Convaincre un elfe clerc de fonder une guilde avec moi, c'est une chose. Que l'on vienne mettre des bâtons dans notre route vers la célébrité, cela en est une autre.  Je crois que notre boulot ne plaît pas à tous le monde parmi nos concurrents. Je pense en premier lieu à ces bâtards de la guilde Dory'Oubli. Ils ont sabotés plusieurs de nos quêtes récemment. Ajoute à ça que je viens d'avoir vent d'une bagarre dans une taverne d'îlotier entre nos membres et les leurs.

Ils sont devenus un sérieux problème. Et notre maître de guilde est impuissant à trouver une solution "pacifique" et "légale". Il n'y a plus le choix. Je ne peux pas les laisser aller plus loin. On va se salir les mains pour qu'ils arrêtent de marcher sur nos plates-bandes. Malheureusement, je sais que le maître de guilde refusera de prendre cette route. Je l'ai assommé, ligoté et rangé dans un placard à balai de la masure que nous avions choisi comme quartier général en attendant l'argent et la réputation.

Une bonne chose de faite. Je peux même m'en laver les mains. Prochaine étape : recruter les bonnes personnes pour ce que j'ai prévu pour nos cher amis  de la guilde Dory'Oubli... et partir à la pêche informations sur eux. Je veux pouvoir mettre l'elfe devant le fait accompli quand il se réveillera.

Qu’on se le dise bien : c’étaient pas les deux infernales qui avaient foutu la merde dans la taverne. Vraneï et moi, on était simplement en train de casser la croute après une mission rondement menée quand ça a commencé à se taper sur la gueule à deux tables de nous. Et, comme les bagarres de taverne le font toujours, elle s’était étendue jusque chez nous et nous avions bien été obligées de casser la gueule à deux-trois pégus si on voulait finir notre repas en paix.

Chargé d'une bonne pelle, j'ai rassemblé les membres de ma guilde encore présents et je leur ai ordonné de trouver des informations sur notre ennemi en évitant l'affrontement pour le moment. Je ne suis pas resté les bras croisés en attendant les autres. Je suis descendu à la taverne pour entendre les détails de la bagarre. Si j'arrive à trouver des témoins qui veulent bien ouvrir leurs gueules ! Parce que je tiens à régler moi-même le compte des idiots qui s'en sont pris à ma guilde !

Comme dit précédemment : Vraneï et moi n'étions dans cette taverne que pour casser la croûte. Et, n'étant arrivées à Isotier que la veille, on n'avait pas vraiment eu le temps de se mettre à jour sur les dernières guerres de guilde en date dans la ville. Surtout dans une ville comme Isotier, où certains quartiers sont plus ou moins en guerre civile permanente vu comme ça se tire dans les pattes. Trop de concurrents sur un trop petit territoire, accès à la mer, tout ça tout ça.

J'entre dans la taverne, je dévisage les habitués en fronçant les sourcils. Quoi ? Ma pelle ne vous revient pas ? Je n'ai pas de haches. Un problème avec ça ? Il y a quelques personnes qui semblent intéressantes, dont deux elfes noires. Mon partenaire ne va pas apprécier quand il va se réveiller, certainement. La meilleure façon de délier les langues est... la bière ! Mais avant, soyons polis et commandons. Tavernier, une bière pour mon gosier !

Machinalement, je levai les yeux en entendant quelqu’un entrer dans la taverne. Tiens, un nain avec un pelle, c’était pas courant ça. Généralement ils se baladaient plutôt avec des haches ou des pioches. Un nain jardinier ? Pourquoi pas, on avait vu plus étrange. Dans tous les cas, les inconnus aux choix d’accessoires étranges étaient pas mon problème.

Le nain passa la main dans la barbe, tripote quelques orfèvreries qu'il utilisait pour décorer sa barbe en attendant que sa bière arrivât. J'ai entendu dire dans la rue qu'une guerre de guildes se prépare. Qu'est-ce qu'il y a bien pu se passer encore ? Je suis inquiet pour mon commerce. Cass soupira pour faire bonne mesure. L'inquiétude pour sa propre pomme marchera peut-être pour délier les langues.

Une guerre des guildes ? Voilà qui était intéressant. Ca pouvait être soit bon pour les affaires, soit une raison d’éviter Isotier le temps que le ménage se fasse (car les guildes en guerre avaient tendance à être mauvaises payeuses). « Tiens donc ? Entre quelles guildes ? » Ce nain aurait aussi bien pu hurler « Je veux en parler », vu son manque total de subtilité en abordant le sujet. Ce qui m’arrangeait plutôt bien, puisque je voulais qu’il parle.

Sa bière arriva enfin. Cass put s'offrir une gorgée de cette saveur acidulée et pétillante. Le tavernier paraissait compatir avec le sort du nain. J'espère que v's v's en sortirez avec v'tre commerce. C'est mauvais pour les affaires, ces guerres de guildes. Quelqu'un a-t-il décidé d'agir contre la guilde Dory'Oubli ? Z'ont fichus le bordel dans ma taverne y'a peu de temps. Bon. Il voulait en parler aussi, le taulier. Parfait. Ah, la guilde Dory'Oubli ? J'crois que c'est d'eux que ça parlait dans la rue. Ils n'exagèrent pas un peu ?

Dory’Oubli, Dory’Oubli… Ah, oui, je voyais les bonshommes. Des petits rigolos qui jouent sans doute à pile ou face la paie de chaque mission et sont pas foutus de donner toutes les informations pertinentes avant le départ. Eh ben bon débarras s’ils s’attirent des ennuis : ça libérera le marché pour d’autres. Ou alors c’est eux qui en éjecteront d’autres du marché. Dommage, mais pas la fin du monde. Les guildes, ça va, ça vient…

La vanne était ouverte. Tout le monde parlait des ennuis que causaient la guilde Dory'Oubli. Le bouche à oreilles allait faire des miracles et tout Isotier serait au courant avant la fin de la journée. Magique. Il eut enfin des détails sur les circonstances de la bagarre. Les membres de la guilde Dory'Oubli avaient entendus les aventuriers de sa guilde évoquer une affaire qu'ils avaient finis. Apparemment, la guilde du nain et la guilde Dory'Oubli avait eu la même quête. Quelqu'un cherchait-t-il à déclencher une guerre de guildes ? Pour quoi faire ?

Aaah, la beauté des foules en colère : j’en apprenais tellement sans devoir poser la moindre question. Bon, évidemment il faudrait démêler le vrai du faux et remonter aux sources des exagérations, mais quand même. Si j’avais su, j’aurais mené mes interrogatoires différemment du temps de la Brèche. En tout cas, quelqu’un d’autre avait bien rodé sa technique : le nain qui avait déclenché toute cette agitation en quelques phrases était maintenant bien silencieux. Pas bête, le bonhomme.

Cass écouta ce qu'ils racontaient, hochait la tête régulièrement, compatissait quand on lui faisait le récit d'un malheur. Si seulement on pouvait leur mettre un coup de pelle au popotins ... !, soupira le nain pour faire une bonne mesure. Il reprit une gorgée de sa chope. Glou. Glou.

Ils lançait le sujet, laissait les esprits s’échauffer, puis suggérait (avec une subtilité toute relative) l’action qui l’arrangeait le mieux. Décidément pas bête le bonhomme. Déjà, les cris de « Ouais, il faut leur apprendre une leçon ! » se mêlaient aux « Non mais t’es fou ? Ils sont je sais pas combien ! » et aux « Ah mais j’ai promis à ma femme de passer chez le cordonnier, faut que je file. » Dégonflés. De mon côté, je riais sous cape (littéralement, puisque je portais encore la mienne). « C’est ton arme de choix, la pelle ? » Quoi, il ne croyait quand même pas que tout le monde allait gentiment abonder dans son sens, si ?

Cass n'était pas très surpris par leurs réactions. Peu auraient le courage de lever leur fourches face à des aventuriers habitués à combattre des monstres et des créatures intelligentes. Il s'abstint de renchérir, finit sa bière et déposa les pièces promises au tavernier. Bon, j'ai des trous à creuser, moi. Il regarda l'elfe noir. Il n'avait pas dit "pour cacher des corps" mais c'était dans l'air.

« Aaah, je vois, toi, tu préfères arriver après la bataille. » Et attiser les esprits pour faire en sorte qu’il y ait une bataille avant. Mauvaise langue, moi ? À peeeeine. Mais j’étais quand même curieuse de voir si (et comment !) il utilisait une pelle comme arme.

Il ne le prit pas mal. Quelqu'un doit bien s'assurer qu'ils ne reviennent pas. Il avait déjà creusé des trous après la bataille. Il lui serait encore plus pénible d'avoir à livrer une deuxième bataille. Contre les morts, cette fois-ci. Il ouvrit la porte de la taverne. Nez à nez avec d'autres mercenaires. Concours de regards de travers. Il la referma au nez et à la barbe des épée-louées de la guilde Dory'Oubi. Évidemment qu'ils allaient enquêter.