LinneaLinnéa est une jeune démone déchue ayant fui les Enfers, en quête de rédemption. Parvenue à Damned Town, elle a trouvé un petit boulot en tant que palefrenière. Et depuis, Ly’ vit dans son Petit Paradis, loin des démons et de leurs exactions.
Damned Town 6h40, à l’Ecurie des Vents.« Tibouchou ? »
Ma petite voix à peine éveillée résonne dans l’écurie.
Aaaah.... L’odeur des box paillés...
Je hume l’ensemble à plein nez, les yeux fermés. A l’instar de ceux qui s’aspergent le minois pour booster leur conscience, moi, je m’imprègne des perceptions extérieures. L’effet est immédiat ! Galvanisée. D’une voix un peu plus affirmée, je réitère, en sifflotant. [j/ustify]
« Mon pépère, c’est moi ! Debout là dedans. »
Pas de réponse.
Bizarre... D’habitude, mon adorable petit cheval passe au moins l’encolure par-dessus la porte de son box. Parfois, il y hennit, parfois il se contente de souffler en faisant vibrer ses délicats petits naseaux. Mais il lui arrive, il est vrai d’être mal luné et de m’accueillir le dos tourné, la croupe clairement orientée en ma direction histoire de me montrer qu’il est très importuné de venir le déranger. Peut-être est-ce un de ses mauvais jours. Je m’avance dans les allées, m’arrête tantôt à droite, tantôt à gauche, pour saluer tous les copains. Beaucoup sont encore en plein repas. Mais certains prennent tout de même le temps de venir me saluer.
Je travaille dans ce petit coin de Paradis depuis deux ans maintenant. En deux ans, j’ai énormément progressé jusqu’à pouvoir, il y a deux semaines, acquérir l’un de ceux qui m’ont le plus fait grandir :
Tibouchou. Entre nous, le coup de foudre a été immédiat. Nous possédions un véritable petit rituel que je rêvais secrètement de pouvoir pérenniser. Je chérissais chacune de nos sorties, chacun de nos galops effrénés. Les câlins du matin, les bisous avant d’aller se coucher. Mais un tel engagement demandait des ressources que je n’étais pas sûre de posséder : Temps – Argent – Talent. Pendant longtemps, je ne me suis pas sentie apte à travailler ces magnifiques êtres. Pouvoir être en mesure de leur offrir un travail tant à pied que monté de qualité, mais aussi des jeux pour les amuser était primordial. Tout doucement, j’ai alors appris, me suis renseignée. Et puis un jour, le centre a manifesté l’envie de le céder. Je me sentais loin d’être prête. Seulement, jamais une telle occasion n’aurait pu se reproduire, alors je me suis proposée. Instinctivement. Mon coeur n’aurait pas supporté de voir mon petit rayon quitter les lieux. J’avais besoin de lui à mes côtés. De ses yeux pétillants, de ses crins infernaux à démêler, et de ses coups de chanfrein perpétuels pour se gratter.
Ah Tibouchou... Toujours pas de réponse.
Vraiment très bizarre.
Cette fois, je hâte le pas. Il s’est passé quelque chose ! Mais la règle est stricte ici : Il est formellement interdit de courir dans les écuries. Cela panique nos pensionnaires. Je dérouille donc mes hanches pour pouvoir marcher le plus rapidement possible car évidemment, le box de mon petit bout de chou fait partie des tous derniers. A peine arrivée, je me précipite sur le loquet et d’un geste franc, j’ouvre la porte.
....
Je ne comprends pas ? Qui a garé sa foutue moto dans le box de mon Loulou ? Et où est-il ? Indécise, je pivote sur mes pieds. Même si je n’y crois pas, je vérifie dans les box alentours que mon étalon ne s’y trouve pas. Nada. Huum... Je reviens face à cette moto, bien déterminée à la dégager. En plus ses coloris, sont juste affreux. D’un brun fade, il s’en confondrait presque avec le crottin. Et ces freins noirs détonnent particulièrement ! Non, décidément en plus d’avoir des problèmes de vue – qui confond une écurie avec un parking ? – son propriétaire avait décidément des soucis prononcés en matière de goût. Je me rends derrière le tas de ferraille, me rehausse les manches, et pousse de toute mes forces l’indésirable locataire.
« Haaaaaaaaaaaan.... »
Je souffle, réitère, puis me redresse. La moto n’a pas bougé d’un pouce.
Huum..
Je reviens vers son flanc, et avise son assise. Elle n’a pas l’air aussi inconfortable que je le pensais. Est-ce si dur à démarrer cet engin ? Non mais Ly’, tu ne peux pas faire vrombir un moteur en plein milieu des chevaux !
Je soupire, mais décide quand même de m’installer. D’un air las, les yeux commençant à s’embuer, je me laisse basculer vers le tableau de bord. Où est mon Tibouchou ? Un jet de particules répond à ma question. Je sursaute, agrippe les poignets pour ne pas glisser et sent flamber le moteur sous mon séant. Un hennissement mécanique retentit, tandis que la moto se cabre, transforme sa roue avant en deux puissants antérieurs qui nous propulsent dans l’allée.
« Tibouchou ? »
Ma question fuse, improbable. Et pourtant, à nouveau, un son mécanique me répond. Tibouchou... Que t’est-il arrivé ? Nous avons dépassé la propriété désormais et ma monture emballée s’aventure sur le bitume. Le reste de la métamorphose s’est opéré. Je ne suis plus sur cette bécane que je trouvais si laide, mais sur un rutilant hongre d’acier. Haut d’un bon mètre soixante, ses sabots résonnent en d’assourdissants claquements. Plus de rétroviseurs, plus de pédales. Rien que des étriers, une bride... Je suis bien sur mon destrier. Le moteur vrombit et Tibouchou passe la cinquième. A l’approche de la ville, il reprend sa forme artificielle, celle que je hais. Les pavés du coeur de Damned Town n’ont aucune influence sur la fluidité de notre conduite. Tibouchou m’entraîne à fière allure, slalome avec agilité dans les rues et finit par nous faire passer devant la Place Publique à toute blinde. Je me surprends à finir par me redresser, buste en avant, cheveux au vent, extériorisant ma joie.
« YOUHOUUUUUUUUUUU. »
Je suis grisée. D’un geste approbateur, je flatte l’encolure de ma mont.... moto. Puis d’un geste vers le bas, un petit sourire en coin, je passe la sixième. Dans mon dos, des sirènes se mettent à retentir. Tiens ? Un appartement aurait-il pris feu ? Je prends quelques instants à comprendre que le bruit des gyrophares ne cèdent pas. Ils nous suivent et pire, ils sont pour nous. D’un regard vers l’arrière, je constate l’étendue des dégâts. A une centaine de mètres, s’est greffée à la voix publique une petite escouade de trois moteurs. En tête, je reconnais Duncan, muni d’un imposant casque noir, visière relevée. Son regard implacable me fixe et je comprends que s’il me rattrape, je suis bonne pour une contravention. A sa droite, Séraphina, la tête libre darde son attention et me transmet ses intentions. Elle me défie. Mais Tibouchou est le plus rapide. Attendez que nous gagnions la plage, vous verrez ce que signifie l’adaptation pratique de « pédaler dans la semoule ». Et finalement, à la gauche de Duncan, sur une somptueuse Vespa Rose se tient droite et fière la magnifique Marie Klinton, protectrice de la cité. Appendue à sa taille, les doigts en crochets, je reconnais l’Aboyeur, la cape malmenée par les vents. Face à ce spectacle singulier, des quatre représentants de notre cité, je ne peux m’empêcher d’être impressionnée.
« Regarde le public que nous avons, Tibouchou ! »
Nous nous penchons à flanc de macadam pour entamer un visage serré, puis nous filons, ventre à terre en direction de la plage. Le coucher de soleil et l’obscurité grandissante nous permettront de les semer. Dès que le terrain se meut, Tibouchou adapte sa conduite, passe de roues à sabot, de tableau de bord à encolure et poitrail. Et nous terminons notre course par ce que nous avons toujours aimé. Les courses de fin de journée sur la plage, au petit soleil couchant. Pivotant sur ma selle, je lâche mes rênes pour observer l’astre projeter ses derniers rayons. Puis je me laisse retomber, le dos arqué, petit cycliste essayant le moins possible de laisser des prises au vent. Derrière nous, les sirènes se sont tues. Nous les avons bel et bien semés. Nous galopons ainsi jusqu’au début d’un sentier de falaise. En quelques crissements adroits, Tibouchou nous amène au sommet.
Je mets pieds à terre, appuie ma main contre le poil rutilant de mon doudou, avant d’apposer ma tempe contre son encolure. Ensemble, cheveux et crins au vent, nous terminons d’observer ce soleil partit se ressourcer, là-bas, par-delà l’océan. Et face à cet écran de sérénité, je ne peux m’empêcher de lâcher :
« Te permettre de faire pleinement partie de ma vie, Tibouchou, a tout chamboulé. Tu es encore plus extraordinaire que je ne l’imaginais. J’ai hâte de vivre toutes ces années à tes côtés. Mais tu sais...., je te préfère quand même tel que tu es... »
Malicieusement, je précise, accompagnée de gratouilles.
« Tel que je t’ai acheté... »
Pourtant, j’ai singulièrement apprécié cette sensation de vitesse qui nous séparait du reste du monde. Nous tracions notre chemin, tous les deux, à la vitesse dont nous l’entendions.
Tout seul on va plus vite, ensemble, on va plus loin affirment souvent les anciens.
Et bien non. Ensemble, on va plus loin. Mais ensemble, on va aussi plus vite...
Oh mon Tibouchou.
- HRP:
Voilà, je clôtures ici ma participation à cette épreuve-ci. J'espère que mon texte aura pu vous divertir.
Sachez en tout cas que j'ai pris énormément de plaisir à l'écrire, et notamment la partie où j'extirpe entièrement les représentants de notre belle cité qu'est Damned Town. Je pense que de visualiser la Protectrice de la Ville sur sa petite moto Rose me fera rire pendant un petit bout de temps. J'espère que mon forum saura me pardonner
Les plus fins d'entre vous auront tôt fait le parallèle. Effectivement, ce texte est directement inspiré de Mlle Celty Sturluson, de Durarara. Demoiselle que j'apprécie tout particulièrement en ce moment. Linnéa étant palefrenière, j'ai immédiatement pensé à elle pour venir égayer mes propos. Je vous recommande si vous ne connaissez pas ce petit animé. Il est vraiment très sympa et vous verrez à quel point Celty est stylée :p
Et sinon, pour ne pas rendre Tibouchou jaloux, voici un petit aperçu visuel du petit cheval que je me suis imaginée pour écrire ce texte.
Et enfin, pour vraiment clôre ceci, sachez que je me suis amusée. J'ai entièrement sortie mon personnage de son contexte, de ses habitudes. Donc oui, ce texte paraît un peu aliéné, pour mon plus grand plaisir.