Il y avait trois ans, Aaron De Pietri était un autre homme, moins cerné aux yeux, moins apathique. Il n'était pas accompagné d'une peluche mais portait déjà sur lui beaucoup d'objets à l'effigie des manchots. Alors que ce n'était pas encore la mode, il avait collé au dos de son portable un autocollant de pingouin et il arborait déjà des badges sur les poches de sa chemise.

La coiffure négligée, il se présenta devant une boutique nommée Paper Kingdom, une librairie pour les plus vifs d'entre vous. Il avait eu l'idée ce matin de rédiger un article sur les librairies et choisit la première adresse à côté du bureau de son journal (ou du journal de son bureau ?). Il ne connaissait rien au domaine de l'édition, pas plus que les lecteurs du journal généraliste pour qui il travaillait. Il fallait bien commencer quelque part, peut-être donner un coup de pub dans la foulée et inspirer des carrières à de jeunes lecteurs ayant piqué le journal aux parents pour s'occuper.

Il avait donc appeler le propriétaire pour lui proposer un rendez-vous sur place.

Oui, oui, recevoir un appel pour autre chose qu'une commande, c'était rafraîchissant ! L'idée d'avoir un peu de publicité lui mettait l'eau à la bouche et lui donnait envie de se bâfrer de cookie mais elle savait devoir se calmer. Cela l'aiderait à faire connaître sa boutique.  Anthem avait noté le rendez-vous dans un endroit bien en vue qu'elle-même avec sa mémoire de poisson rouge ne pouvait pas rater. Juste par mesure de sécurité.

Aaron s'arrêta devant l'enseigne, il se permet de prendre une photographie de la devanture avant d'entrer. "Bonjour, je ne suis pas là pour acheter, je suis là pour le rendez-vous," précisa-t-il, quand bien même les horaires ne correspondaient pas à l'ouverture. "Aaron De Pietri, le journaliste à la masse." Il paraissait qu'on l'appelait comme ça dans le milieu, Aaron n'allait pas décevoir ses fans.

Anthem n'était pas mécontente que la grille  de protection ait été relevée sinon le journaliste aurait vu les tags  anti-mutants que des garnements avait peints dessus. La chose l'énervait plus qu'autre chose quand elle se remémorait le doux souvenir de sa soeur jumelle. Bonjour,  Bienvenue  à Paper Kingdom, je suis la propriétaire de la librairie. Journaliste à la masse ?   , demanda-t-elle sincèrement intriguée. Ce n'était pas banal comme présentation.

"Oui, c'est le nom sous lequel on me connaît dans la profession. J'aime la consonance en s. Êtes-vous prête à répondre à beaucoup de questions sur votre métier et profession ? Les lecteurs du journal aimeraient en savoir plus sur les conditions de vie des libraire." Enfin, Aaron en avait envie et il estimait être tout aussi légitime qu'un autre pour diriger sa curiosité. Avec nonchalance, le journaliste observait son environnement et attendait une réponse.

Oh bah, c'est intéressant comme surnom dans la profession. L'environnement était très lumineux, mettant en valeur les étagères sur lesquels trônaient une grande diversité de livres, de bds et des mangas. La papeterie et les jeux de société sont aussi de la partie. Oui, oui, je suis prête., répondit Anthem désormais tendue comme une postulante se rendant à un entretien d'embauche. Il allait falloir ruser un peu pour la mettre à l'aise.

L'aspect tendue de son interlocutrice n'échappa pas à Aaron. Celui-ci s'installa confortablement sur une chaise faisant face à son interlocutrice. "Bien, commençons paaaaar... votre plat préféré, quel est-il ? Proposez-vous des boissons et de la nourriture ici ?"

Son plat préféré ?  C'est malin, ça lui donnait faim maintenant ! Et il était encore trop tôt dans la journée pour commencer à grignoter ! Du riz parfumé au persil et d'un blanc de poulet accompagné d'une sauce au chocolat noir. Je ne sers pas de boissons ni de nourriture ici. Comme entrée en matière, c'était beaucoup moins angoissant qu'attendu.

Aaron fit donc semblant de noter la réponse. "Qu'est-ce qui vous a donné envie de devenir libraire ? Le contact avec les livres, d'autres passionnées de lecture ou pour un autre avantage ?" Là, il attaquait les questions sérieuses !

Le contact  avec les livres et la passion de la lecture. Je savais déjà quoi faire plus tard depuis toute petite avec ma soeur.   Elles s'étaient toutes deux promises d'ouvrir une librairie rien pour elles. Sa voleuse de livre, sa Kat, sa jumelle adorée, n'était plus de ce monde.  Quand elle se remémorait sa soeur, Anthem ressentait un vide poignant dans le coeur et était parfois terrassée par le traumatisme. Mais pas aujourd'hui.

"Votre sœur vous aide-t-elle à tenir la boutique ?" demanda distraitement Aaron. Il se doutait légèrement que ce n'était pas le cas, une intuition, car sinon son interlocutrice serait plus bavarde.

Non., Aaron pouvait sentir qu'elle ne voulait pas trop s'étendre sur sa soeur. Ni détailler les raisons de cette absence. Qu'aurait-t-elle pu dire à un étranger ? Que des hommes de la LIRAH l'avaient assassinée parce qu'elle était mutante ? Qu'elle était morte en 2001 laissant penser ainsi au 11 septembre ?

Pourquoi commencer à parler de sa sœur si elle ne voulait pas développer plus ? "Qui vous aide à tenir la boutique ? Êtes-vous auto-entrepreneuse ? Quelles études faut-il suivre pour devenir libraire ?"

Je n'ai qu'un autre employé qui m'aider à faire tourner la boutique. Je suis une libraire indépendante, je ne suis pas affiliée aux grandes librairies de New York. Il n'y a pas de voie royale pour devenir libraire, il faut avoir une bonne connaissance littéraire et en sciences humaines et un amour pour les livres. Mais le mieux, ça reste une formation professionnelle. Soudain, un chat gris bondit sur le comptoir, il semblait surgir de nulle part avec la discrétion légendaire des chats.

Il faudrait poser davantage de questions sur ses débuts de carrière, la pousser à développer son parcours mais d'abord il lui fallait trouver une question moins lourde... "Oh, un Felis silvestris catus ! Alors, c'est lui votre autre employé ?"

Anthem posa la main sur la tête de l'animal et commença  à le  caresser alors qu'il se mettait à ronronner et à agiter  une queue bien déliée.  Elle était beaucoup plus détendue  qu'avant. Oh non, non,  il ne ferait pas du tout avancer le travail, Cheshire dort  quatorze heures par jour. C'est plus un invité d'honneur qu'une mascotte  , répliqua-t-elle avec un rire dans la gorge. Hein, mon beau ? Le chat miaula en réponse, il avait ses gratouilles !

L'ambiance se détendit grâce à l'apparition soudain de l'animal de compagnie de la libraire. Elle avait même commencer à rire. "Quelle formation avez-vous eu pour vous occuper de ce chat de Cheshire et de la librairie plus précisément ?"

J'ai fait un CAP employé de vente spécialisé option produits de librairie-papeterie-presse puis un BP libraire, après,  un DUT Informatique et communication de deux ans. J'ai ensuite commencé à travailler dans des rayons pour avoir  plus d'expérience  professionnelle avant d'ouvrir ma librairie. Elle continuait à caresser le chat pendant qu'elle parlait de sa formation.

Nota:

L'interview se passait bien grâce à l'intervention du chat. Il faudrait le remercier avec des croquettes ou un jouet, pensa Aaron. Il poursuit avec davantage de questions (classiques) : "En quoi consiste cette expérience de libraire précisément ? Conseiller les clients, choisir la disposition des ouvrages par exemple ?"

Bien, passons aux questions plus personnelles. "Maintenant que vous avez votre propre librairie, quelle... est devenu votre nouvel objectif ? L'agrandir, mettre en place un nouveau rayon, des évènements ?"

Déjà bien m'installer dans le paysage du quartier, ensuite, j'espère  proposer à des classes de choisir des livres et de donner leurs avis  sur des petits cartons colorés. En disant cela, la libraire arrêta de caresser son chat, ouvrit un tiroir  et en tirer lesdits cartons. Et démarcher  un auteur pour qu'il vienne faire des dédicaces. De préférence sans affiliation LIRAH. Mais ça, elle le précise pas.

Aaron nota donc tout ce que répondit la libraire puis observa rapidement les cartons colorés. "Intéressant, donc vous proposez des livres aux écoliers en échange de critiques, c'est bien ça ? Gratuitement, comment vous vous y retrouver ? Est-ce quelque chose de courant dans le milieu ?"

"Est-ce que votre librairie a quelque chose qui la démarque des autres ?" Question qui fâche ! Voyons comment elle réagira. Si besoin Aaron n'aura qu'à la remettre en confiance.