Valise ouverte sur le lit, Elisabeth est en train de déplacer ses piles d'habits soigneusement froissés par le voyage vers le vieux placard de sa chambre. Ses gestes sont automatiques, engourdis des heures de train branlant, mais son esprit est ailleurs.

Ses yeux s'illuminent seulement quand la dernière pile découvre son matériel électronique "emprunté" à son laboratoire -il n'y a qu'elle qui s'en serve, pourquoi aurait-elle prévenu qui que ce soit ? Elle place le moniteur sur la table et tous les appareils de mesure ou de détection autour. Elle les observe un instant, puis succombe, branche son récepteur micro-onde au moniteur, et le tout sur sa batterie transportable, Juste pour vérifier que le voyage ne les a pas abîmés.

Le temps de la mise, en route, elle finit de ranger ses affaires et glisse sa valise sous le lit. Elle jette un oeil par la fenêtre, regarde le paysage balayé par le vent marin. Elle a cette étrange sensation de "déjà-vu" typique des endroits déjà visités il y a trop longtemps pour qu'on sen souvienne.

Elle regarde vers le moniteur qui a fini de s'allumer.

Josephine connaît les jours de passage du ferry par cœur. Même si elle n'ose pas se rendre seule au port, elle guette toujours les nouvelles têtes qui arrivent au manoir.

(pourquoi n'y va-t-elle pas, d'ailleurs ?)
(parce qu'elle pourrait y faire de mauvaises rencontres)

C'est étrange parce que cette nouvelle tête, elle lui est familière. Elle l'observe en silence depuis un coin de la petite chambre, fouillant sa mémoire pour tenter de retrouver où et quand elles ont bien pu se croiser.

Les instruments s'allument sans protester, et commencent leur crépitement électronique familier. Elisabeth manipule quelques réglages, par réflexe, et sent une boule se former dans sa gorge.

Ça y est, j'ai traversé l'Angleterre avec tout ces trucs, et maintenant j'ai aucune idée de ce que je compte réellement en faire.

Elle prend une grande inspiration et s'attache les cheveux pour se concentrer. Allez. Elle braque le détecteur vers un coin de la pièce, ne quittant pas l'écran des yeux.

C'est étrange tous ces boutons et ces voyants ; qui clignotent dans tous les sens et produisent des bruits des plus inquiétants. La jeune femme semble savoir ce qu'elle fait, mais Joséphine l'observe avec une inquiétude croissante.

Son cœur s'accélère lorsqu'elle brandit un instrument et le pointe en direction d'un coin de la pièce - fort heureusement, pas celui où Joséphine se trouve. Par réflexe, elle envoie valser la mallette noire (celle qui clignote et fait -trop- de bruit)

Prête à tout, surtout à être déçue, Elisabeth retient sa respiration. L'instant d'après, alors que rien n'a bougé sur l'écran, un grand fracas la fait bondir à un mètre. Tenant le récepteur dans des mains tremblantes, elle regarde incrédule le détecteur à micro-ondes qui vient de s'écraser au plancher, manquant d'arracher les câbles qui le relient au moniteur et au récepteur.

La scientifique se rapproche lentement, soulève le lourd boitier et le repose sur la table. Elle l'éteint par précaution.

Puis, ne sachant si elle parle à la machine, aux voisins du dessous ou à elle-même, elle murmure : Pardon.

La jeune femme ramasse l'étrange boîtier. Elle appuie sur un bouton, ce qui fait enfin cesser ce bruit insupportable. Josephine lui en est reconnaissante.

Toujours tapie dans le coin le plus sombre de la pièce, invisible pour qui ignore sa présence, la petite fantôme pose une première question :

Qui es-tu ?

Le message qui "apparaît" à l'écran est on ne peut plus clair pour Elisabeth -même si elle ne le voit que du coin de l'oeil- qui répond aussitôt.

Je suis Elisabeth Miller, je viens d'arriver, pardon de vous avoir dérangé·e.

Attends, le détecteur est éteint, là. C'est très bizarre... J'ai dû rêver, je vois ce que j'ai envie de voir. Elisabeth vérifie que l'interrupteur de l'appareil est en position éteinte. Puis elle regarde à nouveau l'écran, et parle lentement.

Et...vous ?

Miller. Ainsi, elles partagent le même nom de famille. C'est peut-être de là que provient cet étrange sentiment de familiarité, cette impression de déjà connaître cette jeune femme.

Elisabeth

Ce prénom ne lui est pas non plus inconnu. Quelque chose (un souvenir ?) tambourine aux portes de sa mémoire,

Miller.

Une petite fille, une enfant. Des lunettes rondes. Derrière elles, les yeux de Samuel.

Elisabeth. Miller.

Josephine suffoque.
Comme si elle se noyait.
Les rideaux crissent en se fermant brutalement ; dissimulant l'intérieur de la chambre aux regards extérieurs.
Les lumières s'éteignent.

La pièce est soudain plongée dans un noir presque complet, à peine un rai de lumière entre les rideaux. Qu'est-ce que j'ai fait ?!

Aussi loin qu'elle se souvienne, ses contacts avec ce les "Entités", faute d'un nom plus clair, avaient toujours été à sens unique. C'était la première fois qu'elle répondait. C'était peut-être une très grave erreur. Elle ne devrait plus rien dire.

Et pourtant, le réflexe le plus humain, après s'être assise par terre, les genoux contre la poitrine, pour se rassurer et se sentir protégée, était de parler.

Désolée, je ne veux pas faire de mal, je ne comprends rien à ce qu'il se passe, pardon...

Sa tête se met à tourner, et elle sent que ses jambes ne la soutiendront pas plus longtemps. Josephine se laisse tomber assise, à un mètre d'Elisabeth.

Ses bras enserrent ses genoux qui n'ont pas cessé de trembler. Ses joues sont trempées de larmes. Elle demande, d'une voix faible, incertaine, vacillante - en rupture totale avec la violence et le chaos qu'elle vient de semer :

Où est Samuel ?

La question résonne droit dans l'esprit d'Elisabeth, qui voit ensuite comme danser des signes devant ses yeux. Mais à quoi me sert le détecteur alors ? Ça n'avait jamais fait ça, avant... Les illusions s'effacent, laissant retomber le silence.

Mon père est à la maison, il n'a pas pu venir...

La scientifique commence lentement à se relever, alors que ses yeux se sont habitués à l'obscurité. Elle prend une grande inspiration. Ou alors ça y est, je suis devenu folle pour de bon. La belle affaire.

Comment est-ce que vous connaissez mon p- Samuel ?

Cette femme est une menteuse.

Impossible qu'elle soit la fille de Samuel, elle est beaucoup trop âgée. Et Samuel n'a pas d'enfant, Josephine en est sûre et certaine.

Il n'est même pas marié : elle le saurait, quand même !

Tu mens.

Elle n'imagine quand même pas embobiner Josephine avec de telles bêtises, si ?

Où. Est. Samuel ?

Les yeux de la petite fantôme tournent au noir le plus complet.

Tous les cheveux d'Elisabeth se dressent sur sa nuque, à la fois à cause du ton sur lequel ces mots ont été prononcés, mais aussi à cause d'autre chose. D'un très, très mauvais pressentiment.

Elle cherche quoi dire, quoi répondre, tout en ayant une petite voix qui lui susurre au fond de l'esprit, presque en chantonnant : ça y est, Lisa, tu es devenue folle (folle (folle))

Je ne suis pas folle !

Et elle poursuit, énervée par la peur.

Ni une menteuse ! Samuel est à Londres, avec Linda, comme toujours !

Elle ment cette menteuse des mensonges tout ce qui sort de sa bouche c'est des mensonges.

MeNsOnGeS, qUe DeS MeNsOnGeS

C'est terminé, Josephine ne la croira plus.

Va t'en d'ici. J'AI DIS : VA T'EN D'ICIIIIIIIIIIII

L'atmosphère se fait pesante, le vent claque dans les rideaux. Les larmes, comme un torrent, dévalent le long des joues de la petite fantôme.

Une tempête remplit la chambre. La voix fait trembler les meubles et grincer les dents d'Elisabeth. Elle sait qu'elle est terrorisée, mais elle est bizarrement consciente de tout ce qui se passe.

Son pouls qui bat. Les rideaux qui oscillent au ralenti. L'obscurité plus épaisse d'un côté de la pièce. Les gouttes d'eau qui s'écrasent sur le plancher spécifiquement à cet endroit. Puis disparaissent.

Elle n'est pas folle. Elle est trop calme pour être folle. N'est-ce pas ? La folie c'est l’exubérance. Alors Lisa répond d'une voix calme. Elle n'est pas folle.

Désolée de me répéter mais je ne vous veux pas de mal. Et c'est ma chambre.

Les rideaux cessent leur danse endiablée ; le clignotement des lampes murales s'apaise.

C'est le grand retour au calme : Josephine est partie.

Les clients de l'hôtel Lockwood risquent de ne pas beaucoup arriver à se reposer, cette nuit ; car les pleurs et les gémissements de la petite fantôme se feront entendre jusqu'à l'aube et dans tout l'hôtel.