La colonie des dragons-fées est en ébullition. Jamais le jeune prince Fotafilis n'avait vu ça. C'était une vraie ruche dans la cour des quartiers royaux. Princesses et princes se demandent, surexcités, qui allait pouvoir aller au Sommet du Printemps, un évènement rare qui n'a lieu que tous les cents ans. Les ouvriers resteraient à la colonie, naturellement, ainsi que les gardes mais les artistes et les membres royaux pourront participer.

C'est l'occasion de rendre hommage à la Nature, de rencontrer d'autres colonies et d'admirer des représentations de danses et de chants. Soimacé a par exemple été inscrit d'office tant ses talents de danseurs faisaient fureur. Le timide Fotafilis regardait son luth et se demandait s'il serait sélectionné et surtout s'il oserait jouer devant tant de dragons-fées.

Férocia ne participa pas à l'évènement, ayant bien d'autres envies mais elle savait que Fil brûlait d'envie d'y aller alors elle insista pour qu'il y aille sans elle. Sa présence lui manquerait mais il avait besoin de voir d'autres dragons-fées, peut-être se ferait-il même de nouveaux amis dans les colonies des environs.

Finalement, il fut sélectionné et le cortège prépara son départ. Une nuée de dragon-fées vola donc jusqu'à une fontaine entourée de noisetiers.

C'était l’effervescence dans l'arbremaison. "On va au Sommet !! On va au Sommet !" paillait en discontinu Pisencha en voletant dans tous les sens. Nilgiriri avait posé sa patte sur sa tête tellement il lui donnait le tournis et Oolong suivait son frère des yeux par crainte qu'il ne trébuche contre un mur. Assise contre Camomilla, la petite Nuwarëliya regardait ses frères avec amusement. "Et Papa Rooi va danser devant tout le monde !" Sa remarque fit repartir les piaillements de plus belle. "Nous y allons !" clama soudainement Père Drak en déboulant dans l'arbremaison. Le voyage fut mouvementé d'agitation mais ils arrivèrent à bon port.

Très vite, la fameuse fontaine fut en vue. La colonie du jeune Fotafilis s'installa sur un amas de champignons. Ils avaient tous faim après un tel voyage et regardaient les champignons avec envie. Peu après, il manquait un bout ici et là. Fil, de son côté, simple petit prince d'une vingtaine d'années était peu gourmand et attendit donc le repas officiel.

Ce furent affamés et fourbus que les dragonnets-fées arrivèrent à la Fontaine du Sommet. La petite Nuwarëliya était la plus fatiguée du lot : plus grande déjà que Père Drak et Père Rooi réunis, elle n'avait pas encore ses ailes qui refusaient de pousser et elle avait dû marcher ! Elle espérait pouvoir trouver un Sage au Sommet qui pourrait lui dire quand ses ailes allaient sortir ; Père Rooi avait paru gêné à la question et Père Drak s'était trouvé trop occupé. C'était étrange qu'ils ne veuillent pas lui répondre ! Leurs gargouillis étaient audibles dans toute la clairière, elle en était sûre !

Une nuée de dragons-fées se positionna au milieu de la fontaine. Les petites ailes cessèrent de vibrer pour laisser parler l'un d'entre eux.
"Chers dragonnes et dragons-fées, le Sommet du Printemps est ouvert ! Nous accueillons aujourd'hui la colonie des Roses Rouges ici présente. Ainsi que la colonie de la Forêt Noire qui est arrivée en avance. Enfin la Colonie des Neiges Éternelles qui nous vient de très loin..."
Et le dragon-fée continua ainsi.

Il y avait tellement de colonies amassées dans la Clairière ! Nuwarëliya observait les légions de dragons-fées avec de grands yeux écarquillés de curiosité, et la bouche baillant d'intérêt. Père Rooi voletait de dragonnets en dragonnets pour accrocher à leurs cous des rubans rouges vifs, pour les repérer de jour, avec une luciole dans une fiole en pendentif, pour les repérer de nuit. "Ne vous éloignez quand même pas." prévint-il d'un air inquiet... juste avant que Pisencha ne bondisse en gazouillant derrière un papillon ! Nuwarëliya éclata de rire, à s'en tenir les côtes.

Fil n'avait pas beaucoup d'amis en ce temps-là. Le dragon-fée dont il était le plus proche présent était bien trop bavard pour se contenter des remarques contemplatives de Fil ; celui-ci discutait donc avec d'autres princes de sa colonie. De son côté, Fil observait les différentes colonies. De près, des différences notables apparaissaient, certains avaient des plumes, d'autres des ailes de libellules. Un humanoïde se trouvait là également.

Profitant que Père Rooi soit occupé à poursuivre Pisencha, et que Père Drak les regardait avec une légère inquiétude, Nuwarëliya se faufila discrètement loin de sa famille pour partir en quête d'un Sage. Dès qu'elle aperçut un vieux dragon-fée, elle se précipita devant lui. "B'jour, l'Ancien ! Dis-moi : quand est-ce que mes ailes vont pousser ? J'ai un retard de croissance !"

L'humanoïde s'était déplacé pour parler à un vieux dragon-fée au poil gris. Pendant ce temps-là, le maître de cérémonie avait fini de faire la liste des colonies présentes. Le repas officiel put commencer. Il ne restait plus beaucoup de temps avant que Fil ne se remplisse le ventre et puisse sortir de table pour se trouver un coin tranquille en attendant les représentations. Son regard glissa sur son luth. L'idée d'aller sur scène l'effrayait.

A nouveau le regard gêné et la réponse qui ne répondait à rien. Nuwarëliya gonfla les joues de bouderie alors que le troisième Ancien refusait de lui donner une vraie réponse. Ce fut alors qu'elle fut rattrapée par un Père Rooi inquiet, et furieux qu'elle se soit éloignée sans rien dire. "Ze veux savoir pour mes ailes !" couina-t-elle. "Pou'quoi elles ne sont pas encore là alors que je suis plus grande que tout le monde ici." Père Rooi se tortilla sur ses pattes. "Euh... ahem... Ely, et si on allait voir les spectacles ? Il y a la musique avant la danse." Au mot musique, un air ravi peignit ses traits potelés. "D'accord !"

Fil s'était installé dans un coin discret et avait une bonne vue sur le spectacle. Sans doute l’appellerait-on plus tard, il irait ou pas. Il avait l'impression de se couvrir de ridicule qu'il vienne ou non. Pourquoi avait-il décidé de venir ?!

Ils avaient tenu 2400 battements de coeur avant de s'égailler à nouveau, portés par le rythme entraînant de la musique. Dans sa danse, Nuwarëliya trébucha soudainement sur un obstacle un autre dragon-fée ! "Oh ! Padon !" Un luth se trouvait près du dragon-fée blanc et ses yeux s'écarquillèrent. "T'es aussi un musicien ?!! Tu vas aller jouer ?!!"

Fil avait sauvé son luth et sa peau des pieds géants de l'humanoïde. Celle-ci se mit donc à lui parler directement. Le petit dragon-fée blanc s'était recroquevillé sur lui-même mais la douceur de la voix l'encouragea à tenter de répondre.
"Euh... Ah-- Je..."
Tenter était bien le mot.

Nuwarëliya pencha la tête sur le côté, ne comprenant pas les bégaiements du dragon-fée. "Je t'ai fait mal ?" demanda-t-elle avec une réelle horreur inscrite sur le visage.

"Non, pas du tout. Je vais bien, dit calmement mais plus distinctement. Et toi, tu-- tu vas regarder les spectacles... ?"
C'était qu'elle n'était pas tout à fait une dragonnelle-fée.
"Tu es le premier humanoïde à qui je parle."

"Huma-quoi ? Je suis une dragonnelle-fée !" rétorqua Nuwarëliya en gonflant les joues. "J'ai juste un souci de croissance. Mes ailes vont bientôt pousser !!" Père Drak se posa soudainement sur son épaule, fixant le dragon-fée blanc d'un regard... tranchant ? "Bah, Papa, qu'est-ce qui ya ?" demanda-t-elle en ouvrant de grands yeux étonnés. Père Drak redevint aussitôt aimable, même s'il continuait de faire les gros yeux au dragon-fée blanc. "Rien, ma racine en miel. Je m'inquiétais car tu avais encore disparu. Rooiberos est en panique." "Oooops... moi j'veux juste savoir pour mes ailes, Papa !"

Fil réalisa qu'il avait fait une erreur, a priori. En réalité, il n'avait pas fait volontairement d'impaire, ce dragon-fée adulte faisait éhontément croire à une humanoïde qu'elle était une dragonelle-fée. Ce n'était pas juste de lui mentir ainsi... Que ferrait Férocia à sa place ? Oh, elle s'énerverait sans nul doute.
"Je suis moi aussi très curieux de savoir quand ses ailes pousseront," dit le jeune Fil d'une voix neutre (si-si).

L'expression de Père Drak s'adoucit considérablement, comme s'il remerciait l'autre dragon-fée. Tout cela devenait décidément étrange. Quel secret ne voulaient-ils pas qu'elle sache ? Elle était assez grande pour ne pas pleurer, même si c'était triste ! "C'pas grave si j'suis une dragonnelle-fée de terre." dit-elle en souriant.

L'humanoïde abandonnait l'idée de savoir mais Fil n'y renonçait pas si facilement, quitte à trouver les réponses lui-même !
"Moi, je veux toujours savoir pourquoi elle n'a pas d'ailes. C'est étrange tout de même qu'une dragonnelle-fée soit aussi grande, sans écailles, sans queue et sans ailes."
Encore que pour les cornes, il existait des colonies de dragons-fées complètement lisses.

A nouveau, Papa Drak semblait sur le point de foudroyer du regard l'autre dragon-fée. Nuwarëliya fit la moue : "Mais aucun des Anciens ne veut me répondre. Si eux savent pas, qui sait ?" Cessant de fixer leur interlocuteur, Papa Drak frotte son museau sur sa joue. "Petite branche, Rooiberos va commencer à danser. Nous devons y aller si nous voulons avoir une bonne place." Les yeux de la dragonnelle-sans-aile brillèrent de joie et d'envie. "J'veux danser aussi !!"

Cette situation perturbait beaucoup le jeune Fil. Il voyait un dragon-fée d'une autre colonie, adulte, faire quelque chose d'insensé : mentir ostentatoirement à un juvénile d'une autre espèce et le retenir sous son aile. Très mal à l'aise, il ne disait rien et ne bougeait plus. Que devait-il faire ? Agir contre cette situation ? Si oui, comment ? De quelle façon ? Il allait encore paraître ridicule, chaque fois qu'il se mêlait des affaires des autres. Pourtant, là c'était grave ! Il devait en référer à un autre adulte, réalisa-t-il !

Ils furent soudainement entourés de plus petits dragons-fées qui s'agglutinèrent sur Nuwarëliya. "Moi aussi j'veux danser !" crailla Pisencha suffisamment fort pour rendre inaudible le bourdonnement des autres. Nuwarëliya rit gaiement puis fila vers la scène sans remarquer que Père Drak se détachait d'elle.


Une fois qu'elle fut hors d'oreilles, le dragon-fée se tourna vers son comparse blanc, se retenant de l'intimider avec ses écailles hérissées. Rooiberos ne serait pas heureux qu'il le fasse et il n'aimait pas le décevoir. "Ce n'est pas un lieu pour qu'elle l'apprenne." préféra-t-il dire. Diplomate comme l'aimait son compagnon.

Fil avait beau être jeune et plein de bonnes volontés, il était néanmoins déjà soupçonneux. Les autres dragons-fées profitaient déjà de son caractère stoïque pour se moquer de lui.
"Quel lieu sera-t-il approprié si je puis me permettre ? Une humanoïde dans une colonie de dragons-fées est dangereux !" rappela-t-il, décidé à tenir bon malgré les légers tremblements que provoquait sa nervosité.
Défier un adulte, jamais il n'avait osé auparavant !

"A la maison." siffla Drakssam entre ses crocs. Les écailles de son museau étaient hérissées même s'il réussissait à garder le contrôle de sa colère. Rooiberos voudrait rester diplomate. Penser à Rooiberos. "Nous avons essayé de lui faire comprendre subtilement mais elle ne veut pas. Pas encore." Il se redressa de toute sa hauteur, dans sa plus belle pose de papa protecteur. "Un étranger ne lui dira pas brutalement. Reine Tisania a dit d'attendre qu'elle soit prête à comprendre." Ses ailes claquèrent contre son corps alors qu'il les rabattait en reniflant. "Et Ely n'est pas dangereuse. C'est notre dragonnet, à Rooi et moi. La nôtre."

Le petit dragonnet était maintenant complètement aplati sur le sol. Il avait cru que l'adulte allait le brutaliser ; ce qui n'arrivait jamais évidemment, il était prince.
"Dans ce cas, pourquoi ne pas lui dire clairement qu'elle n'aura jamais d'ailes ? Elle souffre, la vérité lui fera du bien ! (ton plus bas) Non... ?"