Dans la pénombre de la grotte, la vapeur de son souffle grésilla en des gerbes glacées. Voilà cent longues années que la Trahison avait frappé son Arrogance. Il n'oubliait pas, et ne pardonnait pas plus. Il attendait ; il avait l'éternité pour attendre.

Au contraire de ces Pathétiques Mortels qui fourmillaient dans sa Déchéance. Il les sentait trembler d'une Peur qui pourrissait leurs maigres années, alors même qu'ils avaient l'Affront de cultiver l'Immortalité en puisant sa Puissance.

Il eut un tremblement dans ses chaînes. Il ouvrit un œil ; l'heure était venue.

Wu-Ji Wah Ren-Qing se réveillait, et il allait ajouter Niu à son Nom.

Explications:

Portés par un vent qui n’existait que dans l’imagination des spectateurs, les derniers accords de guqin s’envolèrent aux aussi vers les cieux pour y mourir. Mei Lan savoura le silence qui suivit, ce bref temps de flottement indiquant que son public était encore perdu dans les limbes de son imagination. Les applaudissements n’en furent que plus retentissants quand ils se déclenchèrent quelques instants après, et elle se releva pour s’incliner profondément.

Lors d'une aube rougeoyante, une montagne d'Immortels explosa dans un crachin de feu. La rumeur prétendit qu'il n'y eut aucun survivant et qu'une ombre hurlante s'échappa de la fumée.

Un mois plus tard, Wu-Ji Wah Ren-Qing ne décolérait toujours pas. Même sa vengeance avait un goût de cendre. A cause des sévices subis, il était coincé dans l'enveloppe d'un Mortel. Et dans sa rage, il avait tué les Pratiquants qui auraient pu lui avouer le remède à ses maux.

La Secte du Secret du Feu ne pouvait avoir été anéantie. Ses Cultivateurs parcouraient encore le Jianghu ; il les trouverait et les broyerait.

Mais une mélodie l'arrêta en plein élan.

Apparence:

Les chants s’enchainaient, tantôt entrainants et joyeux, tantôt calmes et aériens. Le guqin céda la place à au dizi, puis au pipa au gré des airs et de l’humeur de l’artiste. Enfin, les notes finales du dernier air retentirent, résonnèrent un instant, avant de laisser à nouveau la place au silence. La représentation était terminée, et le public le sentait sans même que la musicienne ait à dire quoi que ce soit. Sourire aux lèvres, elle s’inclina une dernière fois sous les applaudissements.

Visuel:

La musique lui ravissait les sens. Wu-Ji Wah s'en délectait, l'esprit le plus apaisé depuis son évasion, et même longtemps avant qu'elle advienne ; ça avait été une ère de feu et de glace, de haine et de souffrance. Mais Niu se réveilla bien vite. Ses yeux se plissèrent sur deux éclats incandescents d'onyx : la musique avait attiré un de ses ennemis. La Secte du Secret du Feu avait appris des techniques musicales afin de parler aux défunts et leur arracher le secret de l'Immortalité. En pure perte, mais ils cherchaient encore.

Des papillons flamboyants sortirent de ses manches alors qu'il disparaissait dans son ombres d'écailles et d'épines.

Ignorant tout des machinations à quelques pas d’elle, la musicienne avait quitté la scène avec ses instruments et commençait à remettre ceux-ci dans les étuis qui les protégeaient durant ses voyages. Puis, elle s’arrêta à mi-mouvement quand une sensation étrange vint chatouiller ses sens. Cela lui rappelait son propre art, tout en ayant un je-ne-sais-quoi de différent… Elle regarda autour d’elle et son regard s’arrêta sur la voltige aérienne de papillons incandescents. Quelle jolie création !

Les badauds avaient tous les yeux concentrés sur ses Papillons, ils ne faisaient donc pas attention à lui. Mais son Ennemi... Ah ! Il tremblait tellement de Peur qu'il en tomba à la renverse dans les bras de ses Ombres* qui avalèrent ses cris d'horreur dans l'hystérie de leurs rires.

Ils grinçaient si fortement que l'émerveillement fit soudainement place à l'horreur dans les yeux des autres pathétiques Mortels. "Ya... Yao !!" baragouina l'un d'entre eux en s'enfuyant aussi sec. Un grondement moqueur laboura la gorge du Dragon.

Sa Splendeur rougeoyante sortit des Ombres qui l'enlaçaient. Il tenait son Ennemi sous ses griffes.

*:

Yao ?! Comme le reste des badauds, Mei Lan avait été si captivée par les papillons qu’elle n’avait pas perçu l’autre présence, bien plus sombre et menaçante, pourtant relativement proche d’elle. Elle hésita un moment à intervenir, mais constata que la foule parvenait à se disperser sans se faire attaquer et que la seule cible du Yao en question semblait être un Cultivateur, plus puissant que Mei Lan elle-même sauf erreur de sa part. Sans être lâche, elle n’était pas du genre à se lancer à l’aveuglette dans un combat perdu d’avance.

Toutes ses Flammes et toutes ses Ombres ne firent rien pour arracher quoi que ce soit à ce Pathétique Cultivateur. Il s'était seulement servi dans sa Puissance sans rien comprendre à ce qui se tramait ; une perte de temps, et il s'ennuyait déjà de ses pleurs.

"Remercie ma Mansuétude, Cultivateur." susurra alors le Dragon. "Car je ne vais pas te Tuer, seulement reprendre mon Pouvoir." Les gémissements de l'homme s'amplifièrent à mesure qu'il aspirait avec délice ce qu'on lui avait arraché ; il laissa retomber la loque tremblante en rugissement d'Ivresse.

Quelle Puissance ! Et ce n'était qu'une fraction de ce qu'il devait retrouver.

Peut-être le triste sort de son confrère Cultivateur aurait-il dû pousser Mei Lan à intervenir, mais son instinct de survie l’en empêchait catégoriquement. Elle n’était pas de taille à se frotter à un tel adversaire et elle n’avait aucune envie de risquer sa vie pour un règlement de comptes qui ne la concernait pas. Prudemment, elle commença donc à remballer ses affaires, jetant de temps en temps un coup d’oeil en direction du trouble-fête pour s’assurer qu’aucun civil n’était en danger.

Après une longue minute de Délice, le dragon se rappela qu'il y avait d'autres Mortels qui l'entouraient. Tous n'avaient pas encore fuis. Il ignora les Civils qui courraient en hurlant de Terreur pour fixer ses yeux rougeoyants sur la Cultivatrice dont la Musique avait ravi ses Sens.

Et bien, il continuerait bien de profiter de ce Concert...

Sans hésitation, Wu-Ji Wah Ren-Qing Niu décolla pour laisser derrière lui cette pathétique ville dans laquelle il n'avait plus aucune affaire. Mais il ne partait pas sans emmener de quoi contenter son Envie de Musique.

Toute préoccupée qu’elle l’était par la sécurité des civils, Mei Lan avait peut-être manqué de vigilance en ce qui concernait la sienne. Elle retint de justesse un cri en se sentant soulevée dans les airs et en voyant le sol s’éloigner à toute vitesse et si elle ne lâcha pas son pipa, c’est uniquement parce que ses mains s’étaient crispé comme tous ses autres muscles.