Depuis qu'elle s'est levée l'escrimeuse est de bonne humeur. Un sourire reste présent sur ses lèvres fines même si je mentionne notre dernier échec. Elle opine joyeusement du chef lorsque j'énonce l'enjeu de cette quête pénible que je dois conclure bientôt. Rien de suspect chez elle qui est toujours sereine – ou bien est-ce cet excès de bonheur qui me rend défensif?

En fin de compte, c'est uniquement lorsque je me rends en ville que je comprends le fond de ce qui est devenu un problème.




L'une des joueuses inconnues montre fièrement son cou décoré d'un bijou précieux que ses équipières observent scrupuleusement. Et lorsque mes yeux se stoppent sur l'ornement, mon coeur s'immobilise une seconde.


Notre prison virtuelle impose son deuxième printemps depuis quelques jours. Month of the Elm Tree est une période très douce et tempérée, et si le mois de février s'est trouvé encore froid, toute dernière empreinte d'hiver est belle et bien révolue.
Ce qui signifie que...

Mon esprit est comme foudroyé lorsqu'il suspend son cheminement sur l'expression inquiète de cette jeune fille intimidée, un mois jour pour jour, un présent entre les doigts. Je ne me suis méfié de rien, même une fois toutes ces douceurs englouties. Des rose et brunes, des rouges et dorées, surmontées d'un coeur ou d'une dentelle un peu excessive. Rien ne relève d'une erreur, c'est même tout l'inverse.


Je crois que l'épée qui ne me quitte que pour dormir est devenue l'emblème de mon quotidien depuis longtemps; si bien que lorsqu'elle n'est plus seule détentrice du titre de coéquipière et qu'un fleuret occupe nombre de mes pensées, j'oublie de célébrer mon couple et celle qui en use.


Il me reste quelques heures pour le déterminer, et je considère d'emblée cette mission comme solennelle.


Subitement pris d'un sentiment honteux, je décide de trouver Fuyubi, mon confident - en quelque sorte. Le commerce du confectionneur de potions et indic' se trouve cerclé de neige et de givre, bien loin de mon foyer couronné d'un cerisier en fleurs.
Une fois le seuil de l'échoppe derrière moi, c'est une silhouette longiligne coiffée de longs cheveux sombres qui se présente, un sourire sur les lèvres.


Mon index droit scinde le vide et mon menu virtuel se forme entre nous. Je glisse mes Cols sur le comptoir et écoute ses instructions.


Désolé de réfuter ses suggestions, je finis enfin d'opiner doucement, sourcils froncés.


Il m'envoie en retour d'une somme plus conséquente celui qui endosse le rôle de mon second rendez-vous. Le jeune couturier qui me reçoit, bien qu'empli de bonne volonté, finit de me perdre et je sens une brève sueur froide remonter le long de mon échine.


Me figurer l'escrimeuse enveloppée de toutes ces couleurs, bien que projetée comme irrésistible sur mes  propres pensées, est un exercice bien complexe - comment trouver ses réelles préférences?
Déconfit et troublé, les échecs se succèdent. Inutile de cuisiner, je ne possède que des compétences offensives. J'enlève les possibilités esthétiques puisque mes goûts diffèrent des siens. Je suis un guerrier,  le choix le plus concret est donc bien évidemment un fleuret - et elle chérit plus que tout celui qu'elle possède. Je ne peux diviser cette équipe qui résonne comme un même être.

Les rues peuplées que je foule terminent de me rendre indécis. Je roule des yeux sur les produits des présentoirs dépourvu de conviction, puis je refuse les sollicitudes des NPC en quête de clients.
C'est en dehors des murs et des boutiques que je découvre enfin ce que je cherche depuis des heures: lorsque je quitte l'enceinte d'une énième zone sécurisée, une petite ombre de joueur se redresse, un bouquet de fleurs des prés serré contre elle. Ses cheveux blonds se tournent vers moi, et le tissu noir qui couvre son corps frêle le porte loin. D'instinct, mes doigts entrechoqués une seconde perturbent le silence des environs.






Confondu en borborygmes obscurs, mes ongles glissés sur l'épiderme de mon cou, je sens mes pupilles éviter de croiser les siennes. Lorsque je pousse le bois de l'entrée de notre chez nous, ses yeux ternis de déception témoignent d'une tristesse peu commune. Je préfère de loin ce rictus joyeux qui revient dès que je peux lui murmurer sereinement 'Tiens, c'est pour toi.'.

L'escrimeuse serre le bouquet contre elle, et son fin minois se redessine en conséquence. Les longues tiges surmontées de têtes mordorées, pourpres et célestes me semblent plus vives encore une fois entre ses doigts.




Son rire emporte ce bref émoi un peu sévère, et elle dépose ses lèvres contre les miennes le temps d'une étreinte.



Plus belle qu'une seconde plus tôt, ses yeux turquoise s'emplissent d'étoiles et je sens mon coeur fondre sous cette pression indescriptible dont elle détient le secret.