Monde de fous. Ce n’est pas comme si l’histoire ne regorgeait pas d’exemples montrant par A + B que créer une prison spécialement pour enfermer une partie marginalisée de la population et la retenir indéfiniment sans autre forme de procès n’était pas une bonne chose. Mais, apparemment, puisque les Etats-Unis étaient les « gentils » et « démocratiques », ça ne choquait personne. Monde de fous.

Les cheveux teints, ses marques dissimulées, Katja avait choisi la lâcheté en dissimulant sa mutation en-dehors des espaces sûrs. Elle ne tenait pas à être la prochaine victime des rafles anti-mutants dont parlaient les rumeurs. Elle serait plus utile à la cause libre qu’enfermée.

Si visuellement elle dissimulait sa vraie nature, en actions, rien n’était moins vrai. Elle avait rejoint une organisation d’aide aux victimes de discriminations, où elle était désormais une bénévole régulière. C’était un premier pas. Et elle avait renoué avec des frères et sœurs de la Confrérie. C’était un deuxième pas. Plus risqué, mais plus concret. Et elle refusait de rester passive alors que l’histoire se répétait une énième fois.

Enfin, l’heure n’était pas aux activités risquées mais concrètes. Avec une autre bénévole de l’organisation, Katja assurait la permanence à l’accueil de leurs locaux. Elles étaient chargées d’accueillir les visiteurs, qu'ils aient des questions générales, ou un besoin urgent d'aide.

John avait décidé de changer de MO. Ayant assez de ne rien trouver dans les ruelles remplies de détritus et de déchets humains, il décida qu'aller se jeter dans la gueule du loup serait décisivement meilleur que se dépérir dans ce cloaque.
Voilà maintenant qu'il était chez eux, et une jolie fille se tenait à l'accueil. "Ca vaut le coup d'essayer..." marmonna-t-il "Hum, excusez-moi, je..." fit-il semblant d'hésiter "...je m'appelle, John et j'aimerais me rendre utile." dit-il tout sourire.

Quand on parlait du loup : voilà qu’un visiteur arrivait. À première vue, il ne semblait pas être en situation de détresse urgente. Il venait donc probablement pour un renseignement. Les apparences sont parfois trompeuses, mais les soupçons de Katja furent bientôt confirmés par la question du visiteur. Elle répondit d’un sourire avenant. « Enchantée, John. Je m'appelle Katja. Toute aide est la bienvenue, est-ce que vous avez déjà fait du bénévolat ? » Sans doute aurait-elle dû commencer par demander s’il souhaitait aider comme bénévole ou faire un don, mais les donateurs avaient plutôt tendance à contacter l’association par mail ou téléphone.

Jusqu'ici, tout allait bien. Difficile de foirer son coup en disant "bonjour" cela dit. John ne pouvait se défaire de l'impression que tout le monde savait. Une impression seulement. Vraiment ? Alors qu'il combattait l'envie de s'en aller sans dire mot avant qu'il y ait de la casse, il répondit: "Ravi de vous rencontrer Katja. Je dois vous avouer que je suis nouveau dans... tout ça. Aider les gens. J'ai toujours vécu comme mon oncle: "Les puces dans les moteurs sont bien plus effrayantes que les mutants." qu'il disait. C'est un garagiste. Mais j'ai décidé de changer ça... donc..."

Il avait l’air un peu mal à l’aise, faisant deviner à Katja qu'il n’était pas un habitué du bénévolat. Et pour cause, vu sa réponse. Eh bien, il y avait une première fois à tout, et elle comptait bien encourager la démarche estimable de mettre la main à la pâte. Elle nota toutefois de ne pas lui confier immédiatement la première ligne, pour éviter d'éventuelles maladresses. « C’est une démarche courageuse. Vous voulez un aperçu des activités de l’association pour commencer, ou passer directement aux questions pratiques ? »

Le demoiselle qui lui parlait diligemment semblait être un peu plus jeune que lui. Jolie, elle était bien apprêtée et un fort joli foulard ceignait son cou, lui conférant un air de sérieux et de professionnalisme. Une sensation presque viscérale naquît alors chez John; "S'agit-il d'un entretien d'embauche ? car je n'ai jamais été retenu..." "J'aimerais commencer par le début s'il vous plaît, Katja, car j'ai peur d'être trop nouveau en la matière pour savoir ce que je veux et peux faire. Un aperçu me conviendrait parfaitement... sans vouloir imposer", déglutit-il.

« Au contraire, on est toujours ravis de voir de nouvelles têtes. » Amicales. « Nos activités sont assez variées : sur le long terme, on organise des conférences, des marches et d’autres activités pour militer contre les discriminations au sein de notre société. Nous avons également des actions plus concrètes et immédiates, comme un restaurant caritatif pour les personnes démunies et les sans abris, et quelques places d’hébergement pour sans-abris, ainsi qu’un programme d’aide pour l’accès au travail et au logement. » Des actions très éclectiques, en somme, mais toutes orientées vers le même but : protéger les plus vulnérables de la société.

« Je vois. Je pense que je trouverai ma place dans les conférences et les marches contre les discriminations dans un premier temps. C'est ce qui me semble le plus raisonnable étant donné mon manque d'expérience. » John hésita ensuite puis, se demandant s'il n'allait pas vendre la mèche dès le début, regarda la jeune femme dans les yeux, plein de sincérité: « ...Dites-moi Katja, ne trouvez-vous pas que ce... second mouvement des droits civiques... contrairement au premier où Dr. King prônait la non-violence soient en faveur de gens qui ont un pouvoir énorme ? qu'ils pourraient, eux, montrer leurs crocs ? »

Dans les conférences peut-être, mais comme aide logistique. Katja ne comptait pas confier le plaidoyer lui-même à un nouveau-venu qu’elle connaissait mal. D’autant plus vu son dernier commentaire. « Un pouvoir énorme ?! Je ne sais pas de qui vous parlez, mais les mouvements de défense des droits civiques revendiquent justement le respect des droits des personnes et groupes marginalisés, discriminés et, souvent même mis en danger. Le fait de devoir faire des pieds et des mains pour faire respecter ses droits les plus fondamentaux est bien la preuve d’une absence totale de pouvoir. » Ou même de considération basique.

Pensant avoir créé un malentendu, john répondit: « Ce que je veux dire, c'est que les mutants, s'ils existent depuis longtemps, ne sont devenus visibles que récemment, or, toutes les institutions sont déjà établies avec l'idée de l'humain en général. Il y a comme un... privilège de séniorité, il faut donc peut-être agir autrement qu'en imitant la marche des droits civique d'antan, établir un rapport de force, faire du pouvoir de lancer des rayons lasers un pouvoir politique. » Mais ce n'est qu'un simple avis et j'ignore comme ça pourrait se faire réellement, je vous prie de m'excuser si j'ai dit quelque chose qui vous a heurtée.

Récemment ?! Un privilège de séniorité ?! Si Katja n’avait pas été en train de guider un nouveau-venu, sans doute aurait-elle explosé. Mais elle se retint bravement. « La violence n’est pas un argument politique, ni même un argument tout court. Ca ne servirait qu’à aliéner de potentiels sympathisants. » Comme moyen d’auto-défense, par contre… Et il était possible que Katja interprète le concept d’auto-défense de manière un peu large. Elle rêvait par exemple de trouver un moyen de faire exploser cette foutue prison anti-mutants qui rappelait les heures les plus sombres de l’humanité… Mais ce n’était pas encore à l’ordre du jour.

John sentait une certaine frustration chez la jeune femme bien qu'elle n'en laissa que peu paraître. Il ne s'était pas attendu à vraiment convaincre qui que ce soit. D'après lui, il n'y avait pas une multitude de façons de faire avancer les droits des mutants. En cela, seule une différence de degré séparait le chauve et le dégénéré métallique. Il fallait d'abord se demander comment sauvegarder les humains avant de se demander s'il fallait donner des droits à d'éventuels ennemis. John changea le ton de la discussion en injectant un peu d'enthousiasme: "On continue ?" dit-il en souriant.

Lancée sur un sujet qui lui tenait à cœur, Katja aurait pu continuer pendant longtemps si celui qu’elle guidait n’avait pas redirigé son attention, justement, sur la visite guidée. En temps normal, elle aurait sans doute refusé un changement de sujet aussi évident, mais elle ne tenait pas à faire fuir un bénévole potentiel par sa trop grande passion. « En effet, je digresse. Vous voulez un tour des locaux pour vous faire une meilleure idée de nos activités, ou peut-être que vous avez des questions pratiques à propos de notre fonctionnement ? »