Julio avait été vaincu. Favelras avait été remis à sa place.
Le monde avait été sauvé.
Les hautes autorités shamaniques avaient à peine commencé les relations futures entre Shamans et Non-Shamans, une préparation qui allait certainement durer plusieurs semaines. Et vu le refus de l'implication de l'Administration (compréhensible vu leur invisibilité aux yeux des Non-Shamans), la paperasse à gérer par les Shamans allait bientôt décupler.
De quoi créer de nouveaux emplois shamaniques, se dit Oriana, voyant le verre à moitié plein. Après tout, Bruxia ne manque pas de budget.
La jeune femme se promenait seule, son bâton en main et son masque habituel sur la tête, dans les allées commerçantes d'El Kuzco. Une ville au nom espagnol lui apportant la décompression nécessaire après le combat qu'elle et tant d'autres Shamans avaient mené contre les Brisemorts. Furaha semblait encore occupée, et Raun et Cryptos avaient encore besoin d'un peu de repos sur l'Île des Esprits.
En longeant un marchand de talismans par-ci, une boutique de T-Shirts "Me gusta Bruxia" par-là, ainsi que des résidents et élèves qui la reconnaissèrent et la saluèrent, Oriana finit par voir de dos la silhouette du petit Paul, devant une confiserie. Elle mit la main sur la hanche. Tiens tiens, ¿mais qui voilà?

Elle pencha son masque sa tête sur le côté, l'air à la fois soupçonneux et indulgent. Voyez-vous ça... ¿Où est-ce que tu l'as donc trouvée, cette confiserie? demanda-t-elle malicieusement.

Oh que sí, parlons-en, mon jeune amigo. Elle soupira, puis remarqua la marchande qui regardait avec confusion et inquiétude un espace étrangement libre sur une étagère de sa vitrine ouverte. La shamane sortit son portefeuille puis tendit le billet au prix correspondant au gâteau. ¡J'en ai pris un et l'ai donné à ce petit, il avait très faim! La marchande, souriante et soulagée, la remercia et s'occupa d'un autre client. Oriana s'approcha de Paul puis s'agenouilla pour se mettre à son niveau. Tu as raison, n'en parlons plus. Maintenant, parlons de ta petite incrustation dans ce qui aurait pu être un dangereux combat contre les Brisemorts.

Elle est trop forte, elle a tout deviné ! Mais non... pas du tout... Ce... c'est un malentendu, j'te l'jure ! répondit Paul tout paniqué. Ça commençait à sentir le roussi pour lui...

Paul... Toujours agenouillée à son niveau, elle lui posa la main doucement sur l'épaule. Je ne vais pas te punir. Je ne vais rien te faire. ¡Je ne vais pas te transformer en grenouille ou quoi que ce soit! Je veux juste que tu comprennes à quel point c'était risqué. Rien ne garantissait que nous aurions pu les battre. Ça s'est terminé sans morts ni blessés à Stonehenge, bien sûr... Mais c'était dangereux. Tu n'es encore qu'un élève de première année... Tu pourras nous accompagner dans ce genre de missions quand tu seras plus grand. ¿Et qui sait? Peut-être que tu pourras rencontrer Papou lui-même un jour...

Oriana gloussa. Bueno... Pas dans une dizaine d'années, non... Dans cinq, six ans, ce sera peut-être bon pour toi, si tu étudies sérieusement le shamanisme et que tu montres du potentiel. Mais pour Papou, je ne te promets rien. Sache juste que comme les autres Esprits cardinaux, il nous observe... toi compris. Donc d'une certaine manière, tu le rencontres tous les jours. Surtout lorsque tu fais des blagues. ¡Mais pas de bombes à eau ou autres méchantes farces du genre, hein! Elle se releva. ¿Díme, qu'est-ce que tu voudras faire comme métier, une fois tout ton cursus terminé?

Elle gloussa de nouveau. Exactement. Être né shaman, ça n'empêche pas de faire ce qu'on a envie de faire. De suivre ses rêves. Surtout que maintenant, le monde entier connaît notre existence. ¡Je n'ai pas de doute que tu seras un humoriste génial! Paul s'intéressa alors davantage à elle, lui demanda pourquoi elle était devenue enseignante. Elle leva les yeux au ciel, songeuse. Eh bien, je te raconte cette histoire si tu m'accompagnes dans ma promenade. ¡Et si tu m'écoutes attentivement jusqu'à la fin, je te payerai une autre confiserie!

Professeur et élève se mirent à marcher ensemble. On aurait presque pu les confondre pour une mère et son fils. Je fais partie d'une famille quechua en Argentine. Ma grand-mère est une shamane très sage. Elle m'a fait voir les Esprits pour la première fois quand j'avais encore moins ton âge. C'était... magique. J'étais émerveillée. Elle m'a enseigné le b.a.ba du shamanisme, avant de m'envoyer à Bruxia pour compléter ma formation. Comme toi aujourd'hui, j'y ai fait mes études. Apprendre la langue des Esprits avait été tellement passionnant pour moi... il fallait que je l'enseigne à des élèves plus tard. Mais ce n'était pas la seule raison.

Aaah oui, dit-elle en se posant près d'un petit pont en pierre rouge surplombant un ruisseau, les enfants de ton âge, ça a généralement du mal avec l'école... Tu n'aimes pas car c'est obligatoire, ¿hein? Mais les shamans doivent pouvoir contrôler leurs pouvoirs. Sinon, c'est la cata. Ça crée de grooos problèmes. Mais une fois que tu seras plus grand... Tu regarderas en arrière, et tu auras peut-être envie de te replonger dans tes manuels. Tout simplement car ces matières ne seront plus obligatoires. Un temps. Et puis je vais t'apprendre un secret : sans bien, pas de mal. Sans obscurité, pas de lumière. Et sans cours barbants, ¡pas de fun!

Si ces "trucs" chiants, tu pouvais tous les faire instantanément, tu verrais que ce ne serait pas forcément une bonne chose... Elle lui frotta les cheveux d'une main. Mais ça, tu le comprendras quand tu seras majeur. Elle se remit en route, quittant le pont.

Oriana ne se laissa guère agacer par le "repoussement de main" de Paul, et fit son chemin sans rien dire, disant bonjour aux habitants et étudiants qui la reconnaissaient - et madre mía qu'elle était reconnaissable avec son grand masque - jusqu'à un banc surplombé par l'un des grands arbres d'El Kuzco, où elle prit place.