Joy hurlait. Elle criait, tapait, frappait le sol de ses petits poings d'enfant de 5 ans. Des larmes restaient piégées dans ses yeux, la petite ayant déjà associé les pleurs à de la faiblesse. Et réciproquement, elle avait aussi associé la violence et le tapage à la démonstration de pouvoir et à l'obtention de sa lubie du moment.

C'était si injuste ! Père et Mère lui avaient promis de passer la soirée avec elle, elle leur avait préparé un concert entier juste pour eux, mais non, ils allaient encore la laisser seule pour aller à un de ces galas de charité.

Pour ne rien arranger, la gouvernante qui s'occupait généralement de surveiller et coucher Joy avait quitté son travail après la dernière crise de la petite, et sa Mère avait donc dû trouver une solution de secours, se tournant donc vers les petites annonces des étudiants.

Joy était donc dans le hall de l'immeuble de luxe, agrippée au pantalon de Mère, à hurler pour qu'elle reste.

Un vieil homme en tenue de majordome s'empressa de le faire entrer. « Si monsieur veut bien me suivre. » Aaron fut guidé dans le hall, aménagé presque comme un hôtel, avec des banquettes, des plantes tropicales et un lustre en cristal. « Et voici Madame Stevenson, ainsi que Mademoiselle Joy dont vous aurez la garde pour la soirée, comme convenu. » La petite venait d'arrêter de hurler pour se concentrer un instant sur le nouveau venu, avec une expression méchante qui semblait étrange sur le visage d'une enfant.

Joy le dévisagea avec quelque chose qui ressemblait à une expression de dédain, mais sa petite bouille d'enfant en amoindrissait l'effet. Après quelques secondes de silence, la petite se remit à hurler du plus fort qu'elle le pouvait. « REEEEEEEEEEEEESTEEEEEEEEUUUUUH !!! » Mère, quant à elle, se dégagea et confia aux bons soins du majordome la tâche de retenir Joy. Elle souhaita la bienvenue à l'étudiant, puis s'éclipsa rapidement. Le majordome entreprit alors d'expliquer les bases de ce qu'on attendait du babysitter, c'est-à-dire globalement de distraire la petite et de l'empêcher de faire trop de bêtises.

Joy, l'air très fâchée, fixait la porte d'entrée. Elle posa ensuite son regard sur le babysitter, et sembla juger qu'il ne ferait pas le poids, puisqu'elle déclara : « Puisqu'ils veulent pas rester, j'vais les retrouver là bas. » Elle se mit à avancer sur ses petites jambes d'un pas strict vers la sortie, ce qui était assez comique.

La petite fille, qui feignait de l'ignorer, s'arrêta en plein mouvement. Des figurines ? Mère ne voulait jamais lui acheter de figurines, ou de poupées. Trop enfantin, elle devait se contenter de robes, livres, maquillage ... Joy se retourna brusquement, le visage toujours sérieux, mais les yeux trahissant une curiosité dévorante. « Des figurines ? »

Joy, toujours sans sourire, se mit à réfléchir. Un grand monsieur comme lui, il ne pouvait pas avoir de poupées, si ? « Mais d'abord, pourquoi est-ce que t'as le droit d'en avoir ? » s'exclama-t-elle, envieuse. C'est vrai quoi ! « Mère dit que c'est pour les béb... les nourrissons, et que c'est pour ça que je peux pas. » fit-elle sans changer d'expression, mais avec une plus petite voix.

La petite peste plissa bien vite les yeux. « Pff, c'est pas ça des figurines. C'est juste du papier, ça. » Néanmoins, elle n'arrivait pas à détacher son regard des petits oiseaux. Les papiers étaient faits de fleurs et motifs géométriques, et il y en avait de toutes les couleurs.

Joy ne bougeait pas, comme si elle était à la frontière d'un nouveau monde, ou bien sur le point de tomber dans un piège. Son expression froide ne trahissait cependant pas son envie irrépressible de toucher les oiseaux. Elle s'assit sur un canapé tout proche, comme pour se contenir, ne quittant pas les "figurines" des yeux. « Qui c'est qui les a construits ? » fit-elle du bout des lèvres.

La petite fille fit une moue dédaigneuse qu'elle avait vraisemblablement complètement copié sur une adulte, probablement sa mère. « Pff, t'es trop bizarre, tu parles comme un bébé. » Néanmoins, elle semblait beaucoup trop intéressée pour manquer cette occasion. Elle tenta de camoufler sa curiosité et répondit : « Mais bon ... tu peux montrer, si ça t'amuse. »

La petite fille eut le regard attiré vers la marionnette, et plutôt que de regarder le babysitter, elle répondit directement à l'objet, sans s'en rendre compte. Elle avait toujours cette expression d'adulte, mais on pouvait facilement lire un mélange de peur et tristesse au fond de ses yeux. « J'ai pas à vouloir, je suis l'héritière. » Elle reprit un air de fierté, sans sourire. « Et un héritier, ça doit être parfait, tout le monde sait ça. »

Joy fixa le babysitter, longtemps. Quelque chose semblait avoir pris racine dans sa petite tête, si bien qu'elle ne semblait rien avoir à ajouter pour défendre cette idée qu'on avait dû lui rabâcher toute sa vie. Cependant, la petite se leva du canapé et commença à marcher vers l'ascenseur, se dirigeant vers la cuisine. « J'ai faim. »

La petite Joy leva la tête pour regarder le babysitter d'un air choqué. Il était vraiment bizarre, ce type. Rien à voir avec tous les gens que la petite voyait au quotidien. « Pourquoi faire ? » demanda-t-elle. C'est vrai quoi, il n'y avait aucune raison de se fatiguer quand tout était déjà à disposition.

La petite le regarda avec de très gros yeux, mais sembla se mettre à le suivre. Après tout, il n'avait jamais eu recours aux fausses promesses pour l'instant, de ce qu'elle savait, autant voir s'il allait tenter le coup. Joy se rappelait d'un majordome tout neuf qui avait essayé de lui faire croire qu'elle se mettrait à grandir d'un coup si elle mangeait sa soupe. Et ben elle l'avait griffé. La petite sembla sourire à ce souvenir.