Éric, regardant la cour avant de l'hôtel à travers la vitre de la fenêtre de sa chambre, finit d'arranger sa chemise. Nul besoin d'un miroir pour cela. L'habitude faisait des merveilles avec bien des choses, après tout.

Entre chien et loup, les vagues prenaient une teinte grise aux lignes noires, le soleil couchant étant masqué par les nuages tels de gigantesques rideaux ; un paysage maritime qui dégageait une atmosphère à la fois sinistre et apaisante. Si bien que l'on aurait pu en réaliser une peinture. On l'intitulerait "les abysses de l'enfer"... ou un autre titre plus inspiré. Le mouvement des vagues avec cet assortiment unique de couleurs si particulières de fin de journée avait le don de rasséréner le jeune Français.

Une semaine qu'il séjournait à l'hôtel Lockwood. Aucun fantôme ne l'avait attaqué, peut-être grâce à la kyrielle d'instruments de protection qu'il lui avait fallu amener. Mais les indices se faisaient rares, et aucun fantôme n'avait voulu communiquer avec lui jusque-là. Il va falloir m'armer de patience.

Soudain, un bruit de poignée.

Surpris, Éric ajusta ses lunettes d'un doigt et se rendit à la porte.

Pourquoi donc le personnel viendrait me rendre visite à cette heure-ci ?

Il ouvrit la porte.

Oui ?

Rien. Il fronça les sourcils. Il pencha la tête à l'extérieur, regardant de droite à gauche : pas âme qui vive.

Un enfant me ferait une farce ? Je n'en ai pas vu à l'hôtel... Qui emmènerait ses gamins dans cet endroit avec une telle réputation ?

Le jeune homme français ferma la porte, gardant la main sur la poignée.

À moins que...

Je m'en doutais. Un PUTAIN de fantôme farceur ! Se dressant sous l'effet du choc soudain sur son postérieur, Éric fournit un effort surhumain pour rester de marbre et pour ne pas s'énerver. Bon, c'était raté, bonté divine que ça l'avait énervé. Mais il parvint à ne pas le montrer sur son visage. Et rien de tel pour cela que de se focaliser sur autre chose. Inspire. Expire. 5. 10. 15. 20. 25. 30. 35. Compter les multiples de 5 l'avait, mystérieusement, toujours aidé à garder son calme. Il parvint à esquisser un sourire. Un fantôme. Enfin. Il se dirigea vers sa valise, et en sortit sa planche de ouija. C'était drôle ! fit-il. On joue à un jeu ?

Quand tu veux jouer avec quelqu'un, il faut d'abord te présenter, Éric parvint-il à dire très calmement. Il mit son pendentif pour accroître son pouvoir. Si je l'avais mis dès le début, j'aurais certainement pu voir cette foutue fessée arriver via une vision. 55. 60. 65. Mais en me protégeant avec du sel ou autre, je l'aurais énervé. C'est soit un enfant, soit un vieux coquin. 85. 90. 95. Faisons connaissance. Il plaça la goutte sur le A. Tu peux déplacer mon doigt sur les lettres de ton nom dans l'ordre ? Si c'est un farceur, il va certainement n'en faire qu'à sa tête et épeler un mot comme "caca" ou autre... mais je prends le risque.

... Je vois. C'est tout naturel. Je me suis empressé. Très bien ! Voici mon nom. Il plaça la goutte sur le E, puis le R, puis le I, et enfin le C. Moi, c'est Éric. Je suis français. Content de te connaître ! Et toi, quel est ton nom ?

Il s'appelle Brian... Je vois. Maintenant, connaître son âge. Quel âge as-tu ? Moi, 34 ans.

Aucune réponse. Et aucun phénomène violent dans la pièce. Le fantôme ne connaît donc pas la réponse. Il est peut-être au courant de sa mort. S'il s'agit effectivement d'un enfant fantôme, je risque de l'ennuyer. Je dois changer de méthode. Il s'appuya sur le dos de sa chaise. Est-ce que ça te dit de me montrer un tour de magie ?

40. 45. 50. 55. Je m'en doutais. Être assis n'empêche pas un fantôme d'effectuer un contact physique en ignorant les éléments matériels qui s'interposent, peu importe leur proximité. Mais sa première fessée a fait que j'ai été moins surpris par la deuxième. 60. 65. 70. Elle n'a pas atteint les sphères affectives. Bien. Je garde mon calme. Exerçant ses zygomatiques sans forcer, il inspira et expira en gloussant. Bof, c'était nul, ça ! Frapper ou fesser les gens, c'est pas un tour de magie, voyons. Je parie que tu es même pas capable de faire baisser un chouïa la température de cette pièce. La thermokinésie. Action commune à tous les fantômes.

"Tristesse"... C'est ce qui est requis pour faire baisser la température, non ? Je l'avais oublié. Honte à moi. Alors est-ce que tu pourrais faire augmenter un petit peu la température de la pièce ? Allez, magie magie ! Fit-il en affichant un sourire enthousiaste. Je ne suis toujours pas certain qu'il s'agisse véritablement d'un enfant. Mais ça reste probable.

Waouh. Quel que soit son âge, la mort pèse décidément toujours dans la perception des choses. Qu'est-ce que c'est que la magie ? Ce sont les phénomènes qui nous paraissent surnaturels, spectaculaires ou merveilleux et qui ne sont pas expliqués par la science. Il y a deux types de gens : ceux qui ne voient la magie nulle part, et ceux qui la voient partout. Ta réaction pourrait donc être interprétée comme de la magie, non ? Car même si on comprend ces phénomènes, ils ne perdent pas leur magie pour autant, dit-il en souriant. Comme tu t'en doutes, je suis médium... et moi aussi, je suis doué de magie. Moi aussi, j'ai une... "réaction".

Voilà qui venait de piquer la curiosité de Brian ; il écrivit : L A Q U E L L E ?

T U P E U X C H A N G E R L A V E N I R O U C E Q U E T U V O I S A R R I V E T O U J O U R S ?

Ce que je vois se produit toujours ! répondit-il en hochant la tête. Toutes mes visions disent vrai. Et par conséquent, si je ne suis pas trop loin, je peux changer l'avenir. Mais je ne choisis jamais quand je les ai, ces visions.

Éric laissa passer un temps devant la réponse de Brian s'étant formée peu à peu. Jusqu'ici, ça m'a toujours porté chance, oui. Il leva les yeux au plafond, passant aux choses sérieuses. Cela fait longtemps que tu es à l'hôtel ?