant tendit le panier rituel au visiteur discret. Le prêtre retira alors ses gants. Il se lava les mains, afin de bénir les offrandes. Il se lava une nouvelle fois les mains avant de rompre le pain.

Que la paix soit avec vous.

L'assemblée étant peu nombreuse, le prêtre officiait seul. Souriant discrètement, il passa dans les rangs pour partager le corps du Christ, que les fidèles recevaient dans la coupe de leurs mains jointes. Après quoi il remit ses gants et pria. Sa bénédiction prononcée, son chant conclut la célébration.

Vous êtes Ses enfants, votre Père vous envoie dans le monde. Śanti ôm.

Il avait donné, pour la quête, plus pour éviter de sortir du lot (son salaire venait du Vatican donc bon..) et d'être mal jugé. Mais... "Śanti ôm" ? Les paroissiens quittaient les lieux, saluant humblement le prêtre pour certain, et il attendait un moment plus calme pour visiter l'église à son aise. {Et manger un peu Trésor.} Oui, aussi.

Quelques personnes étaient restées pour le questionner sur son message ou recevoir de menus conseils, mais cela ne dura pas. Le prêtre remarqua bien vite que son jeune visiteur était resté seul tandis que l'église se vidait. Il accompagna le dernier paroissien avant de l'approcher. Il avisa sa peau pâle et chercha à accrocher son regard, aussi clair que le sien était sombre.

Namaste mon enfant. Sois le bienvenu.

Encore un mot qu'il ne comprenait pas. Le visage enfantin eut une moue incertaine mais ses bonnes manières reprirent le dessus. "B-Bonjour mon père. Merci. Vous êtes le prêtre qui officie dans cette église ?" Il paraissait vraiment jeune et Klyde ne pouvait s'empêcher d'observer son teint. Il avait également des yeux doux et noirs. "Ma faute, pardon" se reprit-il en se voyant le dévisager, le regard de côté.

La question amena un sourire compréhensif sur le visage du prêtre.

C'est bien moi.

Son apparence était naturellement source de beaucoup de curiosité, il ne se formalisait donc pas de l'étonnement du garçon qui avait pourtant assisté à la messe, ni de l'intérêt qu'il lui portait. C'est pourquoi son visage fut marqué d'une incompréhension sincère lorsque le jeune homme s'excusa.

Pour quelle faute dois-je te pardonner ?

Ils étaient beaux, l'un comme l'autre, à se faire face sans se comprendre. {Cela reste une bonne question} s'immisca l'Ange alors qu'il buguait magistralement. "Heu..." tenta Klyde en vain, paniquant légèrement de ne pas avoir la réponse devant un serviteur du Seigneur. "Je n'avais pas à... à vous regarder de la sorte, ma faute, je ne le referai plus, promis" continua-t-il de s'excuser d'une petite voix, trouvant le dallage au sol fort joli présentement.

La réponse fit pencher légèrement la tête du prêtre, qui adressa au jeune homme un fin sourire, contrastant avec l'étrange mélancolie qui avait teinté ses yeux lorsque l'autre avait détourné les siens.

J'ai l'habitude. Il tempéra rapidement ses propres mots, ne possédant pas ceux qu'il fallait pour rendre sa pensée plus subtile. Cela ne me dérange pas. Son sourire se fit plus doux, rayonnant sur son visage. Tu peux me regarder autant que tu le veux. M'interroger, aussi.

Les prunelles givrées osèrent se poser de nouveau sur le sourire apaisant, non sans lui rappeler la douceur du Père Mikhaïl. Même s'il ignorait l'avis qu'il avait pu avoir sur lui à la mention de Nika. {N'en parlons plus, pas ici. Tu as déjà reçu de sages conseils à ce sujet.} Au Vatican, exact, mais on ne lui avait rien dit pour son ami qui était un garçon juste. "Vous ne venez pas de Russie, si ?" demanda Klyde, un peu abruptement en sortant de ses pensées. Ses dialogues avec Sveta lui donnaient toujours l'image d'un gamin dans la Lune ou limité.

Ne songeant visiblement même pas à juger le comportement du garçon en face de lui, le prêtre lui répondit tout naturellement.

Non. Sa tête fit un léger mouvement. Je viens des Indes.

La curiosité n'était un vilain défaut que lorsqu'elle embarrassait, et ce n'était pas le cas ici.

J'y suis né et passé toute mon enfance.

Le prêtre se gardait de trop anticiper les questions du jeune homme, ne voulant pas surestimer l'intérêt qu'il lui portait. Mais il semblait heureux de partager un peu de son histoire, pour peu que l'on s'y intéresse.

Les Indes. Il savait où situer sur une carte et quels animaux y vivaient -comme un certain rhinocéros qui avait voulu l'éventrer- mais ses connaissances culturelles s'arrêtaient là. "Et vous êtes à Moscou aujourd'hui." Une autre façon de demander pourquoi mais Sveta préférait celle-là.

Le prêtre se contenta de pencher la tête, comme une expression inachevée.

Oui...

Ses lèvres étaient restées entrouvertes un instant, alors qu'il réfléchissait. Il ne resta pas silencieux longtemps. Il fit un geste d'invitation vers les bancs de l'église.

Tu peux te mettre à l'aise si tu le veux. Dans le cas contraire il ne semblait pas dérangé par l'idée de rester debout. Mais son visage était trop sincère pour cacher sa confusion. Je ne veux pas m'imposer...

Nouveau blanc du Guide. "Vous... vous imposer ? Mais mon père, c'est votre église ici" argumenta Klyde maladroitement. "Je suis déjà.... bien" constata-t-il. C'est vrai, il se sentait détendu avec cet homme. Il n'éprouvait pas cette crainte de décevoir et d'être rabroué et même si le prêtre le reprenait, le garçon avait le sentiment que la leçon serait douce. Comme avec Frère Owen ou Pavel.

Un doux sourire se dessina sur les lèvres du prêtre, qui dodelina discrètement de la tête.

J'en suis heureux.

Il fit quelques pas dans l'allée, songeur. Une main tendue vers le jeune homme, l'invitation tenait toujours. Il resta silencieux un moment, plongé dans ses pensées, hésitant. Il finit par baisser la voix, comme s'il confiait un secret.

J'ai encore des difficultés avec votre langage, vos codes... J'aime mon pays... Parfois je parle trop. Une certaine mélancolie vint tinter ses yeux. J'ignore si... mon chemin de vie t'intéresse.

C'était étrange, de rencontrer aussi désorienté que lui. "J'ai du mal aussi" avoua le plus jeune. "Un ami m'apprend à vivre en ville et à..." Une légère rougeur marqua les joues pâles. "Parler aux filles. Pourquoi avoir quitté votre pays si vous l'aimez ? Est-ce l'une de Ses épreuves ?"

A nouveau, le visage du prêtre oscilla. Son sourire restait, mélancolique mais reconnaissant.

Je le crois. Je serais resté perdu s'Il ne m'avait pas trouvé. Il ferma les yeux sur un sourire. Les Vedas y sont nombreux mais aucun n'a pu répondre à mes questions, ni venir à mon secours. Lui, si. Il regarda un instant autour de lui, admirant la simplicité de son église. Il m'a appelé, j'ai suivi Sa voix... jusqu'ici.

Après quoi il baissa les yeux, signe involontaire d'une grande humilité.

Malgré cela, il est difficile d'ignorer comment j'ai été élevé. De faire... différemment.

Sveta ne disait rien, spectatrice silencieuse d'un nouvel acte. Pour son protégé, c'était à la fois une source de stress et de réconfort : l'Ange lui faisait confiance et le testait. "Il m'a beaucoup donné aussi, à moi qui avait tout perdu. Loué soit Son nom." Toujours aucune manifestation. "Mon père... depuis combien de temps êtes-vous dans les ordres ?" se lança-t-il, n'en pouvant plus. Maksim lui avait dit qu'il était trop jeune pour être prêtre maintenant mais l'Indien ne paraissait guère plus âgé que lui.

Le prêtre releva les yeux. Lui aussi observait son interlocuteur, sans se montrer intrusif ni indiscret. La forme de la question parut le dérouter un peu, mais également renouveler une ferveur qui n'était pas liée qu'au souvenir.

J'ai commencé mon service ici-même. J'ai accompagné un vieux prêtre. Il m'a appris beaucoup. Avant cela... Il oscilla la tête, regardant le jeune homme, incertain. Mon séminaire a duré près de dix ans.