Le temps s'écoule ainsi, et Lifen est presque surprise lorsqu'Adrian Vassilievitch signale la fin de la leçon. "Je vous remercie." répond-elle néanmoins, polie qu'elle est. "J'en aurai besoin je crois... quelle phonétique étrange." Elle tend la main vers son nouveau chocolat, un peu oublié dans la passion de la leçon.

"Pratiquement dix ans. Je ne suis de retour à Moscou que depuis quelques semaines." Répond le jeune homme tranquillement. Il a bien saisi qu'il faudra adopter de nouveau horaires plus propices à leur leçon et réfléchit donc à un moyen de concilier cela avec sa véritable activité professionnelle...

Elle hoche doucement la tête. "Le mal du pays devait se faire fort, parfois." Shanghai lui manque, parfois. Sa famille, souvent. Les lettres et le télégraphe ne remplacent pas la vue et l'ouïe.

"Non. Je ne suis pas né à Moscou. J'y ai simplement passé ma jeunesse, six ou sept ans. Elle ne m'a pas vraiment manqué." Répond Adrian tout en buvant ce qu'il reste de son chocolat à la crème, la nostalgie ne l'étouffant pas visiblement.

Elle n'est pas née à Shanghai non plus. Il est trop tôt pourtant, bien trop tôt pour parler de tout ceci. Il n'en sera sans doute jamais temps. Elle se contente d'un nouvel et infime hochement de tête. "C'est une chance que de pouvoir se tourner vers l'avenir, aussi longtemps que l'on n'oublie pas son passé."

"Je n'oublis rien... Même si parfois j'aimerais, mon esprit n'a jamais su le faire." Qu'il répond, son visage se refroidissant un peu. Puis il se détend rapidement en finissant son chocolat. "Comment souhaitez vous procéder pour les prochaines leçons ?" Enchaîne-t'il ensuite.

Il calcule, ça va vite. "Oui, je peux me rendre disponible à cet horaire, mais nous n'aurons pas le temps pour une leçon de chaque, peut-être devrions nous alterné entre les vôtres et les miennes si nous devons convenir de cette tranches horaires."

"Je pense que ce sera nécessaire." commente sobrement Lifen. "Si de nouveaux horaires se libèrent, je vous ferai prévenir dès que possible. Avons-nous un accord ?"

"En effet. Nous l'avons. Que dois-je prévoir pour cette séance ? Mandarin ou Français ? Je vous laisse le choix." Répond-il alors.

"Parfait." Elle réfléchit à peine. "Nous avons terminé par le français, continuons avec le mandarin."

Il acquiesce, satisfait, et repose sa tasse vide. "Souhaitez vous que je vous raccompagne jusqu'à votre ambassade ? Les rues de Moscou ne sont pas toujours sure à l'approche de la nuit." Qu'il propose avec courtoisie.

"Je vous remercie de votre offre, mais je craindrais d'offenser votre bon goût en vous faisant traverser certains quartiers." Comment réagira-t-il ?

"Ne vous inquiétez pas de mon avis. J'ai traversé ces quartiers durant ma jeunesse sans m'offusquer de leur laideur ou de leur beauté. Je souhaite juste m'assurer que vous puissiez rentrer sans encombre." Qu'il répond. Le bon goût ? Qu'est-ce que c'est...?

"Parfait. Si vous voulez bien m'attendre un instant." Il se lève en ramassant sa sacoche et se rend à l’intérieur du café, sans doute pour régler la note de façon polie et loin des yeux de la dame. Il en ressort quelques minutes après et rejoint la chinoise, lui proposant son bras avec courtoisie pour la raccompagner. "Si vous êtes prête ?"

Elle veut bien. Lifen n'habite pas à l'Ambassade même, mais ne tient pas pour autant à lui donner son adresse. Il en sait bien suffisamment. Elle finit de ranger ses affaires et se redresse posément quand revient Adrian Vassilievitch, posant sa longue main fine sur le bras offert. "Avec plaisir, je vous remercie."

"Je suis contente que vos attentes n'aient pas été trompées." répond-elle poliment. C'est vrai. "J'ai très peu enseigné également, mais je n'ai pas à me plaindre de la façon dont vous m'avez transmis votre savoir. J'espère pouvoir continuer à en bénéficier." Elle observe ses attitudes, ses gestes, sa tension. Elle observe la rue, les rares âmes qui la hantent. "Est-ce votre goût des voyages qui vous a déjà conduit en Europe ?"

"Il est toujours difficile de changer son mode de vie." constate Lifen. "Puis-je demander quels services vous ont amené à travailler dans tant de pays ?" s'enquiert-elle toujours poliment, comme si la chose était de peu d'importance, ou bien moindre que les ruelles qu'elle scrute de son regard froid et mobile. En réalité la réponse l'intéresse grandement.