Rappel du premier message :




Il n'y avait pas de paroles, uniquement des notes longues et mélancoliques qui s'échappaient des lèvres pâles du jeune homme. Sur une terrasse encombrée par un enchevêtrement de tuyaux de plomberie de grande taille, à mi-hauteur des toits, Klyde chantait un air qui lui venait d'il ne savait où ; peut-être une mélodie du camp quand il était tout petit ou de l'époque qu'il avait oubliée quand il n'était rien sans Son secours.

{Tu as un public Trésor.}

Le Guide le savait, qu'il était observé. Des enfants des rues, se croyant discrets, l'espionnaient d'un point plus haut, à se chuchoter nerveusement des messes basses. Du moins quand une petite fille ne leur demandait pas de se taire avec un mouvement agacé de la main, apparemment peu ravie qu'ils gênent son spectacle en bavardage.

Mais Klyde s'en fichait. Il continuait de chanter d'une voix claire et posée bien trop noble et délicate pour l'apparence misérable qu'il affichait, le garçon n'avait pris grand soin dans son choix de tenue vestimentaire aujourd'hui. Son dos lui faisait de toutes manières bien trop souffrir pour courir les démons sur les toits ou donner le change à Maksim sans soulever de questions.

Le chant était un bon remède, apaisant son âme et son esprit et renforçant sa dévotion. Et puis, l'Ange en était satisfaite, c'était ce qui comptait le plus.

Des tombes de démons ? Ça n'avait pas de sens, ces créatures retournaient en enfer... Klyde secoua la tête, faisant rebondir ses boucles brunes d'une manière presque comique. "Ça me fera un public silencieux au moins" fut ce qu'il préféra dire. Mort, un démon n'était pas une menace. Ces tombes, qu'importe à qui elles appartenaient, ne le concernaient pas. Il prit garde à le pas marcher dessus pour atteindre la scène et se hisser sur les planches. "C'est grandiose..." souffla-t-il en se retournant, le nez en l'air.

La jeune femme hocha la tête. Imagine toi ce que ce doit être quand c'est neuf, avec les lumières partout, le public et les dorures... J'adorerais allez dans un théâtre ou un opéra qui soit en bon état. Elle avait quelques étoiles dans le yeux (enfin l’œil) alors qu'elle s'imaginait la chose. Puis elle se stoppa et haussa les épaules. Mais ce n'est pas notre monde d'orphelins des rues. Nous on a droit aux rats et aux coups de pieds des miliciens.

"On pourra y aller ensemble un jour si tu veux" sourit-il de nouveau. "Et même si que des couples peuvent y aller, porter une robe ne doit pas être difficile, je devrais y arriver..." Peter arriverait mieux à se faire passer pour une fille que lui mais mettre en doute la virilité d'un homme, il avait appris que ça ne se faisait pas. "Je n'ai jamais eu de soucis avec la Milice personnellement." Au contraire. "Il y a une chanson que tu aimes bien ?"

Peter étrécit son regard lorsqu'il parla de porter une robe. Elle n'était jamais très claire à son propre propos, mais ce gars était définitivement un mec. Pourquoi il... Bah. Franchement? Si un jour tu dégotte par je ne sais quel miracle le moyen de dégoter une paire de place pour de l'Opéra, et qu'il faut absolument que l'un de nous deux porte une robe... Ton effort aura été tel que je me sacrifierais pour porter la robe. Rire d'une idiotie pareil lui changeait les idées. Comme si c'était possible. Tu connais Katiusha?

"Je te remercie ! Une fille attire trop l'attention si elle est trop grande, ça serait en effet plus simple si c'était toi. Après j'ai la peau plus claire... et les yeux aussi..." Même s'il n'avait absolument rien contre les borgnes, au contraire, un petit côté séduisant... mais Peter avait les cheveux trop ternes, ça ne le mettait pas vraiment en valeur. "Je connais. Ce n'est habituellement pas dans mon répertoire mais j'ai dû la chanter à une soirée." Klyde dût prendre quand même quelques instants pour se rappeler les paroles de la chanson avant de se lancer. Le rythme choisi était plus lent que la version originale, plus... lyrique.

Ouaip... Un véritable enfant de cœur. Il avait beau prétendre le contraire il avait été dans un orphelinat géré par des bonnes sœurs, pas possible autrement qu'il ai apprit à chanter comme ça. Si c'était loin de la version chantée en cœur par les Loups ivres morts, cela s'en rapprochait suffisamment pour qu'elle soit éprise d'un peu de nostalgie. Elle s'adossa à coté de la porte derrière laquelle Clochette était cachée et lui tendit une main. L'enfant la saisit, pleurant en silence leurs larmes à elles deux.

Comme souvent quand il chantait, Klyde faisait - hélas - moins attention à son environnement. L'écho de sa voix était magnifiquement amplifié par le théâtre et même s'il n'y avait pas l'aspect solennel d'une église, le rendu lui plaisait énormément. Sur la fin du morceau, il accéléra le tempo pour un côté plus entrainant, donnant plus de cœur et de force aux paroles. Puis de nouveau le silence, les tombes immobiles et Peter dans la pénombre.

Son œil brillait légèrement lorsqu'elle s'approcha de lui pour applaudir doucement. Impressionnant. Pas exactement ce à quoi je m'attendais, mais tout de même impressionnant. C'était assez solennel pour accompagner une messe. Tu as du talent et je te suis reconnaissant de l'avoir partagé avec moi. Elle lui fit une légère révérence. Où donc tes pas vont te mener après ce jour? S'il n'était visiblement pas le plus malin, le garçon (ou l'homme elle n'était toujours pas sure) l'intriguait suffisamment pour qu'elle ait envie de le revoir.

Le compliment le fit rougir, ce qui se voyait plutôt bien chez lui. "Merci beaucoup et je ne sais pas. Je vis au jour le jour et comme je n'ai pas besoin de beaucoup, j'arrive à m'en sortir. Je n'aime pas être payé pour chanter alors ça me fait plaisir d'avoir pu l'offrir cette fois." Le sourire de Klyde ne dépareillait pas le tableau, un jeune homme élancé aux vêtements usés debout sur une scène de théâtre tout aussi esquintée.

N'hésite pas à repasser ici. Tu devrais être tranquille la plupart du temps. Et on pourrait s'y croiser. J'y passe également de temps à autre. Peu importe à qui sont ces tombes, tout les défunts méritent qu'on leur dépose quelques fleurs de temps en temps. Ou bien qu'on leur chante une chanson. Par un troubadour qui ne veut pas vivre de son art. Un comble de plus dans le personnage absurde qu'il était. L'image la fit sourire. Ce type était vraiment un paradoxe.

"C'est une bonne idée, je te remercie de m'avoir fait découvrir cet endroit." Grand sourire. "Tu veux une autre chanson ? Ou... discuter ? J'ai encore du mal à sociabiliser avec les gens." Et encore moins avec des personnes qui n'appartenaient ni à la noblesse, au clergé ou à la Milice (et sa rencontre avec Viktor restait très bizarre).

Elle sourit intérieurement, parvenant à garder un air détaché. Pourquoi pas discuter et... si tu t'en sens l'envie un peu plus tard recommencer à chanter en effet. Elle s'installa sur un bout de poutre effondré. Du coup, sociabilisons un peu. Tu veux me raconter où tu a grandis? Vu qu’apparemment ça n'était pas dans un orphelinat, je suis curieux.

"En fait... ce n'était pas réellement un orphelinat mais, en fait si peut-être, je ne connais pas la différence. J'ai grandi dans un prieuré et il y avait d'autres orphelins." Le seul orphelinat qu'il connaissait était celui de Sœur Ruf et il n'avait pas ressentit un grand écart avec le camp (outre les entrainements physiques). "J'ai cru comprendre que toi, tu... avais perdu ta famille ?"

Elle hocha la tête d'un air entendu. Des bonnes sœurs! Elle le savait. Enfin... Des moines, mais c'était presque pareil. Ouais... Ils ont été tués par un démon dans le corps d'un milicien. Elle se crispa, hésitant à raconter la suite. J'étais assez jeune... Je ne me souviens pas vraiment d'eux... Et j'ai tendance à éviter de fouiller ma mémoire durant cette période de ma vie... Elle se tut ensuite quelques minutes. Elle devait pas être douée pour sociabiliser non plus.

Oh. "Mes parents aussi ont été tué par un démon mais pour le coup, je n'en ai absolument aucun souvenir. Je ne sais même pas qui il était" se confia le brun. "Et je ne tiens pas à le savoir, ne t'en fais pas ! Je ne suis pas triste, ce que je n'ai pas connu ne peut pas me manquer et puis... je ne me sens pas vraiment seul donc ça va. Les enfants qui étaient sur le toit, ils vivent aussi dans la rue ?"

Elle hocha la tête. Notre monde n'est pas tendre avec les enfants de pauvres... En particuliers quand ces pauvres sont victimes des avidités des autres... La plupart d'entre eux ne vivent que de ce qu'ils peuvent trouver... Ou voler, bien plus souvent. La moindre source de distraction est bonne à prendre pour eux. Ça les change de leur vie misérable, au moins quelques instants.

"Je comprends. Je vis de la générosité des gens le plus souvent, les marchandes me trouvent trop maigre et me donnent des légumes ou des fruits qu'elles n'arrivent pas à vendre." Ce qui le gênait horriblement mais depuis le temps, il avait abandonné la lutte. "Je peux te dire lesquelles ou garder ce qu'elles m'offrent pour les enfants. C'est pour ça qu'ils étaient venus m'entendre chanter ? Une distraction ?"

Elle fronça les sourcils. Comme si des marchandes allaient nourrir les gamins miteux des rues. Les rendre dépendant d'une chose aussi peu fiable que la générosité serait une erreur... Ils risqueraient d'oublier comment faire pour s'en sortir autrement. Et puis ils sont des dizaines... On ne peut rien faire pour eux... Crois moi, j'y ai réfléchis un moment. Elle soupira. Même les envoyer du coté des orphelinats n'était pas une méthode fiable. Pourquoi d'autre l'auraient-ils fait?

"Je n'avais pas vu les choses comme ça. Ma faute, pardon." Lui n'avait jamais eu réellement à se soucier de sa nourriture, il aurait toujours de quoi manger. "Il est vrai que chanter ne sert qu'à divertir... je l'ai constaté depuis que j'ai quitté le prieuré. J'aimerai en faire quelque chose de plus beau, de plus..." Son regard glacé parcourait le vieux théâtre à l'abandon alors qu'il cherchait ses mots. "Que ça puisse réellement aider les autres."

Elle le regarda avec une certaine intensité, attirée par l'idée. Jusqu'où es-tu prêt à aller pour aider les autres? Et surtout quels autres en particulier? Parce que le monde est vaste et nombreux sont ceux qui ont besoin d'aide. Tu ne crois pas? Sa voix méritait plus que le cimetière de ses amis en effet. Mais les caves de la résistance n'étaient pas prêtes pour en faire l'usage. Loin de là. La LR n'était pas capable de comprendre la force qui résonnait dans cette voix.

{Le ton a changé} remarqua l'Ange en même temps que lui. Mais le Guide camoufla son constat par une moue studieuse. "Et bien... on m'a appris à aider mon prochain et ce n'est pas comme si j'avais beaucoup d'autres talents" réfléchit-il. "J'ai déjà donné des cours de chant aux enfants d'un orphelinat et je rends service quand je peux. En vrai, on m'a conseillé de découvrir un peu la 'vraie vie' avant de rentrer dans les Ordres... car hormis la prêtrise, je ne sais pas faire grand chose. Mais par chance, il semblerait que j'apprends vite !"

La notion d'église refroidit aussitôt Peter dont le ton se durcit un peu. Effectivement, découvrir le monde réel est une idée pertinente avant de vouloir rejoindre les prêtres. Il y avait une profonde amertume dans sa voix. J'ai appris de la pire des façon que des démons pouvaient se cacher partout, et en particulier aux endroits où on les attends le moins. Peut-être est-ce une composante de ces choses abominables que d'être fourbes et cruelles.

"Je pense que je serai un meilleur prêtre si je connaissais la vie des gens, que j'ai été à leur place avant, non ?" Klyde avait noté la dégradation dans le ton de Peter mais gardait un faciès et une attitude chaleureux. Et pourquoi parler de la sournoiserie des démons après avoir proposé d'aider autrui ? Soit il avait un grand ressentit envers ces créatures – ce qui restait logique après la mort de sa famille – soit Peter pouvait être un Guide. On était pourtant dans sa zone et celle de Pasha était proche. "Tu ne devrais pas vivre dans la peur des démons, c'est leur donner une trop grande emprise."

Peur? Son regard se planta dans celui de Klyde, il brulait de colère. Je n'ai plus peur des démons depuis longtemps. Je connais le danger qu'il représentent, voilà tout. Ils s'emparent du cœur des hommes et en font des monstres. Un jour je libèrerais ce pays des démons qui le rongent. Ce sera juste long, parce qu'ils ont incrustés dans le cœur de chacun... Et que désormais elle n'était qu'une petite voleuse sans influence et loin d'être assez forte pour cette tâche.

C'était de plus en plus probable mais il devait verifier avant de faire tomber son propre masque."Ce jour viendra, ne t'en fait pas, même si le chemin sera en effet long. J'ai la foi, Il ne laissera pas le malin gagner... Et tu verras de nouveau la différence, entre le juste et le méchant..." ne detourna-t-il pas le regard. "Je n'avais jamais rencontré quelqu'un avec les yeux si verts." {C'était... moyen comme changement de sujet Trésor} lui fit par la voix mais son étonnement était sincère ! Pasha avait aussi les yeux l'œil vert mais plus foncé, moins vif.