Encore une tournée de distribution de lettres à destination d'une petite ville rurale cette fois-ci. Le bâtard - c'est ainsi qu'elle appelle son agaçant collègue - a le don de lui donner de sérieux maux de tête, il l'avait obligée à le remplacer pour la liaison courrier Tomsk - Moscou. L'espace d'un instant, elle avait même souhaité qu'il se couvre soudainement de plumes ou de poils, c'est dire son énervement !

Son  irritabilité ne décrût qu'après  quelques dizaines de minutes de vol, le temps de retrouver la sensation du vent  qui fouette le visage et défrise la crinière. Et le reste du vol se déroule dans un esprit plus serein. Sans pigeons pour lui gâcher la vue des nuages et du ciel azuréen.

Elle survole enfin la ville de Tomsk en effectuant des cercles concentrique au-dessus des minuscule bâtiments, elle cherchait à repérer l'aérodrome ou un champ bien dégagé pour se poser. Nul doute que les habitants ont entendu le vrombissement de son coucou, son Mouton à cette altitude. Repérant enfin un endroit adéquat, elle débuta les manoeuvres pour se poser.

Le Père Glazdov n'avait vraiment pas été content qu'ils soient encore égarés mais Andrei avait avoué en se dandinant qu'ils s'étaient perdus à cause d'un accident sur la Grande Rue et ils n'avaient été punis qu'une seule journée. Et heureusement ! Car le lendemain voyait un objet volant non-identifié tournoyer dans le ciel ! Bouche bée, Anoushka cessa de jouer à trap-trap pour observer l'engin. "C'quoi ?" demanda-t-elle à son ami qui connaissait bien plus de choses sur le monde qu'elle. "Un avion." répondit-il avec un sourire. "J'veux voir !!" Et le Père Glazdov devait être de bonne humeur, car ils purent y aller... Avec un chaperon.

HRP:

Eir n'était pas mécontente de découvrir que le champ qu'elle avait choisi suffisait à permettre à son coucou de se poser. Coupant d'abord, elle ôta ensuite ses lunettes d'aviatrice ce qui lui donnait un drôle d'air avec les cercles immaculés autour de ses yeux alors que le reste de son visage se trouvait être barbouillé. Tomsk, me voilà ! Plus qu'à attraper cette besace de lettres et descendre du Mouton ! Il lui semblait qu'un petit groupe de curieux se dirigeait déjà vers l'avion.

L'objet volant non identifié était parti se poser hyper loin ! Tomsk avait pourtant un aéroport pour accueillir les vols de dirigeable en provenance de Moscou et d'autres endroits de la Russie. Ils durent même prendre le tramway pour atteindre plus rapidement le champ dans lequel l'engin s'était posé ! "L'avion." lui répéta Andrei en souriant de son agitation. Le son -ion lui était encore difficile donc ça rendait plutôt "avon" pour le moment mais elle ne cessait de le répéter, ça allait bientôt rentrer.

Quittant  son cockpit pour se pavaner sur l'aile droite de son appareil, besace de lettres sur l'épaule, elle s'en alla à la rencontre de la bande de curieux.  Elle avait besoin de leur demander où se trouvait la poste, histoire de faire  ce pour quoi elle était venue. Ce n'était pas  son vol habituel, Eir remplaçait un abruti, qui pour une quelconque raison, ne pouvait pas l'assurer.

Spoiler:

"Ouwaaaaaah !!!" Le cri perçant d'Anoushka attira tous les regards des curieux amassés autour de l'a-vi-on (elle arrivait à le prononcer maintenant, en articulant bien chaque syllabe !) mais l'enfant n'en avait cure. Elle courrait comme une folle autour de l'appareil en sautillant et tournoyant sur elle-même. "Ouwaaaah !! Andrei !! T'as vu ?! On est tout SEUL dans cet avon ! A-vi-on !! La dame, elle peut piloter touuuuute seeuuuule !! Je veux essayer !! C'est comme un di'igeable, m'dame ? Dites, dites ? Y vole haut ? Y vole vite ? Y peut faire des gal'pettes, vot' avon ?!" Leur chaperon était figé à la fixer avec de grands yeux effrayés.

HRP:

L'aviatrice discutait  de vin et de fromage avec le groupe de curieux qui s'était formé autour de son avion quand une petite gonflée à l'hélium poussa un cri monstrueux. Et débita une litanie de phrase exclamatives et interrogatives extrêmement déstabilisante pour qui n'avait pas l'habitude d'être assailli ainsi. Mon coucou n'est pas un dirigeable, tu ne manques d'air de le comparer à ces mastodontes petite ! Bien sûr qu'il vole plus haut que les nuages et qu'il va plus vite que ces tortues ! Je peux même écrire ton prénom dans le ciel ! quelle belle fierté d'aviateur piquée au vif par la comparaison avec un dirigeable !

"C'est cool un dirigeable !" s'outra Anoushka en croisant les bras. Avec les lunettes d'aviateur de son père sur les cheveux et sa salopette du jour, elle devait ressembler à une mini-pilote. "Quand je suis grande, je suis pilote comme Papa et Mama, d'abord !" Ses yeux pétillèrent à l'idée de voir son prénom dans le ciel. "Alors, m'dame, j'vous mets au défi d'écrire Anoushka avec les nuages !" Doigt tendu et tout. Leur chaperon se faisait tout petit, une main sur le visage pour cacher ses gémissements. Andrei, lui, gloussait à ses côtés.

Et ne m'appelle pas madame, garde-le pour les mariées !   Eir n'avait pas d'alliance au doigt, n'avait pas de mari qui l'attendait à la maison ni d'enfants ; être appelée ainsi lui donnait un sérieux coup de vieux. Les curieux l'étaient davantage à présent, l'aviatrice parviendra-t-elle à écrire le prénom de la petite ? Personne n'avait remarqué le pauvre chaperon dans la foulée. Foi d'Eir Yurievna Palyulina, j'écris ton nom les doigts dans le nez !  

La petite mit les mains sur les hanches avec un grand sourire victorieux au visage. "J'attends ! Et si vous n'y arrive pas, bah... je gagne un tour en avon !... A-vi-on !" Même Andrei fit de grands yeux étonnés devant son arrogance.

Et ben si j'y arrive, je gagne une bouteille de vin du meilleur cru de Tomsk ! , déclara fièrement Eir se prenant au jeu de la petite. Ce qui devait rendre encore plus malheureux le chaperon : les choses échappaient de plus en plus à son contrôle. Si la jeune fille ne pouvait pas la fournir, elle était sûre que les curieux s'empresseraient de lui en proposer une après l'exploit !

Anoushka n'était assez sans gêne pour promettre quelque chose qu'elle ne pouvait pas obtenir. Elle se tourna donc vers le chaperon du Père Glazdov avec de grands yeux quémandeurs. "On peut ?" Le visage de l'homme devint rouge brique. "Mais non ! Tu te prends pour qui, Anoushka Kitaëv ! Déjà que tu montes sur un dirigeable sans autorisation et..." Deux passants aux gros bras lui serrèrent les épaules en riant. "Mais nooon, on va la payer cette bouteille de vin. On veut voir, nous aussi !" Les yeux d'Anoushka brillèrent de reconnaissance. "Oh merci, merci !" Elle tendit une main vers la dame du ciel "Pari accepté, m'dame...moiselle !"

Sans gêne la gamine, une vraie graine d'aviatrice ! Eir le devinait rien à ce qu'en avait dit la petite et le chaperon. La tenue de l'enfant y jouait un rôle aussi. Pari tenu petite !,  conféra solennellement  Eir en saisissant la main d'Anoushka de ses deux mains aux cals de pilote. Je vous prie de reculer tout le monde, je vais avoir besoin d'espace pour redécoller.

Anoushka souriait toujours d'un air de canaille satisfaite quand le chaperon des Glazdov lui attrapa le bras sans ménagementi. "Aïe !" Mais il la secoua comme un prunier. "Petite gar... chipie ! Tu m'en feras donc voir de toutes les couleurs à chaque sortie ?" Andrei s'interposa soudainement entre eux, le regard noir. "Eh ! Personne n'est fâché et on va voir un beau spectacle... D'ailleurs, c'est vous qui vous donnez en spectacle . Père ne va pas être heureux de l'apprendre." Le sourcil de l'homme tressaillit mais il s'éloigna d'un pas en grommelant. Anoushka n'y pensait déjà plus, le regard levé au ciel avec des étoiles pétillantes.

Eir remonta prestement sur son destrier céleste, regarda l'horizon histoire de s'assurer qu'un nuage inopportun n'aille pas gâcher ce qu'elle allait écrire dans le ciel. Le rugissement du moteur retentit alors que les curieux obéissaient à la demande de la pilote ; le coucou s'avança sur la piste jusqu'à arracher ses trains d'atterrissage à la gravité. L'impudente gamine allait voir la grâce d'un avion et en prendre plein la vue ! Elle était lancée pour réaliser un "Anoushka" à l'aide des figures aériennes qu'elle connaissait bien.

Anoushka avait tout oublié. La menace du chaperon. Le fait que Sobaka lui manquait. Même qu'Andrei essayait d'attirer son attention. Elle n'entendait plus rien d'autre que le vrombissement de l'avion et ne voyait plus que les lettres que sa pilote arrivait vraiment à former dans le ciel.

Ecrire le diminutif avait été facile mais les lettres suivantes lui donnèrent du fil à retordre. Eir ne voulait pas se louper dans ses manoeuvres ni transformer une lettre en autre chose, après tout, une bouteille de vin était en jeu ! Ses efforts furent récompensés par une éphémère "Anoushka" faite de fumée dans le ciel. La pilote s'essuya le front salissant la manche de blouson avec la poussière de son voyage puis amorça à nouveau la descente.

"Ze veux un av-i-on." dit soudainement Anoushka après un long moment de silence agité. Andrei haussa un sourcil en riant. "Toi qui ne jure que par les dirigeables ?" Anoushka se tourna vers son ami pour attraper ses mains, les yeux brillants. "Un avon dans mon di'igeable ! Pour voler toute seule quand je veux m'amuser à faigrre des pigrouettes !" Elle s'y voyait déjà ! Amusé par son enthousiasme, Andrei se laissa entraîner dans une farandole.

En se rapprochant du plancher des vaches, Eir  sortit les trains d'atterrissage  et  commença à décélérer petit à petit. Il lui  fallut une certaine distance avant de pouvoir arrêter complètement le moteur. Et  les curieux en avait pour leur argent ! Elle ôta de nouveau ses lunettes d'aviatrice   puis regarda les deux enfants d'un air amusée alors qu'elle quittait son coucou. Pas trop déçue d'avoir perdu le pari ?

"Déçue ?" piailla Anoushka en sautillant autour de la pilote. "Non, non et non ! J'veux avoi mon avon, moi aussi, avec mon di'igeable. Il va s'appeler Le Coeur des Nuages, mon di'igeable alo mon avon, ça va êtes... mmmh... le Mouton volant !!" Elle agitait ses bras dans tous les sens, la voix endiablée par son enthousiasme. "Et moi aussi, je vais faigre des pigrouettes !"

Alalalala, elle voulait beaucoup de chose la petite ! Un dirigeable et un avion rien qu'à elle ! Eir se demanda si elle devait casser son élan de rêverie, l'un et l'autre coûtaient beaucoup de roubles sans compter qu'un dirigeable capable d'accueillir un avion devait être monstrueusement cher. La pilote réajusta le sac de lettres destiné aux habitants de Tomsk. Petite, Mouton est mon coucou.

"Votre av-ion s'appelle le Mouton ? Gyaaaa !" s'enthousiasma Anoushka en sautillant de plus belle. Elle sentait sur elle le regard chaleureux d'Andrei et celui, plus agacé, de leur chaperon. Mais la foule ne tarda pas à se presser autour d'eux pour féliciter la performance d'Eir alors qu'on lancer un appel aux dons pour acheter la bouteille de vin promise. Il y eut bientôt suffisamment de roubles pour acheter deux bouteilles de vin... et du jus de pomme aussi ! Anoushka avait crié sa demande suffisamment fort pour être entendue. "Et des brioches aussi !" Un tonnerre de rire salua sa demande.

Hahaha, c'est pas grand chose.  J'ai jamais vu une gamine plus passionnée que toi par l'aéronautique. , répondit Eir en  caressant amicalement les cheveux d'Anoushka. Ça me donne envie d'appeler mon avion l'Anoushka à partir de maintenant. Les dons affluaient et finalement, avoir deux bouteilles étaient plus qu'espéré ! Tu es d'accord petite ?

"Aénoquoi ?" répéta Anoushka avec de grands yeux étonnés. Andrei pouffa à côté d'elle et lui murmura à l'oreille : "Aéronautique, je t'expliquerai plus tard." Elle hocha la tête avec confiance et ses yeux s’éclairèrent à nouveau d'étoiles à la proposition de la pilote. "Aaah !! Un av-i-on qui s'appelle comme moi, Andrei ! Déjà qu'on a visité un di'igeable qui s'appelle L'Anouchska. Avec un c. Moi, c'est un s. L'av-i-on, ça va êtes un s ou un c ? Je dis un s, moi. Comme moi. Andrei dit s aussi." Le garçon hocha gentiment de la tête.

HRP:

Alors ce sera un S petite ! Avec les roubles obtenus, elle pouvait maintenant descendre à la meilleure cave de Tomsk et faire main basse sur ces bouteilles de vin ! Le jus de pomme et les brioches étaient également une bonne idée. Les curieux n'hésitèrent pas à lui demander des nouvelles des autres villes et à l'accompagner jusqu'à la ville puisqu'elle avait des lettres à livrer. La pilote pensa à remercier discrètement le jeune garçon de lui avoir épargné l'explication du concept de l'aéronautique. J'ai des lettres à livrer, vous me montrez le chemin les enfants ?

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