Les vampires ne sèmeront dorénavent plus la terreur dans la forêt. Ce groupe de fous dangereux s'étaient installés dans une tour radio pour freiner leur infection par des transfusions sanguines. Ils auraient pu continuer longtemps (ou pas) sans l'intervention (hasardeuse) des militaires du camp. Ces derniers les avaient tous neutralisés et se remettent maintenant de leurs blessures.

Ina Johansen n'est pas militaire mais faisait partie de l'expédition avec sa chienne. Si l'animal va bien, la cartographe a en revanche été touchée à l'épaule par une balle. Cela aurait pu être pire sans Seifur, le Korporal.

Mais leur mission première est encore en cours : envoyer un signal radio hors des frontières et retrouver le contact avec le reste du monde, ou du moins ce qu'il en reste.

Disposant d'une bonne quantité de vivres et ne sachant pas exactement combien de temps la mission était sensée durée, une organisation s'était rapidement mise en place dans le camp. Il avait d'abord fallu sécuriser le périmètre puis s'occuper des victimes des vampires, comme ces dernières les appelaient.

Seifur, qui venait de terminer la répartition des tâches, commençait son quart. Le crépuscule rosissait le ciel en haut de la colline.

Pendant ce laps de temps, Ina n'a pas beaucoup aidé, trop occupée à se faire retirée la balle logée dans son épaule et à soigner sa blessure. Eyra, sa chienne Shiba Inu, reste sagement avec elle. Les cachets mettent du temps à faire effet et la jeune femme gère la douleur en silence.
"Tout va bien, Seifur ?" demande-t-elle au korporal enfin posé.

La station de radio se trouvant dans un fortin au sommet d'une colline escarpée, les quelques soldats de garde étaient fortement exposés au vent frais qui commençait à se lever en cette fin de journée.

Lorsqu'Ina vint s'enquérir de Seifur, il se tourna vers elle et la salua en levant son poing surmonté d'un thermos fumant.

"Très bien. Mais c'est plutôt à toi qu'on devrait poser la question."

Il désigna la blessure du menton.
"Qu'en dit le médecin ?"

"Je ferais mieux d'éviter le tir à l'arc deux-trois semaines mais tout va bien, l'os n'a pas été touché. Ce n'est pas ma première blessure. Je vais m'occuper au camp d'une autre façon en attendant. Mais j'ai très envie de voir ce que la tour radio va donner."
C'est sûr que les missions de reconnaissance à l'extérieur seront trop risquées un moment.

Seifur hocha la tête.
"Une bien maigre contrainte pour conserver son bras. Mais je sais que, quand on a une activité favorite, en être coupé étire douloureusement le temps."

A la mention de la tour radio, il lève les yeux vers la haute antenne. Derrière, le ciel sablé d'étoiles.
"Oui. Fut un temps où l'on était connectés à tout. Je crois qu'au fond, on a tous ce besoin d'ailleurs."

"Ce n'est pas vraiment ma passion le tir à l'arc, c'est surtout un moyen de survivre."
Si elle ne peut pas défendre sa vie, elle peut la perdre ou alors elle doit dépendre des autres. Et les évènements de l'année dernière n'ont pas rendu les gens plus solidaires. Sans doute que ce n'est pas mieux ailleurs mais comme le dit Seifur : on a besoin d'être connectés, même si c'est pour être déçu.

Seifur se pencha sur les créneaux, les avant-bras posés sur la pierre. Il prit une gorgée de thé et son haleine fuma un instant.
"Et c'est quoi, ta passion ?"

Il est toujours étrange de clamer sa passion. Dès lors qu'on le fait, la personne en face peut se mettre à juger sévèrement vos talents dans ce domaine. Heureusement Ina a l'habitude, elle a dû se vendre pour vivre de son art (autrefois).
"Ma passion est le dessin. J'étais dessinatrice de bandes-dessinées."

Son visage se tourna soudain vers Ina.
"Vraiment ? Eh ! Puissent les enfants de la base ne jamais t'entendre ; tu n'aurais plus une seconde à toi."

Il reporta son regard vers la promenade qui cernait la colline, scrutant la pénombre grandissante.
"Ca doit être génial de savoir dessiner. De pouvoir donner vie à ses rêves..."

"Ils le savent, je dessine pour eux souvent. Avec de la cendre ou de la craie sur de l'ardoise pour ne pas gaspiller le papier. Mais pour savoir dessiner, il n'y a rien de sorcier : il faut dessiner dessiner jusqu'à être satisfait de son travail. Ce n'est pas différent de soldat. Tu as dû en passer du temps sur le camp d'entraînement !"
Pour avoir des muscles si travaillés et puissants… Le regard d'Ina se perd dans leur contemplation.

Seifur rit.
"En vérité, être soldat, c'est surtout de la débrouillardise et de l'organisation. Je me suis entraîné, mais j'ai aussi eu de la chance de naître en excellente santé.

Cela dit, c'est vrai que c'est comparable : on ne remarque jamais qu'on devient meilleur en quelque chose. C'est toujours un regard sur notre passé. En voilà, un obsession de notre temps : regarder le passé."

"C'est tout à fait humain. Nous sommes les seuls animaux à avoir du recul et à nous projeter dans le futur. C'est une bénédiction et une malédiction. Nous nous souvenons de ce que nous avons perdu et nous tenons à le retrouver. J'aimerais revenir à un monde où il n'y a pas besoin de tuer son prochain pour survivre. D'un autre côté, les animaux sauvages se portent bien mieux depuis que les humains sont trop occupés à survivre."
Mais Ina reste humaine.

Ses sourcils se froncèrent un instant.
"Hum... Je ne sais pas. J'ai l'impression que c'est une lecture assez anthropocentrée. Je veux dire : à l'époque aussi, les gens s'entretuaient. On avait juste le privilège de vivre dans un pays qui pouvait se permettre de porter des œillères et de se fermer au monde alors que les réfugiés climatiques s'écrasaient par milliers à nos postes de frontière. Quant aux animaux sauvages... Ma foi, on continue d'en manger, et plus que jamais."

Seifur prit un instant ses jumelles amplificatrices de lumière et observa un point des bois, puis les rabaissa, rassuré.

"Non, en effet, l'Homme est loin d'être l'animal rationnel qu'il prétend être. Sinon, je doute que nous en serions arrivés là."

Il eut un sourire gêné.

"Euh, oui... Je fais partie de ceux qui pensent que la zombification est probablement une arme biologique de je-ne-sais-quel-pays, même si je ne suis pas aussi catégorique que certains sur la question."

Ina ne relève pas, le regard dans le vide, songeant à ses espoirs pour l'humanité. Est-il vain de penser que l'humanité puisse s'améliorer, apprendre de ses erreurs ?

Seifur s'abstient de rompre le silence pendant quelques minutes, immobile, le regard assurant sa vigilance alentours. En bas, on entend quelque uns des villageois réfugiés dans le fortin célébrer leur libération, joie et deuil mêlés.

Puis il tend son thermos à Ina.
"Thé au gingembre ?"

Ina est tirée de ses pensées par la proposition. Elle en était à simplement souhaiter envoyer le message à la tour radio et espérer être présente pour décider des règles lors de la reconstruction de l'humanité.
"Merci."
Elle se sert donc une tasse.

Seifur but de longues gorgées de son thé et s'étira. Puis il fit signe à Ina.

"Viens voir, je vais te montrer quelque chose."

Après quoi il se dirigea vers l'antenne principale, qui dépassait du sommet du fortin d'une bonne dizaine de mètres.

Seifur rompt à nouveau le silence de la soirée. La dessinatrice le suit donc, tandis qu'Eyra est partie se promener. D'habitude, la chienne ne reste pas longtemps sans sa maîtresse mais elle la retrouvera très vite à l'odeur.
"Que veux-tu me montrer ?"

Il s'accroupit devant l'antenne et accéda à un petit panneau de commande sur lequel était branchée une batterie externe au graphène ainsi qu'un oscilloscope.

"Je ne suis pas sûr d'y arriver."

Pendant une minutes, il fit des réglages en commentant :

"Les antennes radio dernière génération sont très puissantes. Depuis Starlink, les gens utilisaient de moins en moins les ondes radios, alors les stations comme celles-ci ont été modifiées pour répondre à plusieurs objectifs."

L'endroit servait à des gens obnubilés par la survie après tout.
"Quoi donc ?"

Seifur ne répondit tout d'abord pas, trop concentré dans ce qu'il faisait. Puis :

"Etudier le climat, principalement. Et des trucs par rapport à l'espace, je crois. Enfin, des choses auxquelles je n'entends rien du tout, quoi."

Il tourna lentement un potentiomètre en regardant le sommet de la tour puis s'arrêta et pointa le ciel du doigt.

Des petites aurores boréales vertes étaient apparues.

Naturellement, Ina avait déjà vu des aurores boréales avant. Elle aimait ça autrefois, mais elle n'a pas la tête à ça ce soir.
"Des aurores ? Pourquoi veux-tu me les montrer."