Il pleuvait à trombes ce jour-là. Pas le meilleur des temps pour partir à la recherche des fantômes, surtout lorsqu'ils avaient mystérieusement disparus. Pauvre Seamus... Faélàn espérait que, où qu'il soit, il ait de la compagnie pour ne pas s'ennuyer.

La Dame tripota distraitement la dentelle de ses gants en satin. Ses chats dormaient et elle n'avait pas le coeur de les réveiller. Sa petite Aine travaillait sans doute à cette heure-ci.

Un petit soupir lui échappa : quelle horreur, la retraite ! Trop de temps à tuer, elle en allait repeupler l'Hôtel.

A sa propre pensée, ses yeux scintillèrent d'amusement, avant de se poser sur une silhouette qui s'avançait dans le hall. Ah tiens, l'égyptologue, arrivé depuis peu... Elle n'avait pas encore eu l'occasion de se livrer aux mondanités, ni d'asticoter ce Grand Monsieur Savant.

Il y a quelques années, Faélàn aurait bondi de sa chaise. Mais il pleuvait ce jour-là, et elle était percluse d'arthrite. La Dame se glissa donc d'un pas de velours aux côtés de l'homme dont elle attrapa le bras avec un grand sourire. "Bien le bonjour, cher Monsieur."

Neuf jours après son arrivée à l'hôtel, Éric n'avait pas débusqué beaucoup d'indices, malgré les quelques fantômes avec qui il avait pu entrer en contact plus ou moins consistant et fructueux. En outre, le jeune Français avait à peine eu vent de l'existence de Seamus, le plus ancien fantôme de l'hôtel, que ce dernier ne hantait dorénavant plus les lieux. Un mystère de plus s'ajoutant à la montagne de secrets titillant sa curiosité, il n'en demeurait pas moins frustré. Perdu dans ses pensées, une dame du troisième âge lui saisit le bras. Surpris, il tourna la tête. Oh, euh... Bonjour à vous ? Accent irlandais... Une habitante de l'île ?

Le sourire de Faélàn s'agrandit davantage. Pour un chercheur avide de mystères, de ce qu'elle avait entendu dire, ce Grand Savant ne laissait guère traîner ses oreilles... Elle était pourtant connue dans le coin. "Dame Faélàn Dunne." se présenta-t-elle cependant sans lui en faire part. "Une vieille âme qui anime sa retraite avec quelques séances de spiritisme et l'ambition d'écrire un livre sur l'Histoire de Lockwood." Ses yeux pétillèrent d'amusement. "J'ai ouï-dire que vous avez également un pied dans chacun de ces domaines."

Ce nom était familier à Éric. Il avait déjà entendu son nom plusieurs fois dans le lounge ainsi que de la bouche d'un des fantômes, mais n'avait pas encore questionné le personnel à son sujet. N'ayant jamais croisé cette dame, c'était la première fois qu'il découvrait à quoi elle ressemblait. C'est donc elle... Et elle est étrangement bien renseignée à mon sujet. Le Français sourit. Ah, oui ! J'ai eu vent d'une certaine "Lady Dunne". Vous êtes très bien connue des résidents... vivants ou autres. Et en termes d'activités, je dois dire que vous avez bon goût. Il lui tendit la main. Ravi de faire votre rencontre. Éric Deshayes, égyptologue.

"La célébrité s'accroche avec les années." sourit Faélàn sans lâcher son bras. "Feu mon cher Pàdraic serait d'accord avec vous sur le bon goût." Son sourire devint légèrement malicieux. "En parlant de ça, je me disais que vous ne seriez pas contre une petite visite au musée local. Je suis une vieille amie du conservateur." Elle se pencha vers lui, l'air mystérieux. "Et il y a des pétroglyphes qui pourraient vous intéresser, Monsieur l'Enquêteur..."

... Non mais elle va me lâcher le bras, oui ? Je suis pas son petit-fils ! Son sourcil se leva soudain à la mention de pétroglyphes et du musée de l'île. C'est vrai, je me suis tellement focalisé sur les fantômes qui hantent ces lieux que je n'en ai pas quitté l'enceinte de l'hôtel... Cela me fera grand bien de changer d'air. Je n'ai rien de prévu à l'heure actuelle. Se mettant en route : J'ai également entendu dire que votre petite-fille travaille ici. Je n'ai jamais eu l'occasion de la rencontrer, c'est toujours Alan qui s'est occupé de moi au bar jusqu'à présent... Au fait, qui vous a parlé de moi ?

Un sourcil blanc comme neige s'éleva gracieusement. "Les murs ont des voix en plus des oreilles, ici, cher Monsieur. Ou peut-être que mes chats ont attrapé une petite souris qui leur a soufflé tout cela..." Une main gantée vint cachée le léger pouffement qu'elle se permit. Faélàn s'amusait comme une enfant, à lui en faire oublier son arthrite ! "Quant à ces pétroglyphes... il se pourrait que nous parlions encore de fantômes à leur propos."

Ce doit être l'un des fantômes qui lui a parlé de moi. Je me souviens pas avoir mentionné mon activité de médium à un membre du personnel... Ah si, le réceptionniste ! Il l'a peut-être raconté à ses collègues, qui le lui ont dit à elle... Il faut dire qu'il aimait la conversation. Quoi qu'il en soit, cette dame semble avoir le sens de l'humour... Mais j'en ai bien besoin en ce moment. C'est guère tout repos de parler aux défunts... J'ai hâte d'y être. Si cela ne vous dérange pas, pourriez-vous me servir de guide dans Cuagach en cours de route ? Je n'ai aucun doute que ce village recèle une histoire très intéressante.

Faélàn agita la main d'un geste facile. "Pas du tout un souci, mon cher monsieur. Je connais Cuagach depuis longtemps. On venait souvent voir notre petite Aine avec mon époux, ce très cher Pàdraic." Son sourire devint plus connivant. "Et les fantômes sont ici nombreux, on ne s'ennuie jamais." A nouveau, le rappel de la disparition de Seamus lui vint en tête et son sourire disparut au profit d'un visage plus sérieux. "C'est bien la première fois qu'un de ces fantômes disparaît..." Faélàn se reprit rapidement et tapota le bras qu'elle n'avait toujours pas lâché. "Allons, allons ! Je radote, vieille Dame que je suis. Venez, c'est par ici."

Oui, Seamus... Comme bien d'autres, j'ai tenté d'entrer en contact avec lui, en vain... Un mystère qui s'ajoute à tous les autres. Si vous appelez ça radoter, alors ça fait de moi un vieux monsieur, j'imagine, plaisanta-t-il, les deux sortant de l'hôtel et se rendant à Cuagach.

Tandis qu'il visitait ce village à l'histoire intéressante (quelle histoire de lieu ne l'est pas ?), attentif aux descriptions et anecdotes de Faélàn, il remarqua le bras de cette dernière n'ayant toujours pas lâché le sien.
Je suis officiellement devenu son sac à main vivant.
Après une vingtaine de minutes de marche, ils arrivèrent devant le musée.

A la remarque d'Eric, Faélàn éclata d'un petit rire jovial. "Que suis-je alors ? Une momie ?" Elle observa sa main libre avec un éclat de renard dans les yeux. "Qu'est-ce que je suis bien conservée !" fit-elle semblant de s'enthousiasmer. En tout cas, s'il y avait bien une chose qu'elle avait bien conversé, c'était son humour d'enfant.

Sur le trajet vers le musée, elle inonda son sac à main du moment d'anecdotes. Attention à cette fontaine ! Un fantôme farceur s'amusait à asperger les gens, et autrefois, un autre les noyait. Attention à ce buisson ! Certains fantômes aimaient faire des croche-pieds. Et vous connaissez les bateaux-selkies ?

L'intérieur du musée - entrée gratuite - n'était pas sans rappeler l'hôtel lui-même, avec ses planches en bois bien lubrifiées mais légèrement grinçantes sous chaque pas. Les murs recouverts de papier uniquement turquoise clair contrastaient avec l'aspect bigarré des bâtiments du village.

À un seul étage, il était divisé en trois grandes salles : une centrale, une à gauche et une à droite, chacune avec une multitude d'expositions petites et grandes, suffisamment pour faire passer une bonne heure aux touristes les plus curieux et contemplatifs.

Il ne fallut à Éric et Faélàn que cinq minutes pour se retrouver devant les fameux pétroglyphes.

Les anecdotes de Cuagach ne tiraient rien à ce Grand Monsieur ? Et bien ! Faélàn sourit en coin, derrière le secret de sa main gantée. Elle allait lui sortir le grand jeu !

Une fois arrivés devant le fameux pétroglyphe, elle se pencha vers la pierre, un air conspirateur au visage. "Ce ne sont pas les guerriers et les chamanes, habituels pour l'époque de cette pierre dans la région, qui sont intéressants, mais ici, au dos." Sans toucher la pierre, elle pointa ce qui semblait être un signe.

Les entailles, très effacées, ressemblaient vaguement à un humanoïde portant une robe flottante. "Ne dirait-on pas un fantôme ?"

Les anecdotes et descriptions que Faélàn lui avaient faites, bien qu'elles ne manquèrent pas d'intérêt, ne l'avaient pas réellement surpris, surtout après sa longue semaine à l'hôtel à côtoyer des revenants. D'ailleurs, après de nombreuses années de sa vie à côtoyer des revenants.

Pour une île isolée et à l'hôtel si ancien (et un peu délabré par endroits), le Français trouva les pièces du musée remarquablement bien conservées. Mais son plaisir fut de courte durée : une fois devant l'un des pétroglyphes, la dame lui fit part d'une interprétation farfelue de ce qui faisait penser à... un fantôme.

... Non, il s'agit simplement d'une encoche.

Ah... Il était donc un pète-sec, ce grand Monsieur Savant. Faélàn cacha son amusement sous un sourire d'habitude. "Vous rejetez facilement les hypothèses, très cher." Elle leva la main qui ne tenait pas le bras de la proie de son espièglerie. "Savez-vous pourquoi je porte des gants ?" demanda-t-elle soudainement à brûle-point.

Difficile de ne pas les rejeter quand on connaît les représentations graphiques que les gens de l'époque se faisaient des fantômes... Mais elle a raison. Ce n'est pas très scientifique de ma part. Éric observa lesdits gants. Se rappelant du fait que Faélàn était médium elle aussi, il ne tarda pas à comprendre quel était son don. Vous êtes psychomètre. Un temps. Je vois. J'imagine que cela ne doit pas être facile à vivre tous les jours... Un autre temps. Dois-je comprendre que vous avez touché ce pétroglyphe et que vous avez ressenti une émotion particulière vous faisant penser qu'il s'agit là d'une représentation de fantôme ?

Un sourire apparut sur le visage de la Dame quand elle comprit que ce Grand Monsieur Savant savait mettre de côté ses à-priori pour vraiment traiter son idée farfelue en scientifique. C'était mignon, même si moins drôle que de taquiner ceux qui partaient en diatribe offensée à partir de ce moment.

Ce garçon était malin, en tout cas. Il savait utiliser son cerveau et relier l'indice de ses gants à sa connaissance qu'elle était médium pour trouver la réponse à sa question. Faélàn commençait à bien l'apprécier. "Je n'ai pas eu la folie d'aller aussi loin... mais un ancien visiteur le pensait." Elle rit doucement à sa révélation taquine.

Un ancien visiteur ? demanda-t-il. Elle parle d'une de ses connaissances ? De feu son mari ? Ou peut-être d'un fantôme avec qui elle a communiqué...

"Quelqu'un qui a touché cette pierre il y a quelques années, peut-être un petit siècle." répondit Faélàn d'une voix douce alors qu'il passait une main délicate sur l'objet. "Dame Dunne..." La voix (faussement) sévère la fit sortir de ses rêvasseries et elle se retourna vers l'homme qui approchait avec un rire de grelot dans la gorge. "Mon cher ami ! Je crois pourtant que vous avons un accord sur le fait que je puis toucher les objets de ce beau musée, en échange de mes visions." Un autre rire lui répondit et Faélàn se tourna vers Eric. "Je vous présente le conservateur de ce musée, très cher."

"Un petit siècle"... Faelán fut la première à toucher la pierre. Éric sortit les mains de ses poches, prêt à soutenir sa chute en cas de déstabilisation ou perte de connaissance. Rien ne se produisit. Le Français se retourna ensuite lorsque le conservateur du musée lui-même s'incrusta dans la conversation. Il semble avoir de la complicité avec elle. À son âge, tant mieux si elle a des amis et des gens qu'elle fréquente. Esquissant un sourire, il serra la main de ce dernier. Enchanté ! Je suis égyptologue. J'ai à peine découvert votre musée, et je suis déjà impressionné par la diversité des objets exposés et leur état de conservation.

Faélàn sourit en coin, amusé par la réaction galante du jeune homme. Mais elle n'avait pas enlevé ses gants, elle ne risquait rien. Sa flatterie plaisait à son vieil ami qui se prenait bien trop de commentaires désinvoltes sur les touristes actuels qui cherchaient la grandiloquence avant tout. "Très cher, et si vous mettriez à notre ami égyptologue votre pièce maîtresse ?" Les yeux du conservateur brillèrent d'intérêt, et ce brin de malice qu'il envoyait en écho à la vieille femme. "Bonne idée, Dame Dunne. Veuillez me suivre."

Curieux, Éric suivit le duo. Il y a donc quelque chose d'encore plus intéressant qu'elle qu'elle voudrait me montrer ? Un pétroglyphe de plus grande taille ? Plus ancien ? Avec un dessin de fantôme différent ?

Faélàn se raccrocha au bras anse de son sac humain. "Vous allez voir, mon bon monsieur, c'est une pièce de toute beauté." Elle lui dédia un sourire mystérieux avant d'emboîter le pas au conservateur qui les mena vers une pièce à la décoration plus intime sensée représenter un salon. Au milieu de la salle trônait une vitrine solitaire. On pouvait y admirer un pendeloque étincelant d'argent orné d'une magnifique émeraude.

L'émeraude. Don de Thot, l'une des pierres favorites de Cléopâtre VII. Dans une pendeloque en argent ne faisant guère penser à l'Égypte. Néanmoins, je ne sais toujours pas ce qu'elle a sous-entendu avec le pétroglyphe. Un fantôme lui a-t-elle vraiment dit que ce dessin représentait lui-même un fantôme ? Ou bien elle se moque de moi depuis le début ? Et qu'est-ce que cette pendeloque a à voir avec tout ça ? Son esprit bouillonnant de questions, presque plus que l'hôtel lui-même ne lui en suggérait, il gardait néanmoins sa "poker face", s'avançant et observant l'objet. Une belle parure, dit-il simplement. D'où provient-elle ?

Faélàn échangea un regard amusé avec le conservateur. Ce jeune Monsieur Savant savait dissimuler son excitation toute historienne mais ils avaient tous les deux l'habitude de jouer aux joyeux lurons avec les chercheurs de passage à Cuagach, et ce depuis de nombreuses années. "Pourquoi croyez-vous qu'il soit exposé au centre de cette pièce ?" lui demanda Faélàn avec son air le plus mystérieusement innocent.