Rappel du premier message :

Maksim voyait parfois sur la Moskova des bateaux transportant des personnes richement vêtues et mangeant des mini-repas debout en riant. Naturellement, quand il en faisait la remarque à ses parents, ceux-ci lui répondaient que c'était une perte d'argent et de temps (enfin surtout son père). Sa curiosité n'en était que plus grande et exacerbée par cette interdiction que son statut moyen comportait. Pendant plusieurs jours, il traqua l'itinéraire du "bateau-mouche l’Étoile bleue".

Un après-midi un peu gris, il passa à l'action et se rendit au point de départ du bateau. La casquette visée sur ses cheveux blancs, il coiffa au poteau un porteur aussi jeune qui lui. Ce dernier voulu protester mais se figea en croisant son regard rouge par dessus ses lunettes teintées. Le jeune Bounine accompagna donc un noble concentré sur son journal. Curieux de vouloir travailler quand le principe du bateau semblait être de se changer les idées...

Son plan réussi, Maksim Andréiévitch s'effaça du décors et écouta les conversations. Il se sentit soudain petit et insignifiant. Cela lui avait permis de monter sans se faire prendre (pour l'instant) mais il aurait aimé goûter le genre d'existence qu'il manquait. La conversation des adultes lui échappait. Il ne connaissait aucun nom mentionné, ni certains mots comme "croquet" ou "réception". Il se tourna donc vers les non-adultes.

Le garçon avait en effet une vague impression de la différence de leurs statuts respectifs mais il y était indifférant. Pour la deuxième hypothèse d'Oksana, elle touchait dans le mille. Max ne parvenait pas à plaire à son père malgré toute sa volonté (et sa maladresse d'enfant).
La réponse de la grande tournait dans l'esprit de Max : "suivre le même chemin". Du haut de ses onze ans, il ne voyait pas comme c'était possible tout de suite. À long terme, il devra devenir secrétaire comme son père.

Pas de réponse de la part du garçon. Oksana s'était pourtant préparé à recevoir encore une avalanche. Il était perdu en réflexion ? Qu'est-ce qu'il y a ? Cette réponse ne te plaît pas ?

L'adolescente semblait se soucier de lui en dépit du peu de temps qu'ils avaient passé ensemble. Est-ce qu'elle l'aime bien ? se demanda-t-il sur le coup, sortant de son entortillage de cerveau.
"Et est-ce qu'il a une chance de prendre l'entreprise familiale ?"
D'ailleurs, où est-il son frère s'il n'est pas sur le bateau ?

Une "chance" ? Oksana arqua un sourcil. Il ne savait donc pas comment ça fonctionnait. Il est le seul successeur. Il a intérêt à la prendre. Elle n'allait pas tomber entre ses mains en tous cas. Encore heureux ! Oksana avait zéro intérêt dans l'entreprise ou le travail.

Donc... Maksim devait devenir secrétaire comme son père quoi qu'il en soit ? C'est qu'obéir aux ordres et rester enfermé à l'intérieur d'un grand bâtiment comme le Kremlin ne l'enchantait guère.
"Donc... il marchera quoi qu'il arrive dans les traces de son père ? Pourquoi n'est-il pas sur le bateau avec lui ?"
Il valait mieux imiter chaque geste du géniteur, non ? À moins d'avoir à étudier la Bible.

Qui a dit qu'il n'était pas là ? demanda-t-elle tout simplement. Alexei était considéré homme et adulte bien plus tôt qu'elle. Du haut de ses 15 ans son père la traitait toujours comme sa petite fille, malgré le fait que son frère, à son âge, avait déjà reçu plusieurs responsabilités. Elle en quémandait pas, encore une fois, mais être vu comme une fille n'était pas quelque chose qu'elle voulait non plus. Vivement son entrée en société !

Max clignota des yeux un instant, il ne s'attendait pas à ce genre de réponse. Est-ce que c'était trop indiscret ? Il ne le pensait pas. C'est donc sans détour qu'il répondit.
"Personne. Mais vous n'avez pas dit non plus qu'il était sur la bateau. Donc, y est-il ?"
Sinon, pourquoi ne serait-elle pas avec son frère ?

Oui. Il marche tellement dans les traces de mon père qu'il semble être son ombre, dit-elle accompagné d'un soupire. Peut-être qu'elle était nostalgique de leur enfance quand elle était encore proche d'Alexei. Pas qu'ils ne se supportaient plus mais... c'était différent.

Maksim plissa les yeux pour observer l'homme désigné plus tôt et chercher son "ombre". Il vit effectivement un jeune homme qui tentait de se joindre à la discussion. Ceci fait, il revint à la jeune demoiselle soupirante de mélancolie. Il posa sa main sur son bras, prêt à le retirer si elle n'aimait pas.
"Que faisiez-vous avec votre frère ? De quoi discutiez-vous par exemple ?"

Elle reprit son bras rapidement, mais sans vouloir paraître trop brusque. Elle avait peut-être pris le temps de discuter avec un pauvre petit garçon par ennui, mais elle ne voulait pas qu'on la voit fraterniser avec non plus.

Pourquoi mes relations avec mon frère t'intéressent-ils tellement ?

Maksim fut blessé par le geste de repli de la demoiselle. Il se demanda alors si elle avait vu ses yeux rouges ou s'il la dégoûtait pour une raison quelconque. Il replia son bras contre lui et dû réfréner les tremblements de ses lèvres.
"Non, ça ne m'intéresse pas, j'ai rien dit."
La vérité était qu'il voulait jouer le rôle du frère parfait pour lui plaire et qui-sait recevoir des compliments mais bon c'était ridicule puisqu'il la connaissait à peine.

Elle plissa les yeux. Le garçon était difficile à lire. Elle avait pas souvent du mal à comprendre les intentions des gens, mais c'était un exercice mieux pratiqué parmi ses pairs. Dur de le faire avec un inconnu.

Très bien.

Elle n'allait pas insister.

Le petit Maksim en était venu à la conclusion qu'Oksana était comme les autres, c'est à dire qu'elle se fichait bien de lui. Il lui tira la langue (et tant pis pour la classe) avant de s'enfuir. Mais il n'avait pas vérifié avant de partir et rebondit contre les jambes d'une grande personne.

Il... venait de lui tirer la langue ? Si elle avait oublié un instant qu'elle parlait à un gamin, voilà de quoi lui rafraîchir la mémoire. Elle afficha un sourire amusé avant que le petit fonça droit dans les jambes d'un collègue de son père, qui l'attrapa directement par le bras avec l'intention de le discipliner pour cette intrusion.

Elle pouvait faire semblant de pas savoir de qui il s'agissait... ou l'aider. Dur décision.

Maksim avait encore agi avec impulsivité et imprudence... Pourtant, il ne faisait pas exprès ! L'adulte levait le bras pour le frapper, c'était le moment ou jamais de se défendre. Le garçon de dix ans mordit donc le pouce de la main geôlière. Le geste était rapide, la main lâcha au prix d'une marque de dents. Malgré l'efficacité de sa riposte, il était en mauvaise passe et l'homme criait au démon... Retenant sa casquette, Max revint vers Oksana en courant. À l'aide !

Elle lui fit de grands yeux. Le temps s'arrêta alors que ses pensées faisaient du 100 à l'heure. Aider quelqu'un qui était clairement pas supposé être là et qui avait maintenant tiré l'attention des adultes avec ses gestes bestiales ? Le collègue avait crié au démon. Au démon. S'il y avait eu un choix il y a cinq minutes, désormais il y en avait plus. Le temps reprit.

Elle chuchota un rapide "Cours !" avant de prendre la posture d'une jeune fille terrifiée. Si elle ne se trouvait pas un bon mari, elle pourrait toujours devenir comédienne dans un acte de désespoir.

Maksim comprit assez vite que la jeune fille n'allait rien faire pour lui.
"Démon toi-même, le vioc ! Tu m'as fait mal avec tes GRIFFES !" cria-t-il avant de foncer au bord du bateau.
Il monta sur la barrière et sauta.
Il atterrit sauf sur un bateau plus petit et regagna la terre ferme sous l’œil effaré des témoins. Il continua de courir pour rejoindre la maison.
Il espérait ne pas se faire gronder et ne pensait plus à Oksana Vasilevna que lorsqu'il mangeait des huîtres.