Les voitures roulaient, ici, avant. Maintenant c’est comme leur moteur, froid. Ça fait des jours que j’ai rien croisé, mais j’ai vu d’la fumée au loin, depuis une colline, en face, dans la forêt. Un vivant. C’est risqué. J’ai faim. Faut qu’je troc. Mes mitaines me suffisent pas, j’ai froid. J’rentre enfin dans la forêt. Y’a des pins partout, d’la neige partout et mes pieds s’enfoncent là où la bruyère soutient la poudreuse. Alors j’râle, en russe, parce que c’est plus simple.

La descente depuis l’nord a été rude, ici j’me sens plus à l’aise, étrangement. Sauf que j’ai toujours froid et mon écharpe me suffit pas.

Au moins j’approche du but, j’crois sentir la fumée, ou j’deviens folle. Un clin d’œil, le canon brûle, la balle siffle, elle passe à quelques centimètres de mon bras, je m’écroule. Et merde. J’suis derrière un arbre écroulé, je sors le fusil. Je dégoupille, je goupille, la balle glisse dans la culasse comme mes pompes sur la glace. T’es où enfoiré ?

Aujourd'hui, je patrouille en forêt. Cela me change de la ville nauséabonde où les zombies sont légions. Ma chienne est aussi toute contente. Je ne dois pas pour autant me relâcher ! Le camp est le seul endroit sécurisé à 90 %. J'y pense tout juste qu'un coup de feu me parvient. Je me cache sans tarder, Eyra sur mes talons. Je prépare aussitôt mon arc. C'est une arme archaïque certes mais les flèches sont plus faciles à faire que les balles.
Un autre coup retentit.

Aller, putain, t’es où ? J’rampe comme une crevette à l’agonie, mon paquetage me brise les mouvements. J’arrive au bout du tronc, je pointe le canon et j’la vois, cette putain d’silouhette. Je tire sans hésiter. Elle disparaît derrière un arbre dont l’écorce vole à cause de ma balle. J’me redresse et je sprinte derrière un meilleur couvert, un pin, alors qu’une autre balle me frôle. J’ai l’cœur qui bat à mille à l’heure, mais ça fait cling quand je recharge et ça m’excite.

La chose prudente à faire est de rebrousser chemin et de ne pas se mêler des ennuis mais j'aurais l'air fine avec un rapport aussi minable que "j'ai entendu des coups de feu là-bas". Non, il faut que je vois de quoi il retourne ! Mais prudemment. J'avance donc toujours à couvert. Eyra me suit aussi silencieuse qu'une souris. Je vois finalement une survivante. Pas le temps d'étudier ses vêtements, sa vieille pétoire est plus intéressante. Moi qui prenait mon arc pour archaïque ! Le sien est une pièce de musée. Soudain, nos regards se croisent.

J’me découvre, je tire, je cours. J’m’arrête derrière un nouveau bout d’verdure et j’reprends rapidement mes esprits. Pas l’temps. Y’ a un truc. « Par truc », une femme. Par « Y’ a », c’est la merde. J’la braque sans hésiter et j’ai à peine le temps d’lui gueuler dessus en russe qu’une nouvelle balle s’écrase sur mon couvert. J’baisse mon fusil, j’la regarde, elle bite rien à ma langue j’suppose, alors j’hausse les épaules en priant pour qu’elle comprenne qu’il faut s’tirer.

Une rixe entre deux survivants donc... Je suppose que ma reconnaissance est terminée, pas la peine de s'éterniser plus longtemps ! Je file mais dans une direction opposée à la poursuivie. On dit qu'on ne peut pas courir deux lièvres à la fois... L'autre m'a crié quelque chose, on aurait dit du slave... Pas le temps de s'appesantir que les tirs fusent. Il va bien arriver à court de balles cette andouille ! Je cours un moment. Je m'arrête. Pas de tir cette fois ?

Mais non, putain, mais pars pas toi ! Fait chier. Aller, j’tente ma chance. Je m’mets en joue, un tir, j’entends un cri, mais il est bref. J’l’ai surpris, pas touché. Du coup je sprinte vers la nana qui m’a surpris. Il a pas tiré. J’ai tellement faim qu’même l’adrénaline me suffit pas pour la couper. J’déboule comme une fusée en sautant au-dessus d’un rocher, elle est là et j’lui passe à côté, paniquée, faut qu’elle se bouge si elle veut pas s’faire descendre. Davaï ! Davaï !

Je n'entends pas les bruits pas diminuer... Elle me suit ?!! Mais pourquoi ? Est-ce que j'ai une tête de protectrice ? Avec mes cinquante kilos, c'est une blague ? À couvert ! Je me stoppe, Eyra fait de même. Pas le choix, je vise l'attaquant.
"Un pas d'plus et j'vous canarde, j'vous préviens ! que je gueule à plein poumons. Il a intérêt à être norvégien... "STOOOP !" J'insiste au cas où. Ce serait vraiment ma veine de tomber sur un redneck en pleine Norvège.

J'me suis pétée la gueule. J'fais d'mon mieux et j'me planque encore derrière un arbre. J'remets tout juste mon casque en place sur ma p'tite bouille que j'la vois, beuglante sur un type en face avec son fusil. Il beugle aussi, mais en pire. J'reste en retrait, je grippe la crosse. Il s'emporte. D'un coup y' r'dresse son canon, mon sang fait qu'un tour. Ça pète, il arrête de parler, il s'écroule. J'suis la coupable. 'blyudok.* Que j'maugrée.

*'foiré

Il insulte ma mère, quel rustre ! Mais je n'ai pas eu le temps de lui répondre, la femme vient de lui tirer dessus. Je l'observe et veille à ce qu'elle ne fasse pas de même avec moi. Qu'est-ce que je peux lui dire qu'elle l'interprète pas comme une menace ?
"Hello."

Les présentations d'enfer. J'aime pas tuer, j'ai jamais aimé ça, mais on est bien obligé. J'la regarde en mettant la sécurité. Méfiante, j'range mon arme sur mon épaule pour aller voir ma victime. Il respire encore, alors j'lui pousse son fusil pour le fouiller en dégageant ses mains suppliantes. Putain, allumettes, argent, cordes, j'm'en branle. Même pas d'balle pour mon fusil. J'me tourne vers la dame, en anglais. Nourriture ? J'ai faim. Je troque.

Elle range les armes, je la suis, prêtant toujours un peu attention aux alentours. Je comprends à son anglais coupé au russe qu'elle veut de la nourriture. Je n'ai pas sur moi hormis des rations de survie.
"Si tu veux de la nourriture, tu peux troquer au marché du camp." réponds-je en anglais pas trop dégueu.
Ma chienne s'avance et commence à renifler la tireuse.
"Si tu as de la valeur, je te montre comment chasser." j'ajoute.

J'regarde le chien comme un buffet à volonté, mais j'finis pas poser ma main sur son crâne pour le caresser timidement. Camp ? Où ? D'la civilisation, enfin, j'espère qu'ils sont pas cannibales comme les derniers. J'me redresse pour venir près d'elle, sans agressivité, puis j'lui tends la main, elle est gelée, mais j'peux la serrer. Nina, je peux payer si tu m'apprends. Je sais tirer, c'est déjà ça, mais j'ai pas la patience. J'suis pas une ennemie, j'me défends juste.

Bien malgré moi, je surveille la femme slave. Je me méfie des gens qui s'approchent de ma chienne en dépit de ses instincts. Un chien surveillé par son maître en vaut deux ? Elle ne semble pas savoir où est le camp militaire… vu qu'elle est étrangère, ça se conçoit.
"Le camp est dans la falaise. Difficile d'accès. Militaires. Avec quoi peux-tu payer ?"
Les promesses, c'est bien beau mais il va falloir montrer les billes.

Putain elle est pas conne. Et elle m’a à l’œil. J’peux pas trop lui en vouloir pour ça. Je retire mon sac du dos en faisant bien attention à pas faire de mouvements brusques. J’ouvre pour qu’elle voit bien. À l’intérieur, j’ai d’l’alcool, des bandages, des boites d’allumettes, pas forcément rempli d’allumettes, malheureusement et d'autres merdes. Puis j’mets ma main dans ma poche et j’sors un vieux paquet d’clopes… elles sont sèches, mais elles se fument. « Suffisant ? »

J'hausse un sourcil. Prête à vider son sac pour un bout de barbaque ? Et le lendemain ? Je n'ai fondamentalement pas plus besoin de bandages et d'alcool qu'une personne seule comme elle mais un marché est un marché.
"Je prends ton alcool contre l'assurance que tu ne me feras pas de coup dans le dos et pour les bandages, je peux t'apprendre à chasser ou te filer ma proie, au choix."
Quant au reste de son fourbi, elle le refilera à quelqu'un d'autre demain si elle veut.

J'ai quand même la dérangeante sensation d'me faire réarranger l'cul de c'qu'elle me dit... mais putain, j'ai faim. J'hoche la tête, mon alcool contre le camp, c'est tout c'qui compte. Pour le reste... Apprends moi à chasser, les bandages sont à toi. C'est du pile ou face, p't'être que j'vais en creuver d'une blessure à la con à cause de ça... ou p't'être que j'vais m'péter l'bide et en retrouver plus tard. J'en sors une clope tellement j'me sens baisée. On y va ?

"Très bien. Pas un bruit."
Pas le temps d'épiloguer, je me lance à tâtons dans une direction. Que pourrais-je lui apprendre ? Il faut que je vois comment elle se débrouille en discrétion. Je désigne le sol. Si mon élève est attentive, elle pourra voir des traces de lapins. Il faut un peu plisser les yeux. C'est l'occasion de lui apprendre quelque chose si ce n'est pas le cas.

Putain, regardez moi, accroupi à mater des patounes dans la neige... avec le nombre de balles qu'il me reste, elle a intérêt à être bonne prof. Instinctivement, je les suis à pas de louve... 'fin j'fais d'mon mieux, la neige et épaisse et cache les branches qui craquent sous mes talons. On avant comme ça jusqu'à un trou dans le sol. Un terrier. J'la regarde. Elle me regarde. C'est criblé d'traces de pattes, alors j'lui pointe un tracé du doigt et on suit à deux. Prions.

Je me place devant pour lui montrer comment se cacher. D'abord, vérifier le sens du vent, je mouille mon doigt et le lève en hauteur, j'espère qu'elle comprend. Quelques longues minutes plus tard, de l'herbe bouge légèrement, je désigne du doigt le mouvement.

Plus basse sur les appuis, pigé. Le vent... pour... l'odeur ? La balle ? J'hoche la tête, on s'en fout. Quand elle me désigne le mouvement, je sors mon fusil et je suis ses gestes. Tirer, je sais faire. En joue, je retire la sécurité d'mon fusil, le clic semble faire tellement de bruit. Et de l'herbe sort deux petites oreilles intriguées. J'tire sans réfléchir. Plus d'mouvement. On va voir, alors que la neige est teintée de rouge, le cadavre est là, j'l'ai dégommé.

Suis-je si douée que ça ou est-ce mon élève qui l'est ? Elle écoute et elle retient bien. À confirmer avec le temps mais ce ne sera pas mon problème. Ce n'est pas un hasard si elle a survécu jusque là. Je tente un mot en anglais ? Ou en norvégien ?
"Des questions ? Something to ask?"
En tout cas, le pauvre lapin est mort sur le coup, il n'y a donc pas de raison de l'achever et la viande aura meilleur goût.

J'crois qu'elle est impressionnée... c'était pas aussi compliqué qu'ça en avait l'air, mais j'ai la chance du débutant à mes côtés. Je choppe le lapin par les oreilles et j'l'accroche à une lanière de mon sac. Finalement, j'me tourne vers elle et bafouille un merci dégueulasse en norvégien... J'ai p't'être même insulté ses ancêtres sans faire exprès. "T'as des spots ? Pour la chasse ? Tu pourrais me montrer sur une carte ?"

Demander une carte à la carthographe du camp, ce n'est plus de la chance à ce stade. Je lui présente donc une ébauche vu que les cartes officielles sont au camp pour les autres tellement je les ai intégrées à ma mémoire. Elle peut voir des gribouillis que j'ai fait dans la matinée.
"Vas ici, ici mais pas là. Interdit."
Je lève le pouce pour les bons endroits et je fais de grands gestes piurrle dernier, je ne veux pas envoyer ma nouvelle apprentie à la mort. On n'a jamais assez d'alliés.