Nano. RolePlay

Rappel du premier message :



Le prêtre avait pris sa journée en prétextant une virée en forêt dédiée au gribalka. Il comptait de toute façon revenir à l'église avec suffisamment de champignons pour les distribuer aux plus démunis de sa paroisse. Ses années en campagne lui avait donné une sacrée expérience en chasse aux champignons !

Mais ce qu'il avait omis de dévoiler, c'était qu'il ne comptait pas les chercher en tant que Père Mikhaïl Azarov mais en tant... qu'un banal hibou harfang. C'était la première sortie sous sa forme animale qu'il se permettait depuis son retour à Moscou et il devait avouer que les sensations lui avaient manqué. Cette liberté ! Cette simplicité ! Cette exultation ! Que Dieu lui pardonne d'avoir ainsi laissé de côté sa prudence...

Micha avait donc laissé ses vêtements soigneusement pliés dans le panier à champignons, le tout habilement caché dans un buisson, et il s'était envolé dans son habit de neige et de nuage pour aller virevolter dans la douceur d'un ciel sans l'une ni l'autre.

Gentiment, le harfang allège son vol puissamment inaudible pour laisser son compagnon s'installer sur son dos aux douces plumes. Il s'élève ensuite plus haut, passant la barrière des nuages, pour se laisser porter par le vent alors que la forêt s'étale en contrebas.

Presque surpris de le voir coopérer, l'oiseau noir, audacieux mais moins endurant que le hibou, attrapa cette opportunité au vol. Bien plus petit que son compagnon, il put s'accrocher dans son dos sans gêner le mouvement de ses ailes. Mouvement assez lent, qui malgré le vent lui permit de s'installer dans les plumes blanches. Sa gorge émit un son rauque et doux.

Un roucoulement amusé roule sous les plumes du harfang qui maintient son vol plané agréable pour ne pas secouer son passager. Mais quand un courant d'air lui chatouille les rémiges, il ne peut pas se retenir de le suivre, laissant le vent l'emporter dans son étreinte dansante.

Les ailes du hibou s'inclinèrent, les portant tous deux dans le vent, qui d'un coup, força. L'oiseau noir poussa un cri euphorique, grisé par la vitesse et le mouvement. Envahi par l'excitation, l'intrépide ouvrit ses propres ailes, jouant la fille de l'air. Mais bien vite il décrocha, et l'ivresse devint détresse. Il fut emporté dans le tourbillon, trop puissant pour qu'il puisse déployer correctement ses faibles ailes, incapable de rétablir son assiette. Il chutait.

Un hululement de détresse secoue le harfang en voyant son passager chuter. Il profite d'un courant descendant pour piquer vers le drongo. Une ombre blanche recouvre l'éclat du soleil alors qu'il tombe serres en avant sur l'oiseau. Mais elles se resserrent avec douceur, quoique une fermeté et une secousse nécessaires, et les battements silencieux amortissent la chute dans un arbre. Sitôt qu'ils sont en sécurité, le harfang roucoule vers le drongo, inquiet.

Son cri s'épuisa alors que les serres du prédateur blanc se refermaient sur lui. Le hibou put sentir sous ses serres le battement frénétique du cœur minuscule de l'oiseau. Il tendait à se calmer lorsqu'il le déposa en sécurité. Vacillant, l'imprudent volatile replia ses pattes sous lui pour éviter de basculer. Son ventre contre le bois assura son équilibre, et il commença à lisser nerveusement ses plumes enchevêtrées.

Le bec du harfang s'approche du drongo pour le palper et vérifier que rien n'est cassé. Ses plumes se gonflent alors qu'il hulule de mécontentement, souhaitant des mains, mais étant trop haut dans l'arbre pour se retransformer ; sa forme humaine n'a pas encore appris l'équilibre sur une branche... Mais il cesse rapidement pour roucouler à nouveau, rassurant.

Son emportement avait rendu son plumage particulièrement hirsute, il était évident qu'il ne pouvait plus voler sans y mettre un peu d'ordre. Mais l'oiseau se recroquevilla encore plus sous la réprimande. La tête enfoncée dans ses épaules, il avait cessé de bouger.

Le petit oiseau a clairement du mal à se remettre de ses émotions. Voyant que ses roucoulements ne suffissent pas à le rassurer, le harfang s'envole jusqu'à la tâche orangé perdue au milieu de feuillages. Le bec de l'oiseau se tortille de curiosité. Une citrouille en pleine forêt ? Une courge sauvage plutôt, toxique. Le harfang hulule en secouant la tête et part chercher autre chose. Il revient près du drongo avec le bec garni d'une épaisse branche aux baies juteuses. Son bec semble même sourire !

Un timide croassement fit office de remerciement au hibou attentionné. Mais il ne toucha pas aux baies. A la place, il reprit son travail consciencieux consistant à remettre ses plumes une à une à leur place.

Peu habitué à cette forme, le harfang ne peut retenir le gonflement de ses plumes alors que son offrande est refusée. Mais il est patient et prudent. N'insistant donc pas, il entreprend aussi de se lisser les plumes. Ou essaye. Et s'emmêle le bec.

La toilette du hibou était vite devenue étrange, et l'oiseau se laissa distraire de son propre ouvrage. Il observa le manège de son comparse, avant que son œil ne s'éclaire d'une lueur de compréhension. Il se redressa alors et fit un pas vers lui, usant de son propre bec pour défaire l'amas de duvet qui handicapait l'oiseau de proie, empêtré dans un tourment dérisoire.

Une fois libéré grâce à l'action de son comparse plus petit, le harfang manque de choir avec sa tête qui part en arrière brusquement. Ses serres énormes s'accrochent à l'arbre qu'elles lacèrent sous les touffes de plumes qui cachent leur brillant acéré. "Kroow-gogo." hulule-t-il doucement en tiraillant amicalement les plumes de la tête du drongo.

La démonstration affective ne le fit pas fuir, cette fois, et l'oiseau baissa légèrement la tête, laissant faire son compagnon.

Kruuu gwao.

Puis il avança la tête, poussant légèrement du sommet de son crâne dans le plumage épais du harfang.

Il y a là une masse plumeuse agréable pour y perdre la tête. Le harfang roucoule, attendri, et ne bouge pas de sa place, même si l'envie de voler le démange toujours. Le prêtre au fond de lui a toujours été un homme de patience.

La tête du drongo s'enfouit généreusement dans les plumes enneigées avant de s'arrêter. Petite tête dans la masse duveteuse, il y frotta délicatement son crâne, profitant ostensiblement de l'immobilité du rapace pour se rassurer. Quand il redressa enfin la tête, il fixa son regard argenté dans les yeux dorés de son compagnon, et roucoula doucement. Puis ouvrit légèrement les ailes.

La tête du harfang se penche de droite à gauche alors qu'il réfléchit au sens des actions du drongo. Il veut retourner voler ? Ah ! Courageux ce petit oiseau. Toujours remonter en selle après une chute. Ici, dans les courants d'air. Hululant de joie, le grand rapace ouvre ses ailes et reprend son envol.

Ouvrant plus largement les ailes, l'oiseau n'hésita pas une seconde avant de s'élancer à la suite de son compagnon. Il resta cette fois dans son sillage, s'abstenant de la moindre acrobatie. La portance du rapace lui demandait toutefois moins d'effort, plus apte à suivre les courants aériens, là où les petites ailes noires devaient battre sans relâche.

Le harfang se laisse aller à l'instinct du vent, tournoyant et virevoltant au gré de ses bises et de ses embrasses. Mais il sent de plus en plus une pensée insistante au fond de son esprit qui le pousse à revenir au sol, à son panier de champignons et à sa vie humaine. Le temps file et il n'est pas assez animal pour l'oublier.

Ne pas faire de cabriole ne signifiait pas suivre aveuglément, et l'oiseau prenait parfois des raccourcis quand les circonvolutions de l'oiseau de proie lui permettait d'anticiper son point d'arrivée. Il volait ainsi en sa compagnie sans manifester de signe de fatigue. Lui aussi, regardait de plus en plus fréquemment vers le sol.

Pressé par la pensée qu'il est l'heure de rentrée, le harfang vire de l'aile pour amorcer sa descente délicate dans un buisson proche de son panier.

Pour la énième fois de la journée, Micha ressortit de la broussaille en époussetant les pris de ses vêtements et les feuilles de ses cheveux. Il prit le panier, vérifiant qu'aucun invité surprise ne s'y était glissé, et leva les yeux vers le drongo. "Je crains de devoir rentrer, mon ami. As-tu quelque part où dormir en sécurité ?"

Et une fois encore, le drongo avait suivi le prêtre au plumage blanc, jusqu'au moment où il disparut dans les buissons. Il accueillit le retour de l'humain d'un croassement léger, sautillant de branche en branche pour se placer à sa hauteur, quoique la distance reste raisonnable.

Oui.

La réponse était nette, mais l'oiseau ne semblait pas avoir envie de quitter sa compagnie tout de suite.

"Je suis heureux de l'entende, mon ami." dit Micha avec un grand sourire, rassuré de savoir que l'oiseau zoothrope n'était pas abandonné seul à son sort. "Tu peux m'accompagner sur le chemin du retour si l'envie te prend mais, je t'en prie, sois prudent une fois aux abords de la ville." Son sourire tomba au rappel de l'intolérance violente de leur société.

Oui.

La réponse était brève, catégorique. L'oiseau battit légèrement des ailes sur sa branche pour les dégourdir. Il ne pouvait indiquer sa connaissance des dangers de leur société, mais se montrait prêt à suivre le prêtre.

"Très bien." Le prêtre assura sa prise sur son panier et prit tranquillement la route de son église, profitant des derniers éclats chaleureux du soleil qui amorçait sa descente. Il lui fallut une bonne heure pour retrouver les abords de la ville mais préféra tout de même continuer à pied plutôt que de prendre le métro, comme à l'allée, afin de ne pas perdre le drongo. Il évitait cependant de le regarder, même pour vérifier qu'il suivait toujours, car le risque de le mettre en danger était trop grand.