Rappel du premier message :



Navi avait une connaissance stupéfiante de tout ce qui était plantes et potions, mais il avait une lacune importante pour quelques spécimens dû à l'écriture absolument illisible du vieux Magoras. Ce n'était donc pas sa faute (notez-le bien dans vos carnets) s'il était dans l'obligation de compléter ces lacunes. Ce n'était également pas sa faute s'il avait été agressé par une troupe de gobelins (au moins 10 !) qui lui avait volé son sac de voyage. Heureusement que Navi connaissait ses livres presque par cœur (après presque deux siècles il avait eu le temps de bien les lire).

Bref.

Tout ça pour dire que oui, évidemment qu'il avait été dans l'obligation de manger la plante mystérieuse qu'il avait repéré dans la forêt. Et évidemment qu'il était maintenant très bien au courant des propriétés spécifiques de la plante. Et évidemment qu'il n'avait plus d'antidote pour combattre les effets d'empoisonnement car les gobelins étaient sûrement en train de se laver les aisselles avec.

Et c'est lui ou le monde est devenu hyper.. flou... soudaine—

La réponse de Moira fut catégorique. « Ce n’est pas parce que tu as vu pire que tu ne verras jamais pire que ce que tu as déjà vu. » « M’est avis que tu vas l’embrouiller, là. » Aisling n’avait peut-être pas tort. « Si tu tiens absolument à risquer ta peau, la moindre des choses c’est de le faire dans un environnement sûr, avec quelqu’un capable de réparer les dégâts que tu t’infliges. » Ou mieux : de se renseigner avant de manger n’importe quoi.

Pffff, si je devais attendre tout ça j'apprendrais jamais quelque chose ! C'est ça de vivre seul. Dans un lieu caché. Avec personne pour nous tenir compagnie. Le risque du métier (si être ermite est un métier).

« Et ça t’apprend quoi de t’empoisonner sans avoir de moyen de te guérir ? », railla gentiment Moira. Elle avait beau être moins caustique qu’Aisling, elle n’avait aucun scrupule à dire ses quatre vérités à un jeune imprudent. Que le jeune en question avait plus de deux fois son âge lui passait au-dessus de la tête, et elle n'y aurait de toute façon accordé aucune importance si elle l'avait su. Il agissait comme un gamin, donc elle le traiterait comme un gamin.

J'ai les moyens normalement, mais on me l'a volé. Bon, ça n'expliquait toujours pas pourquoi il l'avait fait cette fois-ci, mais il n'avait pas de bons arguments. Autant passer à un autre sujet. C'était préférable. J'ai pas croisé beaucoup de magiciennes. En général c'est des vieux sots en chapeau pointu.

Non seulement il agissait comme un enfant en bas âge, mais il avait les mêmes arguments douteux qu’un enfant de cet âge. Décidément. « Et tu as croisé beaucoup de magiciens ? »

Plus que de magiciennes. Il tenta encore une fois de se redresser, mais ses membres étaient moues comme s'il venait de faire cinq heures d’exercices. Pas qu'il savait à quoi ça ressemblait, parce qu'il faisait jamais d’exercices. Il avait ses potions. Et il mangeait que rarement. Défaut de mage aussi. Toujours le nez enfoncé dans ses livres.

« Ça ne me dit toujours pas grand-chose », le charria-t-elle. Elle passa une main sur son front pour vérifier sa température. Jusqu’ici il n’avait pas l’air de présenter des séquelles de son récent empoisonnement. Certes, il était encore pâlot et faible, mais à ce stade c’était normal.

Pourquoi elle le touchait si familièrement ! Il se rappelait pas lui avoir donné la permission. J'ai pas vu de magiciennes depuis au moins 50 ans ! Si elle avait vraiment besoin d'un exemple. Euh... je veux dire 5 ans. 5 ans, oui. Il avait dit 50 ! L'horreur était visible sur son visage trop pale. Ça peut pas faire 50 ans parce que si c'est 50 ans ça fait de lui un... un.. un v... un v-v... non !

« Ca fait une sacrée fourchette. » Enfin, les lapsus, ça arrivait à tout le monde, surtout dans un état second. « T’es une magicienne ? » Tiens, le dragonnet avait quitté sa pelote de laine et était à nouveau perché sur la tête de Moira. « Non, je ne fais pas de magie. Mais les plantes ont leur propre magie curative. » Ou empoisonnante, dans le cas de la fleur que l’homme aux cheveux mauves avait mangée.

Deux choses :

1. Elle n'était pas magicienne. Navi était presque choqué de l'apprendre. Il avait bien dit qu'il ne voyait pas beaucoup de magiciennes. Ca a du sens que cette vieille sotte n'est qu'une vieille sotte et pas une vieille sotte magique.

2. Il y a un truc qui vient d'apparaître dans la chevelure de la dame.

Il y a... un truc dans tes cheveux.

« Suis pas un truc ! » Vexé, le petit dragon fit mine de bondir sur le malade allongé. Moira tendit sa main pour l’intercepter avant qu’il atteigne sa cible. « Du calme, Pim, tu n’es pas toujours facile à voir à distance. » Elle descendit ensuite sa main pour que l’autre voie ce qu’elle tenait dedans. « Voici Pimarimponil. » Enoncé sans se tromper et sans bredouiller, en plus.

Navi plissa les yeux. Une petite chose, pas plus grande qu'une pièce d'or, était placé sur sa main. Un dragon-fée ? Ils ne vivent pas en colonie, ces choses ?

« Suis pas une chose ! » Le minuscule dragonnet hérissa une crête à peine existante. Moira lui grattouilla la nuque du bout du doigt pour le calmer. « Les dragons-fées vivent généralement en colonie, mais ce n’est pas toujours le cas. » Apparemment. Elle non plus n’avait encore jamais vu de juvéniles laissés à eux-mêmes comme Pim.

C'est nouveau ça. Ils ont pas besoin d'une reine à vénérer ou un truc du genre ? Il posait la question mais la réponse lui intéressait pas vraiment en fait. Plutôt... Comment tu as su toi, pour la plante, si tu n'es pas magicienne ?  

« C’est quoi une reine ? Et c’est quoi vénérer ? » Tiens, ça faisait un bail qu’elle n’avait pas eu à gérer deux gamins à la fois. Pim devrait attendre, puisque sa question nécessitait une réponse plus complexe. « Je me suis renseignée, tout simplement. À force d’étudier les plantes, on finit par en connaître un rayon. »

Renseigner comment ? Par un livre ? Tu peux pas faire confiance à ce qu'il y a marqué dans les grimoires. La moitié des mages vantent connaître des sorts qui, une fois testé, s'avèrent pas fonctionner du tout ! Il y avait peu de confiance dans la communauté en général. Ou peut-être c'était juste Magoras qui était absolument parano.

« Ca fait toujours une moitié de grimoires fiable, non ? Et de ce que j’ai vu les herboristes sont plus fiables que les mages que tu décris. » Aisling, semblant estimer qu’elle était restée silencieuse assez longtemps, ajouta son grain de sel : « Et plus de la moitié des sorts ratés est la faute du mage qui a pas été fichu de suivre les instructions correctement. » Parlait-elle d’expérience ? À creuser.

Les herboristes. Des wannabe mages. Pourquoi se concentrer sur quelque chose avec lequel ils peuvent quasi rien faire, alors qu'ils pourraient exceller en... chépa... soufflage de verre, création d'écharpes ou rasage de barbes. Ridicule. Encore un dragon-fée ? s'étonna Navi, qui venait tout juste de remarquer le deuxième. Tu as kidnappé toute une colonie ?

Perplexe, Pim regarda autour de lui à la recherche de l’autre dragon-fée. « Et puis quoi encore ? », s’offusqua Aisling. Histoire de rectifier le malentendu, Moira plaça la canne à hauteur des yeux du jeune homme. « Aisling a des opinions plutôt tranchées, comme tu as pu le remarquer. » C’était le moins qu’on puisse dire.

Attends, la canne ? La chose qu'il avait fixé du regard tantôt devait être rien d'autre qu'une boucle d'oreille. Il avait encore les yeux floutés, ok ? Comment tu as un objet qui parle si tu n'es pas magicienne ! Elle l'avait peut-être volé. C'est ça qu'elle faisait. Elle tendait des pièges pour les jeunes beaux mages innocents et leur volait leurs objets magiques et leurs grimoires ! Ça se trouve elle était de mèche avec ces gobelins !

« De la même manière que je me suis retrouvée avec un dragon-fée sans colonie : par hasard. » Une réponse un peu vague, mais elle ne voyait pas de raison d’être plus détaillée. D’autant plus qu’Aisling pourrait ne pas apprécier un rappel du temps où elle n’était qu’un objet parmi tant d’autres au milieu d’une antichambre abandonnée.

Hmmmmmmmmmmmmm... "par hasard", hein ? Navi aussi trouvait des ingrédients rares et/ou précieux "par hasard". T'en as encore, des compagnons de voyage trouvé "par hasard" ? Question de savoir s'il devenait vraiment fou la prochaine fois qu'il entendait encore une voix sortir de nulle part.

« Aucun qui voyage avec moi pour le moment. » Ses enfants étaient partis faire leur vie elle ne savait trop où, même si deux d’entre eux correspondaient à la description « rencontrés par hasard ».

Oui, elle les avait sûrement gardé dans sa cave à magicienne "par hasard". Je vois, je vois. Il lui fit un clin d’œil pour sous-entendre qu'il comprenait parfaitement ce qu'elle voulait dire. Haha, ces mages qui parlent en énigmes ! Classique.

Aux yeux de Moira, ce qu’elle venait de dire était parfaitement clair et dépourvu de sous-entendus, donc elle ne comprenait pas trop d’où sortait ce clin d’oeil (un spasme musculaire, peut-être ?) Pim, lui, butait sur autre chose : « Tu vois quoi ? » Le ciel, probablement, vu sa position actuelle.