Accoudée à un rocher que l’eau de mer avait fini par polir, Belladone jetait des regards envieux à l’équipage qui avait débarqué quelques heures plus tôt sur la plage. Des Tromero, des pirates, des voleurs. Pas assez nombreux pour être une menace bien sérieuse, cependant la sirène prenait soin de rester invisible.
Ce petit morceau d’île dépassant à peine de l’océan n’avait aucunes commodités pour un marin désireux de se détendre après un long séjour au large, mais c’était parfait lorsque l’on voulait enterrer un coffre plein de richesses puis se mettre à boire et à chanter pour fêter l’événement. Enfin, c’était du moins ce qu’avait dû penser le capitaine de cette joyeuse bande de gredins.

Désormais tous aussi ronds que des queues de pelle sous le ciel nocturne, les tentatives de chants se faisaient avec force bredouillements et éclats de rire. Une compagnie que la jeune femme aurait normalement évité à tout prix car trop grossière, mais qui lui semblait à présent plus agréable que la solitude dans laquelle elle vivait. Le son de la voix humaine lui manquait, parmi tant d’autres choses.
On ne s’interrogeait pas assez sur la façon de vivre des sirènes et pourtant, en dehors de quelques apparitions pour faire peur aux marins et jouer dans les vagues, il fallait bien s’occuper le reste de la journée. Or dans l’océan, les occupations étaient fort peu nombreuses, de même que la compagnie.

Cela dit, s’il y avait des doléances à formuler à quelqu’un, Belladone aurait bien plus à réclamer que de la compagnie. À commencer par des vêtements ! Le froid n’était pas un vrai problème, mais pour une coquette comme elle, il était parfois difficile de passer son temps complètement nue. Et que dire du petit plaisir de marcher dans le sable chaud après une longue journée à étudier ? Si passer une robe était de l’ordre du possible, elle pouvait en revanche faire une croix définitive sur les promenades au bord de l’eau.
Certains produits de la terre commençaient aussi à cruellement hanter ses rêves, tels que les fruits, le lait ou le miel. Ce qu’elle n’aurait pas donné pour un bon repas chaud au lieu du poisson qu’elle mangeait tous les jours… Le charme de la pêche à mains nues s’évaporait bien vite lorsqu’il s’agissait d’une activité quotidienne.

Les livres lui manquaient, la musique lui manquait, le confort d’un lit lui manquait. Elle voulait revoir son ancien corps et son ancienne vie. Mais l’océan en avait décidé autrement et voilà qu’elle se retrouvait à épier de parfait inconnus pour tenter de raviver par procuration des sensations devenues inaccessibles.
Finalement, peut-être que la raison derrière ces histoires de sirènes mangeuses d’homme tenait simplement à l’amertume de ne pouvoir jamais profiter de ce que la vie humaine avait à offrir. Après tout, personne n’avait pensé à offrir une chope de rhum à une sirène au lieu d’essayer de l’attraper dans un filet.