Comme à chaque repas, ils attendirent que tout le monde soit arrivé avant d'entamer la prière. Pasha rapprocha ses mains au-dessus de la table et ferma les yeux comme les autres garçons (et les quelques filles) quand leurs voix se joignirent l'un à l'autre. La prière se termina avec un "Amen" collectif, et le repas pouvait commencer. Le regard de Pasha se tourna immédiatement vers Klyde.

Ça lui faisait toujours bizarre d'entendre un écho féminin dans ses paroles, la femme priant en même temps que lui d'une voix douce. Elle n'hésitait jamais. Et l'attention soudaine de Pavel était bien trop calquée sur son {Mange Trésor, tu dois reprendre des forces} pour qu'il ignore l’assiette devant lui, même s'il n'avait pas spécialement faim. "Je vais manger, promis" essaya-t-il pour rassurer l'autre garçon sur ses intentions.

Pasha hocha la tête, satisfait, et prit lui-même sa cuillère. Les repas n'étaient jamais vraiment très extravagant, ni même appétissant, mais toujours nourrissant. Pasha n'était pas parti au lit avec un creux dans l'estomac depuis qu'il était tout petit. Il y avait eu des périodes de jeûne, bien sûr, mais en temps normal une soupe et un morceau de pain était assez pour le sustenter. Si tu as faim, dis-le moi.

La Sainte rayonnait. Littéralement. Il pouvait sentir toute la reconnaissance qu'elle avait envers Pavel pour son soutient et c'était très dérangeant d'être sujet à une émotion qui n'était pas de lui. Surtout une émotion comme celle-ci. Avec précaution, Klyde entreprit de se nourrir lentement avec sa main valide et hocha la tête. "Mais toi aussi tu dois manger" dit-il d'une petite voix. "Pour prendre soin de toi."

En effet. Mais j'ai plus de force que toi. Energie, voulait-il dire. Plus d'energie. Si tu en as besoin plus que moi, pourquoi je ne partagerais pas ? Il lui tendit son bout de pain, des points d'interrogations dans les yeux.

Il n'avait pas la réponse. Pas devant une telle logique. {Remercie-le} intervint la voix d'une manière si directe qu'il réprima un sursaut. "M-merci" dit-il après sa légère frayeur. Son propre regard passa de Pavel, à son morceau de pain et au sien qu'il n'avait pas encore touché. "Je finis avant mon mien, je verrais après si j'ai encore faim." Inutile de prendre ce qu'il n'avait pour l'instant pas besoin, ce serait gâcher. "Merci."

Il hoche la tête parce que c'est plus simple que de lui dire "De rien". De la politesse étrange dont il ne comprend pas le but. S'il l'avait proposé, ça va de soit qu'il ne lui en voulait pas. Pasha finit sa soupe en silence. C'est quand d'autres voix commencèrent à se lever dans de doux murmures qu'il osa parler aussi. Comment se passe ton entraînement physique ?

Tu trouves ? Il afficha un sourire timide à son tour. Il faut une sacré force pour bien lancer les dagues. Ca l'étonnait d'un petit comme lui. S'il continuait à s'entraîner dessus, il allait devenir une arme redoutable. Je préfère le fusil. L'odeur de la poudre et du plomb.

Parler avec quelqu'un avait dû lui ouvrir l’appétit. C'était la seule explication logique qu'il se donnait (loin du stress quotidien qui lui nouait en permanence les entrailles). Aussi, Klyde entreprit de prendre une partie du pain de Pavel pour continuer d'agrémenter son restant de soupe. "Je sais viser mais j'ai pas encore la force. Elles s'enfoncent pas beaucoup dans les cibles" avoua-t-il. "Dis, tu es bon avec les fusils ? Je n'y arrive pas bien..."

PS:

Je ne suis pas le meilleur, loin de là, mais je me débrouille. Pour le moment c'était l'essentiel. Tu bloques avec quoi ? Juste viser ? Viser avec un fusil lui semblait bien plus simple que de viser avec un couteau. Moins de choses à calculer. Comme le trajectoire, par exemple, qui était beaucoup plus prévisible avec les pistolets.

HRP:

Il te faut peut-être un autre modèle, suggéra-t-il. Je n'ai pas immédiatement trouvé un fusil qui m'allait bien non plus. C'est très personnel comme choix. Son regard était lointain. Comme s'il était perdu dans une image du passé.  Si tu veux, je peux peut-être aider avec la sélection. Ton prochain entraînement est quand ?

Pourquoi donc ? Le Seigneur nous fait apprendre tous les jours. Jésus même a instruit son peuple à plusieurs reprises. Il secoua la tête. Dans deux jours alors. Je demanderai la permission au Frère Oleg. S'il recevrait son accord, il irait chercher le petit de son dortoir le jour-même.

HRP:

Un sourire sincère illumina le visage de Klyde, faisant pétiller ses yeux clairs. "J'ai vraiment hâte de devenir meilleur." Son impatience fut accentuée par une houle de satisfaction dans un coin de son esprit. La femme aussi semblait attendre ce jour, bien qu'elle ait une préoccupation plus urgente. {Tu y parviendras plus aisément si tu guérissais enfin, Trésor.} "Oh", fit Klyde en revenant à lui. "Elle dit que je dois me soigner avant."

Il avait besoin d'une bonne seconde avant de se rappeler qui était cette "Elle". La voix dans sa tête. Cette Elle-là. Oui, en effet. On est bien plus performant quand on est en bonne santé. Cependant, les démons profitent de nos faiblesses. Que ferais-tu si tu dois te défendre contre un démon dans cet état ?

Il hocha la tête. Autant t'habituer à cette situation. C'était sa propre philosophie. Pasha n'était pas médecin. Il avait aucune connaissance médical en dehors des traitements basiques qu'on lui avait appris ici. Du dépannage à la dernière seconde. Fort possible qu'il puisse empirer la blessure en s'entraînement. C'est pas une chose qui lui traversait l'esprit.

Ca restait étrange de le voir débattre avec son propre esprit. Pasha se demandait combien de temps La Voix allait rester avec lui. Le temps qu'il trouve sa propre voix ? Plus ? Je sais pas, lui dit-il pour répondre à sa question. Mais je peux lui demander. Et à la vue du réfectoire presque complètement vide à present... Je viendrais te chercher dans le dortoire demain. Après la prière.

Pasha avait bien dormi. Une nuit sans rêves en était une bonne. Le brouillard dans sa tête commençait à dissiper vers le petit-déjeuner et avait complètement disparu après la prière commune.  Etant enfin prêt pour les épreuves du jour, Pasha prépara donc le terrain que lui avait confié Frère Oleg pour une heure avant de se diriger vers le dortoir de Klyde. Son protégé. Pour le moment.

Il s'arrêta dans l'entrée de porte. Son visage n'était pas visible à cause du contre-jour, mais sa chevelure bien rousse trahissait toutes surprises. Tu es prêt ? Pas le choix de toute façon. Il fallait toujours être prêt.