Dix ans ont passés depuis le Grand Bazar comme Luz aimait à l'appeler. Les Brisemort avaient été vaincus une nouvelle fois à coup de pistolet à eau, de bombes à eau et de confettis. Papou et Nuruk avaient donnés une bonne leçon à Favelras ! Elle avait été diplômée, non sans avoir été responsable d'un certain nombre de farces concocté avec son partenaire de crime préféré : le bien nommé... Setesh ! L'école de Bruxia gardait la trace du turbulent passage de Luz dans les registres de punition.

Dix ans qui lui permit de voyager en d'autres lieux que le désert de la Zone 51. Comme la France. Ce beau pays tempéré où elle avait pu en apprendre plus sur son handicap et échanger avec d'autres sourds grâce à la langue des signes. Elle avait été fasciné par ce pays qui avait inventé un moyen de communication pour les sourds.  

Elle s'était installée dans un parc d'attraction et y avait ouvert une boutique ésotérique. Mystérieuse et énigmatique comme celle de sa grand-mère d'adoption. La jeune adulte avait remarqué la maison hantée pensée pour être effrayante. Malheureusement, pour les propriétaires du parc d'attraction, cette maison avait d'autres projets. Elle désirait être une maison du rire !  Et Luz allait exaucer ce vœu simple !

À l'aide de son partenaire de crime complice préféré ! Et de quelques petites choses importantes pour donner le sourire aux créatures mécaniques de la maison hantée !

Le comeback raté de Julio et Favelito avait surtout eu du bon : une bataille qui n’en avait que le nom pour invoquer un Papou hilare, des relations plus proches avec les non-shamans et la découverte d’une pépite bourrée d’une énergie chaotique qui ne faiblissait pas ! Ca faisait des siècles que je ne m’étais plus autant amusé ! Donc, quand Luz avait conçu d’ambitieux plans pour la maison hantée du coin, naturellement, je vins m'incruster. Et voilà donc pourquoi je flottais actuellement quelque part en Europe devant une bicoque se voulant très sinistre. « Même eux font plus effrayant que les Brisemorts. Vraiment pas doué le Julito. »

Cheh ! , répondit la sourde plus si sourde que ça grâce à l'implant cochléaire. Elle avait fait une longue rééducation auditive pour arriver à reconnaître les sons. Lorsqu'une main de chair décomposé surgit d'un mur, Luz lui donna aussitôt un bouquet de fleurs. Voilà, le prix de mon passage !, dit-t-elle d'une voix assez forte pour s'entendre elle-même. La main mécanique attrapa le bouquet et se retira avec. On a juste fait la fête et la bande à Julio a paniqué ! C'est pas ce que ferait un zombie mécanique à la recherche du grand amour !  , signa-t-elle ensuite.

Elle était toujours aussi créative à 26 ans qu’à 15, et j’imaginais sans mal l’hilarité de celui ou celle qui recevrait un bouquet de fleurs d’une main putréfiée. « On dit pas que l’amour est plus fort que la mort ? Donc, logiquement, les zombies ont droit à l’amour eux aussi », signai-je en retour (et je me ferai un malin plaisir de prouver le contraire au premier qui me dit que c’est impossible avec des nageoires d’ornithorynque).

Tanis aussi avait bourlingué. Elle si longtemps prisonnière sur l'Île des Esprits - on évitait étrangement de l'y renvoyer depuis que Julio y était - puis sur l'école mais depuis qu'elle avait fait amande honorable, le monde lui ouvrait les bras !! Cruz était le shaman qu'elle suivait le plus souvent mais cette fois, elle cherchait seule un Esprit égaré... un autre de ses enfants ? C'est qu'elle en avait des petits à rencontrer maintenant !

L'amour est-il plus fort que la mort ? Vaste question philosophique qui donnerait mal à la tête à bien des gens. Luz préférait poser la question aux esprits concernés. S'ils commençaient à se disputer, c'est qu'il n'y avait toujours pas de réponse. Qui n'a pas le droit à l'amour ? Luz activa ensuite le tonnerre artificiel qui éclata à travers une fenêtre. La faisant sursauter. Ce n'était pas un bruit si courant ! C'est pas une pièce très gentille ! En quoi je la transforme ?

« Je suis pas spécialement calé en amour ou en philosophie, tu sais. » Généralement, quand on m’invoquait, c’était plutôt pendant les querelles quand il y avait déjà de l’eau dans le gaz. « Elle a un bon volume cette pièce ! Parfait pour une discothèque ! En plus les éclairs peuvent faire stroboscopes ! » Ils étaient pas gentils les bonshommes de la maison hantée de nous donner les outils parfaits pour la relooker ?

La couleuvre en avait convenu que cette maison hantée était franchement... moche. Elle connaissait un peu mieux les fêtes foraines, Cruz ne manquant pas une occasion de s'amuser, et ces chapiteaux aux fantômes étaient naturellement ses attractions préférées. Mais là ! La déco laissait aller ! "Une disssscothèque ?" murmura le serpent caché dans les ombres, scrutant un autre Esprit et ce qui devrait être une shaman.

Ça lui paraissait une excellente idée ! Luz approuvait, mais n'avait pas présentement de matériel pour mettre en place le discothèque. La sourde ferma les poings et se déhancha brièvement comme si elle dansait au son d'une musique. Boum ! Boum ! Puis, s'arrêta comprenant ce qu'il manquait encore pour ce que ce soit parfait. Il manque de la musique ! On peut remplacer le bruitages des éclairs !

« Oh, salut Tanis ! » Si on arrivait à la convaincre de participer, ça pourrait être rigolo. « Une discothèque est un lieu avec des lumières tamisées, souvent des stroboscopes et de la musique forte où les gens viennent danser. » Et en parlant de musique, Luz venait d’avoir une bonne idée : « Le grondement du tonnerre pour les basses, le craquement de la foudre pour les aiguës, par-fait ! »

Forcément, avec l'Esprit de la Contradiction, il ne fallait pas qu'elle s'attende qu'il ait peur d'elle. "Sssetesssh.... ççça faisait longtemps" se glissa du plafond le serpent géant en s'enroulant autour des deux autres. "Enchantée également jeune shaman.... Vous voulez transssformer ccce palais en pissste de danccce ?" La tête écailleuse semblait curieuse – autant qu'on pouvait lire la curiosité chez un reptile – et son goût de la mise en scène la titillait. "Je sssuis partante pour aider." Et l'Esprit égaré dans tout ça ? Momentanément oublié.

Luz remarqua que l'attention de l'esprit de la Contradiction avait été attiré par l'arrivée d'un autre esprit. Elle se tourna pour saluer Tanis  en langue des signes. Coucou ! On décore cette maison hantée ! On lui refait une petite beauté ! Mais bien sûr, une main de zombie qui offre des fleurs, Une salle d'orage électronique transformé en piste de discothèque... Un palais du rire fantôme quoi !

« Tu ne le regretteras pas ! » Restait donc à mettre la touche finale à la piste de danse pour donner un nouvel éclat à cette salle. « Et si on commençait par une samba pour la musique ? C’est bien énergique et dansant. » Déjà, le craquement des éclairs fut remplacé par des notes de guitare et de trompette.

La samba, elle connaissait. Comme beaucoup d'autres danses rythmées, merci à Cruz. "Uhm.... pas assssez fantôme à mon goût" leva-t-elle la tête vers le plafond. Ce dernier s'assombrit par une épaisse fumée noir où jaillissaient de temps à autres les lumières colorées des spots. L'illusion donnait un orage fantaisiste ou un prélude d'apocalypse, au choix.

Et Luz, par un étrange esprit de contradiction, souligna à propos de la manipulation de l'esprit du Courage : Pas assez drôle. Sa voix forte et éraillée n'avait pas la grâce de celles qui s'exprimaient depuis des années de façon régulière.   Elle avait bien appris auprès d'un maître en la matière.

« Tu manques cruellement de sens de la comédie, Tanis », enchéris-je. Ni une ni deux, j’inversai les couleurs de la fumée et des spots pour créer une fumée multicolore et lumineuse traversée de temps en temps par des flashs de lumière noire (oui, je sais que c’est contradictoire : c’est toute ma raison d’être).

"Le plus sssouvent, il n'y a que moi à trouver les choses sssordides amusantes" sifflota le serpent avec un souffle entrecoupé que l'on pourrait percevoir comme un rire. "Le plus sssouvent, mes farccces finisssent par créer d'autres Esssprits." Non parcqu'un chien galeux qui se nourrissait exclusivement de sang de chèvres, pour Tanis, ça tenait forcément de la blague... mais Choupy restait attachant.

Être défini par d'anciennes farces d'esprits, quel genre d'existence était-ce pour un esprit ? Ce sont tes bébés ? , signa Luz en dépit du fait que les esprits ne naissaient pas de la même manière que les êtres vivants. Faire des bébés est une affaire sérieuse ! ça demande beaucoup de responsabilité !

« Oula, pas de gros mots, s’il te plaît », répliquai-je à Luz. Oui, moi et la responsabilité, ça a jamais fait bon ménage. C’est plus amusant de fiche le bazar. « Puis techniquement, c’est les croyances des humains qui créent des esprits, pas les esprits qui en créent d’autres. » Voilà. Que les humains assument les responsabilités, ça m’allait très bien.

Si les serpents pouvaient hausser un sourcil, elle l'aurait fait ; mais la mimique se devinait quand même sur sa gueule reptilienne. "Je créais mes propres légendes toute ssseule, pas ma faute sssi je marque tant les esssprits." (Si un peu quand même.) L'animal mua de nouveau, mutant pour une version plus écailleuse et quadrupède, plus joyeuse aussi, en un petit dragon asiatique d'un rose pourpré seyant. "Je croyais qu'on devait faire la fête !"

Et si on jouait à ce jeu ? C'est la faute à... , se demanda Luz aiguillée par les propos de Tanis. C'était tout le contraire de la responsabilité, ça ! Oh ! C'est mignon ce petit dragon, quel dommage qu'on ne puisse se saisir d'un esprit ! Si seulement on pouvait toucher les Esprits... Elle est trop mignonne !, signa Luz en toute honnêteté.

Maaaais oui, bien sûr, avec ça que Tanis n’était pas une drama queen qui adorait qu’on se souvienne de chacun de ses passages quelque part. On te croit, Tanis, on te croit. Ceci-dit, sa nouvelle forme et la réaction de Luz eurent le mérite de me surprendre. Ca tombait bien : j’adore les surprises ! « Mignonne ? C’est rare que je voie Tanis décrite comme ça. » Mais c’était pas faux pour autant.

"C'est quoi comme jeu ? Il faut accuser les autres de nos farces ??" Ce qui lui laissait une longueur d'avance.... mais pas contre des adversaires comme cette chipie ou Setesh. "Et je sais être mignonne !" tira-t-elle une langue bifide à son comparse esprit. "Varsha et Kürk trouvent que c'est mieux quand j'ai affaire à des enfants." Du coup, surtout à Bruxia quand elle y était obligée...

Grave erreur Tanis ! C'est la faute à Tanis si le zombie à l'entrée offre des fleurs !, commença l'incurable canaille au sourire angélique. Elle quitta subitement la pièce pour examiner ce que la maison hantée réservait d'autres. En évitant les portes qui battaient furieusement, comme animées par un poltergeist, la jeune sourde arriva dans une salle de banquet. Les plats horrifique et le vampire à la place d'honneur l'y attendait.

Allais-je laisser Tanis me contredire sans répliquer en retour ? Ca serait bien mal me connaître ! « Et tu les écoutes ? Me voilà très surpris ! » Mais Luz avait proposé un jeu très amusant, dans lequel je me lançai aussi avec enthousiasme : « C’est la faute à Tanis si le zombie est en manque d'amour. » J’étais très curieux de voir sa riposte.