Rappel du premier message :



Isaak avait commencé l’école. Au grand désespoir de Yeva, elle n’avait trouvé aucun argument susceptible de faire changer d’avis son mari, ni même de repousser l’échéance. Et pour cause : un garçon de l’âge d’Isaak ne pouvait décemment plus passer tout son temps dans les jupes de sa mère. Même si celles-ci protégeaient un secret qui pourrait lui coûter la vie.

Impuissante, elle s’était résignée à faire face à cette nouvelle difficulté. Elle continuait de s’assurer que son fils parvenait à repousser le démon qui l’habitait, veillait à ce qu’il soit attentif au moindre signe avant-coureur de manifestation pour éviter son apparition… Et elle écoutait le récit de ses journées, bien sûr. Heureusement, Isaak semblait ravi son école : il parlait avec enthousiasme de ses cours et ne semblait pas avoir de problèmes avec ses camarades.

Au fil des semaines, alors que Yeva craignait que tous ces changements fassent ressurgir le démon qui hantait son fils (il avait tendance à plus se manifester lorsqu’Isaak subissait de fortes émotions), elle observa la plus longue période sans la moindre apparition démoniaque. D’abord une semaine, puis deux, puis trois… Lorsqu’un mois passa sans la moindre plume en vue, elle se mit à espérer que quelque miracle ait délivré son fils pour de bon. En guise d’action de grâce, elle décida de l’emmener avec elle le samedi suivant, pour une visite à l’orphelinat d’un couvent soutenu par sa paroisse.

L’interpellation cingla Yeva, prise en flagrant délit d’inattention à un membre du clergé. Si elle avait été une enfant, ses doigts auraient senti passer ce rappel à l’ordre. « Je m’excuse, ma Sœur. Je suis… un peu sujette à l’anxiété, je le crains. Attribuable à une adaptation trop tardive à la capitale, d’après ce que j’ai compris. » C’était du moins une des explications qu’un médecin avait un jour sortie. Comme si ces illustres savants s’intéressaient réellement aux états d’âmes d’une simple et fragile femme. Qu’importe, leur superficialité l’arrangeait. Tout comme leurs stupides diagnostics qui étaient autant d’écrans de fumée bienvenus.

"Ne vous excusez pas. Cette anxiété vous habite dès que je vous ai vu. Je peux avancer qu'elle ne s'en ira pas tant que vous ne l'auriez pas pris en considération. Peut-être puis-je vous y aider. Avez-vous identifier ce qui vous préoccupe ?"
Ruf pouvait proposer à son interlocutrice de ralentir le rythme, de se recentrer sur elle-même et ses désirs profonds ou au contraire de prendre le taureau à bras le corps. Dans tous les cas, la première chose est d'en parler.

Elle allait répondre, mais un bruit de chute l’alerta. Réflexes de mère obligent, elle était sur ses pieds avant même de s’être tournée vers Isaak, et à ses côtés un instant plus tard. « Maman… » Oh non. Elle connaissait trop bien cette petite voix paniquée. Sous ses doigts, une manche de son fils était dangereusement vide. Seigneur, aie pitié, pas ici, pas maintenant. « Tout va bien, plus de peur que de mal. » Elle se voulait calme, mais elle aussi avait la voix vacillante. Pour le moment, elle cachait Isaak aux yeux de la religieuse, mais il suffisait que celle-ci se lève pour qu’il arrive dans son champ de vision… Seigneur, protège-le.

Ruf a entendu la petite voix de l'enfant et l'absence totale de sérénité dans la voix de la mère. Si l'enfant voulait aller aux toilettes, le problème n'en serait pas un. Ce n'est pas la capitale qui effraie cette femme, c'est ce qui peut arriver à cet enfant est la révélation de la sœur. Il lui semble que la mère cache son enfant d'elle… Seigneur, aide-moi.
Différentes tentatives se bousculent dans la tête de la nonne qui finit par attendre poliment ce que va dire son interlocutrice.