Viktor se laissa tomber du pont sur le toit du wagon, s'accroupit avec souplesse, parcourut vivement les 2 pas qui le séparaient du bord et se glissa avec aisance sur la plateforme ouverte qui terminait la rame du métro aérien. Quelques voyageurs assis ou debout à l’intérieur tournèrent la tête dans sa direction mais personne ne sembla faire grand cas de son arrivée cavalière. Il faut dire qu’ils devaient avoir l’habitude, dans cette partie de Moscou. Le seul regard que Viktor croisa fut celui d’une jeune femme mais il se détourna le premier pour regarder, par habitude, à l’autre bout du wagon. Pas de contrôleur en vue. Bien.

Viktor s’adossa à la paroi en bois peint, préférant rester à l’extérieur, et laissa son regard se perdre sur le paysage moscovite. Il ne se lassait pas de cette vue, il ne se lassait pas de cette ville ! En revanche, il pouvait lui arriver de se détourner quand la diversion en valait le coup. Et justement… Cette fille qu’il l’avait dévisagé tout à l’heure, elle avait de sacré yeux ! Viktor laissa son regard glisser à nouveau jusqu’à elle, apprécier son visage plutôt mignon, sa silhouette un peu plate mais pas désagréable. Quand elle tourna les yeux vers lui, il fut à nouveau frappé par la couleur turquoise de son regard. Waouh !

Avec toute la nonchalance que peut rassembler un adolescent de dix-sept ans, il porta deux doigts à son front dans une forme de salut, un sourire charmeur aux lèvres.

Pour son jour de repos elle avait décidé de faire... du tourisme ! Quand elle leva les yeux de la vitre elle eut l'impression qu'un jeune  homme la fixait, elle se dit qu'elle rêvait mais il lui fit un signe de main qu'elle lui rendit avant de rebifer vers la vitre, bien gênée. Elle le connaissait ? Est-ce que c'était un des jeunes du marché ? Il y avait tant de monde qu'elle peinait à retenir le visage et le nom de chacun... Elle lui avait rendu son salut, il ne devait se douter de rien !

Viktor se rengorgea quand la fille lui répondit, déchanta un peu quand elle se détourna. Mais bon, c'était rien, elle devait juste être timide. Il lui fallait sans doute une approche plus directe. Il se faufila entre les autres passagers jusqu'à se trouver. Hé, mam'selle ? Z'avez des yeux magnifiques, v'savez ? Viktor ne connaissait pas beaucoup de mots compliqués, mais savoir faire des compliments aux filles c'était important alors il avait fait un effort sur ce coup-là.

HRP:

Bon finalement elle ne le connaissait peut-être pas... Il fallait la comprendre, au marché où elle déchargeait des cageaux pour gagner en endurance avant de s'engager dans la milice, il y avait beaucoup de monde. Elle comprit sa méprise quand il l'apostropha. Elle se demanda un instant comment réagir pour se débarrasser du jeune homme.

"Oui je sais."

Réponse fermée et brève, manière subtile de dire qu'elle ne voulait pas engager la conversation. Non ?

Viktor ne se laissa pas démonté (il n'en était pas à sa première réponse évasive) et sourit en coin en prenant un air faussement contrit. On doit vous l'dire souvent, hein ? J'voulais pas vous ennuyer. (A peine.) Nouveau sourire charmeur. M'enfin ça m'fend l'coeur d'voir une d'moiselle comme vous toute seule, avec personne pour lui dire comme elle est jolie.

HRP :

Non. On ne lui dit pas souvent. Les gens ont un truc nommé éducation.

"Qui a dit que j'étais seule ?" elle se rend compte de la stupidité de sa réponse. A l'évidence elle est seule, mais il est trop tard pour trouver quelque-chose d'autre.

Viktor haussa un sourcil un rien moqueur et promène innocemment les yeux autour d'eux. Mais il n'a pas le temps de répondre à la demoiselle. Un choc sourd ébranle soudain le wagon, suivi d'un crissement de pneus qui force tous les passagers à protéger leurs oreilles. La plupart se courbent en deux et certains commencent à prier mais le wagon se contente de s'immobiliser. Un silence surnaturel tombe quelques secondes puis c'est le capharnaüm. Viktor se redresse, laissant respirer la demoiselle qu'il avait protégé de son corps par réflexe.

C'était la première fois qu'elle prenait le métro aérien, aussi elle ne savait pas qu'il pouvait s'arrêter en l'air... et encore moins, s'arrêter brusquement en l'air. C'est pourquoi dans un premier temps elle pensa que le garçon faisait exprès de tomber contre elle... et finalement pas. Une fois cette notion assimilée, elle se tourna vers lui (enfin, c'était beaucoup dire vu qu'ils étaient déjà presque collés l'un à l'autre).

"Qu'est-ce qu'il se passe ?" demande-t-elle en fronçant le nez, découvrant la joie des odeurs corporelles dans le métro.

Viktor profite peut-être légèrement de la situation en ne s'écartant pas autant qu'il pourrait. Bon. N'empêche qu'il est quand même inquiet. J'sais pas, c'pas commun qu'on s'arrête comme ça, répond-il en fronçant les sourcils. J'vais aller voir c'qui s'passe dehors. Vous bougez pas, mam'selle. Se faufilant entre les passagers qui commencent à paniquer, il retourne sur la plateforme extérieure et se penche par dessus la balustrade pour regarder les rails, sans trop savoir ce qu'il cherche.

Quoi ? Comment ça pas commun ? Pas commun commede croiser un cheval à 3 pattes ou pas commun comme une licorne ?

"Comment ça dehors ? Hey ne me laisse pas seule !"

L'abandon de jeunes filles pas (trop) en détresse c'est grave. La voilà qui le suit.

Plusieurs autres passagers sont aussi sorti et un débat houleux s'engage pour déterminer la marche à suivre. Pour une fois, Viktor serait presque embêté qu'il n'y ait pas de contrôleur dans le wagon ! Pendant que les adultes se disputent, Viktor remarque que la jolie demoiselle l'a suivi. Diable ! Il aura l'air de quoi s'il revient sans information. Déterminé à l'impressionner, il lui fait un clin d'oeil puis s'approche de la rambarde, l'enjambe et se pend par les mains à l'extérieur pour avoir une meilleure vue sur le dessous du wagon. Hé ! Y a un truc bizarre là !

Un type qui joue au cochon pendu depuis une fenêtre ? songe-t-elle. Pourquoi est-il ce qui ressemble le plus à une connaissance pour elle ?

"Tu vois quoi gamin ?" demande un jeune qui n'a que quelques années de plus que lui... Ta mère. pense Lyra machinalement.

Elle est stressée, et ne sachant quoi faire, le mieux est de coller le presque inconnu. On est mieux mal accompagné que seule quand on est dans la mouise.

"Fait attentionhein ?"

Viktor répond d'abord à la demoiselle, forcément. Vous inquiétez pas, j'fais ça tous les jours, y a pas d'risque. Son sourire tout fier est totalement authentique. Puis il reporte son attention sur l'autre jeune. Comment ça, "gamin" ? Il est à peine plus vieux que lui ce type. Viktor l'aurait bien rembarré mais tout le monde attend sa réponse alors... Y a une sorte de plaque en tôle toute tordue qui s'est enroulée autour d'l'essieu d'devant, j'dirais. J'pas l'impression qu'on peut facilement l'enlever.

"Très bien mesdames et messieurs, vous avez donc compris que la rame repartira rapidement... Si vous nous donnez le contenu de vos portefeuilles !" De le un peu moins gamin en sortant une arme à feu.

Et merde ! Elle jette un regard à Viktor, fait-il partie de la bande ?

Viktor reste un instant sans réaction, puis se met à réfléchir à toute vitesse. En sautant, il parviendrait sans doute à atteindre le rail mais et ensuite ? Le plus proche pilier est à plusieurs dizaines de mètre, et si ces hommes ont des pistolets... Viktor lève la tête, hésitant, et tombe dans des yeux très bleus. Il soupire, compte jusqu'à trois dans sa tête et, à la force des bras, se hisse à nouveau sur la plateforme. Aussitôt l'arme braquée sur sa poitrine lui fait lever les deux bras. Wow ! Tout doux, l'ami !

Le mousquet sous son manteau pèse contre sa hanche. Elle serre les dents, évalué les risques. En extérieur, elle serait sûre de pouvoir avoir le dessus. Ici...

"Ne lui faites pas de maaaaaal !" fait-elle mine d'implorer en se jetant dans les bras du garçon, qui lui offre un meilleur angle de tir que celui qu'elle avait, tout en la dissimulant à moitié et... pouvant lui servir de bouclier au besoin...

Le garçon en question est tout disposé à servir de bouclier. Il s'en voudrait qu'une fille soit blessée à cause de lui, et puis comment il explique ça à ses amis, hein ? Restez pas là, mam'selle, dit-il en essayant de la faire passer derrière lui. Il parvient à garder sa voix ferme, mais intérieurement il n'en mène pas large. Il faut dire qu'un pistolet est toujours braqué sur lui. Et que le type à l'autre bout n'a pas l'air amusé par la situation.

Et d'un bouclier humain, un ! Il faut dire que la jeune fille n'a guère envie de se séparer du collier de son aïeule, et qu'elle le défendra bec et ongles. Elle se découvre maintenant dans un angle mort et ses doigts se referment sur son mousquet, qu'elle tend à bout de bras vers le voleur.

"Tout doux !"

Malheureusement, à cet instant la rame fait un soubresaut et déséquilibre Lyra. Le voleur tente de s'emparer de son arme et saute sur Casanova, alors que la jeune fille fait un pas en arrière...

Oh, bon Dieu ! Viktor a à peine le temps de jurer que le type armé lui saute dessus. Heureusement, il arrive à saisir le poignet de l'homme avant qu'il ne lui donne un coup de crosse ou pire, qu'il tire sur la fille. En y mettant tout son poids, il fait trébucher l'homme et tombe avec lui.

Les deux complices de son adversaire sont heureusement trop occupé à tenir en respect les autres passagers pour venir l'aider, et une lutte acharnée pour le contrôle du revolver s'engage.

Et si elle s'ennuyait ? Mauvaise stratégie, c'est certain dans une rame de métro suspendue dans les airs... son mousquet n'a plus de balle, mais ça il ne le sait pas... Aussi la jeune femme s'approche-t-elle calmement malgré le tumulte des voyageurs qui tentent de se défendre contre la bande... et elle pause le canon sur la tempe du voleur.

"Peux-tu lacher mon ami ?"

On dit que les voleurs aiment vivre dangereusement, mais celui-là a visiblement un bon instinct de survie. Alors qu’il avait pris le dessus sur Viktor, il se fige en sentant le mousquet et Vik en profite pour se dégager et lui arrracher le revolver. Il n’a jamais utilisé d’arme à feu et n’a aucune idée de comment s’en servir, mais ça personne n’est censé le savoir. Prenant un air confiant, il pointe à son tour le canon vers le voleur qui le surplombe toujours. D’accord, et si tu te levais doucement maintenant, hein ?

Les mecs, ils veulent toujours en faire trop... Elle soupire, comme si le voleur avait besoin de deux armes pointés sur sa tempe... Enfin, ses temps.

"Et surtout si tu pouvais dire à tes potes de se calmer."

Oh, elle pourrait le faire, nul doute, mais il faudrait qu'elle lève la voix, et elle est à cet âge de la vie nommé adolescence où la flemme régit tout.

Les potes en question avaient l’air passablement contrariés par la tournure des évènements. Tout était parti de travers à une vitesse ! En même temps, il ne fallait pas être bien malin pour tenter un coup comme ça sans avoir de plan de secours…

Viktor les regardait avec un mélange de pitié et de contrariété qui se transforma en soulagement quand ils se laissèrent à leur tour désarmer. Des ceintures et cravates furent détournés pour ligoter toute la clique et Viktor put enfin baisser le pistolet dont il ne savait pas bien quoi faire. Il coula un regard admiratif et étonné à l'héroïne de la journée.

T’as pas froid aux yeux toi, hein ?

"Parce que toi si ?"

Elle s'est installée penaude contre un des "murs" de la rame.

"Tu crois qu'on va attendre longtemps qu'ils viennent enlever l'obstacle sur les rails ?"

S'il se sentait l'envie de l'impressionner et d'aller le retirer lui-même, ce serait top, parce qu'elle n'avait pas envie de passer ses rares moments de repos coincés dans une rame à plusieurs mètres du sol.

Viktor hausse les épaules. C'est sûr qu'il a pas grand chose à répondre à ça, mais quand même elle pourrait éviter de se foutre de lui alors qu’il lui fait un compliment, hein ! Enfin, il est pas du genre à se formaliser. Un autre hochement d’épaule nonchalant alors qu’il répond à sa deuxième question, s’adossant à côté d’elle. J’sais pas, ça m’est jamais arrivé figure toi. Déjà qu’va falloir un peu d’matos pour descendre jusque là, donc j’imagine que ça peut prendre un bout d’temps…