21:12« Tu as quoi ?! »
« J’ai oublié le- »
« Nan mais c’est bon, j’ai entendu ! »
« Mais tu m’as dem- »
« Yuiji ! La ferme ! Je réfléchis. »Son frère se tut et Mirai soupira en se massant les yeux du pouce et de l’index, avant de se souvenir qu’elle était maquillée comme un camion volé et qu’elle allait tout étaler si elle continuait. Elle se mit à faire les cent pas dans le couloir en réfléchissant. Son frère était un crétin. Malgré le fait que ce soit elle l’aînée, c’était lui qui était censé être le moins stupide des deux. En l’occurrence, ce soir ce n’était pas le cas et ce n’était clairement pas le bon moment.
« Tu te souviens du numéro du taxi ? »
« Euh, pas vraiment. »
« Du chauffeur ? »
« Il faisait nuit. »
« D’un détail ? N’importe quoi ! »
« Le mec écoutait de la kpop. »
« Qu- Mais on s’en fout de ça, triple imbécile ! »
« Tu m’as demandé les détails ! Je te les donne ! »
« Tu fais chier, Yuiji ! Comment t’as pu l’oublier ?! »
« Ecoute, j’ai pas fait exprès, ok ? »
« J’espère bien ! »Cria-t-elle dans le couloir, furieuse, mais également terriblement inquiète. Elle se remit à marcher d’un bout à l’autre, le cœur battant. Comment retrouver un taxi parmi des milliers dans une ville comme Tokyo ? Autant chercher une aiguille dans une boite de foin. Quelqu’un appela son prénom plus loin et elle fit un signe en réponse.
« Bon écoute, le concert va commencer, je peux pas partir maintenant, même si ça me fait chier là. Alors débrouille-toi pour trouver des infos. Appelle la compagnie de taxi pour essayer de savoir dans lequel tu es monté. Ok ? »
« D’accord. »
« Parfait. Je te rappelle quand le concert est fini. »La jeune femme raccrocha et s’empressa de rejoindre la loge de l’ingénieur son. Il fallait qu’elle se concentre sur son travail, même si
ça allait être plus facile à dire qu’à faire vu le stress qui venait de s’emparer d’elle. En bas, la salle était pleine à craquer alors elle n’avait pas le droit à l’erreur, surtout pour ce groupe qui méritait grandement de se faire connaître. Les répétitions s’étaient parfaitement bien passées l’après-midi même alors ce n’était pas le moment de tout foirer. Elle en voulut à son frère de l’avoir appelée maintenant et pas après le concert, mais le mal était fait. Les lumières de la salle s’éteignirent et le concert commença.
23:04« Mirai ! Tu viens boire un verre avec nous ? »
« Désolée, j’ai pas le temps ! Une urgence ! »Elle fit un signe au chanteur du groupe et s’empressa d’aller chercher ses affaires pour quitter la salle de concert. Ses talons hauts claquèrent sur le trottoir et elle frissonna. Elle s’était habillée pour profiter de la soirée, d’une robe noire moulante, de bottes remontant à ses genoux et d’un maquillage smoky noir. Elle referma sa veste en cuir autour d’elle pour échapper au froid d’avril, attendant que son frère réponde au téléphone.
« Alors ? T’as appris quelque chose ? »
« Ouais, le chauffeur s’appelle Urataka Nobu. »
« … Et donc ? Il est où ? »
« Bah c’est tout ce que je sais. La compagnie a pas voulu m’en dire plus. »
« Même en leur expliquant la situation ?! »
« Apparemment, ils ont eu aucun rapport parlant de- »
« C’est pas vrai ! »
« On fait quoi du coup ? »
« Attends, je réfléchis. »Soit le gars n’avait pas encore pris le temps d’appeler ses patrons pour dire ce qu’il venait de se passer, soit il n’avait pas fait attention que quelque chose avait été oublié dans sa voiture, ce qui paraissait totalement improbable, soit cet enfoiré avait décidé de le garder pour lui. Mirai jura en espérant que ce ne soit pas ce dernier point. Mais après tout, un malheur n’arrivait jamais seul et un mauvais pressentiment l’étreignit, qu’elle espérait infondé.
« Faut qu’on se retrouve. Tu es où ? »
« A Shibuya. »
« Qu’est-ce que tu f- Non, laisse tomber. Je suis pas loin, j’arrive. T’as essayé de regarder les taxis autour de toi, on sait jamais. »
« Euh… La nuit tous les chats sont gris, tu sais... »
« Hein ? »
« Je veux dire que tous ces foutus taxis se ressemblent ! »Elle jura encore une fois et accéléra le pas. Courir avec des talons n’était pas le plus agréable mais elle n’avait pas le temps de se soucier de son bien-être.
00:27« Fais-moi penser à ne plus jamais te le confier. »
« T’es sérieuse là ? C’est la première fois que ça m’arrive ! »
« Oui bah t’as vu dans quelle merde on est à cause de cette première fois ? »
« Je t’ai dit que j’étais désolé ! »
« C’est pas suffisant ! Aaaah ! Ça fait presque une heure qu’on tourne et on a rien ! »Mirai se passa la main dans les cheveux en grognant de frustration. Après avoir revérifié tous les taxis de la place Shibuya en posant des questions, ils avaient compris qu’ils ne trouveraient rien. Alors ils avaient commencé à appeler tous les numéros de taxi qu’ils pouvaient trouver. Sans succès. Mirai avait réessayé de rappeler la compagnie qu’avait utilisé Yuiji, mais ceux-ci assuraient toujours qu’ils n’avaient aucun signalement correspondant à ce qu’ils cherchaient.
« Il l’a sûrement emmené chez lui. Je ne vois que ça. »
« Ouais, génial ! Et on fait comment pour le retrouver du coup ? »
« On a son nom déjà, peut-être qu’il est sur les réseaux. Ou sur l’ATAI ? »La jeune femme regarda son frère et reprit son portable pour ouvrir l’application et taper le nom du gars. Evidemment la plupart de ses informations étaient mises en privé, comme toute personne censée. Pas d’adresse, pas de téléphone direct, pas de localisation partagée.
« Essaye de lui envoyer un message ? »
« Pour dire quoi ? S’il est parti avec, c’est qu’il veut le garder. »
« Y’a des chances… Hm… Drague-le ? »
« Hein ? »
« Séduis-le. Donne-lui rendez-vous, propose-lui de le rejoindre chez lui, j’sais pas moi. »
« Avec la chance qu’on a, il est marié. »
« Essaye quand même. La chance sourit aux audacieux. »Elle soupira et ouvrit la fenêtre de discussion instantanée. Heureusement le gars n’était pas beaucoup plus âgé qu’elle et n’était pas dégueu à regarder, ce ne serait pas trop difficile de jouer le jeu.
02:13Un bâillement lui décrocha la mâchoire et elle le masqua de sa main. Yuiji et elle s’étaient réfugiés dans un petit salon de thé ouvert 24h/24 et elle s’était résignée à prendre un café, même si elle détestait ça.
« Alors ? Ça avance ? »
« Oui, il continue de mordre à l’hameçon. »
« Cool, faut que tu arrives à le convaincre de le rejoindre chez lui. »
« Tu crois sincèrement qu’il va m’inviter comme ça ? »
« C’est un mec qui a l’air en chien vu les messages qu’il t’envoie. »Yuiji n’avait pas tort. La conversation qu’elle échangeait avec le fameux Nobu, chauffeur de taxe depuis dix ans à Tokyo, avait très vite tourné vers le sexe. En temps normal, ce genre de type était très vite dégagé, mais là, c’était précisément ce qu’elle recherchait. Elle s’en voulut presque de le manipuler mais
œil pour œil, dent pour dent. S’il lui avait vraiment volé ce qui lui appartenait, elle le ferait payer.
« Ah, je crois que c’est bon. »
« Oh ? »Ils se baissèrent pour regarder l’écran et les trois petits points qui clignotaient, annonçant que le gars était en train d’écrire un message. Il mit plusieurs secondes à apparaître et le frère et la sœur affichèrent un sourire victorieux.
06:12Assis sur le rebord de la fontaine, Mirai et Yuiji étaient dépités. Leur seule piste avait été un total échec. Après s’être rendus chez le chauffeur de taxi, elle avait dû se rendre à l’évidence, il n’était pas là, et la tête piteuse de Nobu après qu’elle l’ait finalement repoussé ne suffisait pas à sauver la situation. Maintenant, elle n’avait qu’une envie : pleurer.
« Je le retrouverais jamais… »
« Je suis désolé… »
« J’en peux plus je suis fatiguée. Faut que je rentre dormir. »
« Oui, ça nous fera du bien. On pourra aller v- »Un aboiement leur fit tourner la tête à tous les deux. Au bout de l’allée du parc, ils virent un chien arriver vers eux en courant la langue pendante et la queue remuante. Le visage de Mirai s’illumina.
« Ringo !!! »Elle courut vers lui et il lui sauta dessus, visiblement tout content d’avoir retrouver sa maîtresse après une nuit teintée d’angoisse. L’animal était recouvert de boue mais visiblement en bonne santé. Il avait dû réussir à s’enfuir du taxi sans que le chauffeur ne le voie et avait dû profiter d’un peu de bon temps quelque part.
Quand le chat n’est pas là, les souris dansent.Mots: 1533