Un sourire peut cacher bien des choses.
Le danger constant d'être zootrope dans une société hostile à cette capacité, la maltraitance, l'injustice, l'agonie d'innocents, tous les sacrifices nécessaires pour combattre ça.

Lumi est une jeune adolescente de quinze ans toute menue et souriante.
Personne ne peut se douter de sa véritable nature, de ce qu'elle pense vraiment, du fardeau qu'elle cache quand elle se promène dans les rues de Moscou. Elle n'en démord pas avant de se lancer dans une mission dangereuse. Les autres résistants se demande si elle a bien conscience du danger alors que les miliciens pourraient la tuer en un instant.

La vérité est qu'elle n'oublie jamais qu'une balle peut lui coûter la vie mais rien ne lui fera regretter de se battre pour ses frères et sœurs de cœur ! Même maintenant que son bras est brûlant et qu'elle n'a qu'une main pour poser son dirigeable. L'appareil s'est arrêté, la pilote inspire profondément.

Tout va bien, le dirigeable est en un seul morceau, ils sont tous vivants et ce n'est qu'une blessure au bras de plus. Lumi sourit pour contrer la douleur puis regarde son bras.
Il semblerait qu'elle n'ait pas récupéré son bras gauche.
Il semblerait que son aile de chouette ait décidé de rester une aile de chouette.

Un sourire ne peut pas guérir toutes les blessures. Malheureusement.

J'ai besoin d'un docteur.

La planque était en effervescence. On leur avait remonté l’info que l’opération prévue s’était mal passée, il y avait donc un risque que la planque soit compromise. Et dans la LR, on n’aimait pas les risques inutiles. Ils étaient donc bien occupés à effacer toutes les traces d’une activité illégale dans la grange où ils s’étaient installés quand le dirigeable se posa. Deux hommes saisirent les filins pour stabiliser l’engin et Luka se posta face à la passerelle d’accès, attendant que quelqu’un sorte. Il tenait fermement un revolver dans la main droite.

Ilma et les rescapés de l'opération sortirent.
"Lumi, ne va pas bien ! crie Ilma dans un russe approximatif. Docteur, docteur !"
Ce dernier mot est très clair.
De son côté, Lumi prend peu à peu conscience de la douleur que les endorphines produites par son corps étouffaient. Les balles dans son bras déchirent ses chairs. La jeune fille voudrait les retirer mais elle n'a pas le bon outil et trop de plumes. Elle commence à se demander si en fin de compte, elle ne retrouvera jamais son bras d'antan.

Dans sa main droite, Luka tenait un revolver, et dans la gauche le sac contenant ses outils de chirurgien. On ne sait jamais sur quoi on va tomber, après tout.

Les cris de la jeune fille eurent raison de ses derniers doutes et il se pressa vers elle, laissant ses homme s'occuper des rescapés zootropes. Il saisit son bras, attirant son attention. Je suis docteur. Amène-moi au blessé, exigea-t-il. Et raconte-moi ce qui s'est passé.

Ilma cherche ses mots, c'est encore difficile pour elle de s'exprimer en russe mais il faut croire que l'urgence l'aide un peu.
"Lumi est allée chercher des gens de son côté, en volant à moitié. Mais des miliciens lui ont tiré dessus avant qu'elle rentre ! Elle va mal."
Même si elle tient le coup, présentement, agenouillée devant ses manettes.
Ça brûle !

Luka s'agenouilla à côté de Lumi, concentré sur son bras recouvert de sang. Son regard remonta brièvement sur le visage de la jeune fille, marqué par la souffrance. Si jeune ! Elle doit avoir l'âge de Lyra. Mais ce n'était pas le moment de se laisser distraire. Je suis médecin, annonça-t-il à la blessée d'une voix douce. Je vais devoir manipuler ton bras pour examiner la blessure. Ca va être douloureux mais j'ai besoin que tu bouges le moins possible, d'accord ?

Lumi n'a pas entendu l'homme arriver. Elle le regarde et décide de lui faire confiance ; Ilma est juste à côté, inquiète.
"Est-ce que la Milice nous a suivis ?"
Même dans ces moments-ci, Lumi n'oublie pas de s'inquiéter pour le couverture de leur rébellion. Il ne faudrait pas se laisser rattrapés par les tortionnaires. Mais cette fois-ci, Lumi ne peut pas garantir leur sécurité. Elle jette un coup d'œil à Ilma et celle-ci comprend puis s'en va, la laissant seule avec…

Je ne sais pas, répondit Luka franchement, mais nous sommes en train de vider la planque au cas où. S'ils arrivent jusqu'ici ils ne trouveront rien de compromettant. Nous allons devoir y aller nous aussi, mais d'abord il faut que j'examine ton bras. Ne bouge pas.

N'attendant pas de réponse, Luka se pencha sur l'aile blessée, grimaçant intérieurement. Ca ne va pas aider qu'elle ait été transformée quand elle a été blessée. En outre, elle n'avait pas eu de chance : deux balles avaient atteint la partie charnue de l'aile et endommagé les muscles. Je vais te poser un garrot.

Lumi se laisse faire, elle sait qu'il a raison et qu'il fait ça pour son bien. Elle ne peut s'empêcher de grimacer tandis qu'il manipule son b-- son aile. Ce faisant, indépendamment de sa volonté, des plumes supplémentaires poussent plus haut en dessous de son chaud manteau de pilote. Comment va-t-elle retirer son manteau d'ailleurs ?

Luka travaille vite :  ce n’est pas la première fois qu’il donne les premiers soins à un membre animal plutôt qu’humain, il sait donc plus ou moins ce qu’il fait. Et il ne tient pas à s’éterniser ici.

Voilà, ça devra être suffisant jusqu’à ce que nous soyons en sécurité. Tu peux marcher ? Il a tendu une main à la jeune pilote, et en même temps il s’est tourné vers la porte par laquelle a disparu l’autre jeune fille. Nous allons devoir abandonner le dirigeable ici, est-ce qu’il y a quoi que ce soit à bord qui pourrait nous trahir ?

Abandonner les Ailes d'argent ?! Jamais de la vie !
"Je ne quitterai pas ce dirigeable ! Il a une âme, vous savez ?!"
La demi-chouette lapone gonfle ses plumes comme si l'on s'en prenait à ses petits au sein même de son nid.

Luka se retient de lever les yeux au ciel. Une âme ? Il manquerait plus que ça ! Il s'était douté que l'idée passerait mal auprès de la pilote - ces oiseaux-là se ressemblaient tous sur ce point au final - mais elle devait bien se rendre compte qu'il y avait plus important, non ? Je ne te laisse pas le choix. Il y a des vies en jeu, répond-il sèchement. Si tu as des choses à récupérer absolument, demande à ton amie de s'en occuper maintenant.

Lumi est maintenant en pleure, complètement irrationnelle contrairement à son habitude. Elle est blessée, perturbée par le maintien de sa transformation, morte d'inquiétude pour sa famille et arrachée de force à son dirigeable. Heureusement Ilma intervient.
"Nous ne l'abandonnerons pas. C'est juste par sûreté, personne ne viendra mais nous devons partir." dit-elle en finlandais.

La voix de Luka s'adoucit quand il voit les larmes de la jeune fille. Il ne peut s'empêcher de ressasser qu'elle a l'âge de sa fille, cette gamine ! Je peux comprendre que ce ne soit pas facile, mais ta vie et celle de ton amie sont plus importantes que ce dirigeable, tu ne crois pas ? En tout cas pour ma conscience et moi. Allez, il faut y aller, conclut-il en passant son bras sous celui valide de Lumi pour l'aider à se redresser.

De nouvelles plumes apparaissent jusque sur le visage de Lumi sous le coup de l'anxiété. La fille est traînée hors du dirigeable plus de mauvaise grâce qu'autre chose.

Luka installe Lumi aussi confortablement que possible à l'arrière d'une charrette à chevaux. La jeune pilote a l'air de s'être renfermée sur elle-même. Elle est en état de choc. Pas étonnant. Et ces fichues plumes qui ne s'arrêtent pas de s'étendre ! Il faut qu'elle tienne le coup juste un peu plus longtemps. Luka supervise les derniers préparatifs de la fuite - de grands morceaux de toile noire sont accrochés au dirigeable pour le dissimuler - puis il monte lui aussi dans la charrette. A la planque de repli, allez !

Abandonner son dirigeable aux ailes d'argent ? Son compagnon de tant d'aventures ? Certes, cela aurait été une plus horrible journée si la mission avait été un fiasco, si des innocents avaient été blessés, si Ilma avait été blessée. Mais abandonner son dirigeable aux ailes d'argent ?
Rien ne serait arrivé si Lumi n'avait pas voulu faire une manœuvre idiote pour sauver une personne. Le dirigeable a besoin d'un capitaine et maintenant il ne volera peut-être plus du tout.

...

La planque de repli était spartiate : une autre grange perdue dans la campagne moscovite. Luka mena sa patiente -qui marchait comme un automate- jusqu’à la maisonnette qui jouxtait la grange. Dedans, rien qu’une table, une chaise et un poêle éteint. Luka fit asseoir Lumi, envoya Ilma -qui les avait évidemment suivis- chercher de l’eau au puits et entreprit d’allumer un feu.

De ce qui se devine sur le visage emplumée de Lumi, cette dernière est toujours sous le choc. Ses grands yeux jaunes fixent intensément la porte, en réalité la petite chouette fixe la direction supposée de son dirigeable.
"Je dois y retourner !" dit-elle d'une voix râpeuse.

Demain matin, nous enverrons une équipe, je te le promets, répondit Luka pour l'apaiser sans être vraiment sûr qu'elle était assez alerte pour l'entendre. En même temps il craquait une allumette après l'autre, sans succès. Allez ! j'ai besoin de ce fichu feu ! Quand celui-ci prit enfin, une dizaine d'allumettes jonchait le sol. Pas trop tôt ! Espérons qu'il nous réchauffe vite, on se gèle ici ! Luka se déplaça vivement jusqu'à sa patiente. Lumi ? Comment tu te sens ?

Lumi a la surprise de ne pas connaître la réponse. Les plumes intempestives sur sa peau et la grave blessure à son bras aile sont passées au second plan ! Rien ne peut réparer le trou béant laissé par ses Ailes d'argent abandonnées au hangar. Des larmes perlent au coin de ses yeux puis coulent abondamment.
"Est-ce qu'au moins, tous les autres vont bien ?" articule une Lumi effondrée.

Ils vont bien, l’apaisa Luka. Je crois. Mais toi et moi avons des préoccupations plus urgentes pour le moment. Au moins était-il rassuré sur un point : elle semblait lucide bien que toujours en état de choc. Luka se pencha donc sur son bras tout en farfouillant à l’aveugle dans son sac pour trouver ses gants. Le saignement avec cessé grâce au garrot, mais il avait du mal à voir si les balles étaient ressorties à cause du bazar de plumes. Attention, je vais soulever ton bras.

Lumi affiche un mine contrarié et tire son aile douloureuse à elle. Cela lui fait mal mais pas autant que la perte de son dirigeable.
"Vous ne m'avez pas encore donné votre nom."
La petite chouette est d'ordinaire gentille et avenante avec les étrangers, assez intelligente pour laisser faire les médecins mais se faire tripatouiller le bras par un médecin qu'elle ne connaît ni d'Eve, ni d'Adam manque de... d'équité ?

Luka marqua un temps d'arrêt puis leva doucement les mains, paumes vers Lumi, comme en signe d'apaisement. Il répondit tranquillement, d'une voie posée. Je suis Drioma, je fais partie de la Ligue Révolutionnaire et je suis médecin. Je te promets que je ne te veux aucun mal, je suis là pour te soigner. Et pour ça j'ai besoin d'examiner ton bras. Il lui laissa une pause pour assimiler tout ça et prendre une décision puis... Je peux ?

Lumi relâche son bras en regardant le médecin toujours avec un air méfiant.
"Maintenant, oui. Je n'ai jamais eu l'intention de vous attaquer, vous savez. Drioma, c'est un drôle de nom. Qu'est-ce que ça veut dire ?"
C'est plus fort qu'elle, même traumatisée, mal au point et couverte de plumes, elle fait la causette.